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Comment annoncer son cancer ? Cet angle mort de l’accompagnement des patients

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cienpies / Getty Images/iStockphoto Photo d’illustration

TÉMOIGNAGE - Quand on parle d’annonce du cancer, on pense bien souvent au moment où le médecin va adresser à son patient ces quelques mots qui vont bouleverser sa vie : « Vous avez un cancer ». Ce qu’on oublie en revanche, c’est le moment - ou plutôt les moments - où la personne malade va devoir transformer le « vous » en « je » et dire à son entourage : « J’ai un cancer ».

Diagnostiquée d’un cancer du sein à l’âge de 30 ans, je fais partie de ces personnes qui se sont retrouvées dans cette situation si vertigineuse et pourtant si peu abordée dans le parcours de soins, en tout cas dans le mien. Des milliers de questions m’ont assaillie au moment du diagnostic et dans les semaines qui ont suivi. Si j’ai pu trouver des interlocuteurs pour répondre à celles d’ordre médical, il y a une série d’interrogations que j’ai dû résoudre seule. Derrière le « comment vais-je le dire ? », se cachent aussi le « à qui et dans quel ordre ? », le « à quel moment ? » et surtout le « qu’est-ce que je vais leur dire ? » alors que les médecins n’ont pas réponse à tout et surtout pas à ça : « est-ce que je vais mourir ? ».

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Annoncer aux autres sa maladie a été une épreuve dans l’épreuve. Ma famille avait été endeuillée peu de temps auparavant par la disparition de ma mère, déjà d’un cancer du sein. Il a fallu que je trouve la force et les mots pour leur dire alors que je culpabilisais d’être celle par qui le malheur revenait. Quant aux amis, un dilemme m’a rattrapée : comment les « convoquer » rapidement pour une « annonce » sans qu’ils pensent qu’il s’agit d’un « heureux événement » à venir et sans les affoler non plus ? Eh oui, c’est souvent aux autres qu’on pense lorsqu’il s’agit d’annoncer une mauvaise nouvelle.

J’ai aussi été traversée par cette éventualité : « Y a-t-il des personnes à qui je ne dois pas le dire ? » Si je ne l’ai pas annoncé tout de suite à quelques rares membres de ma famille pour les préserver, j’ai en revanche balayé très vite le scénario suivant : cacher mon cancer au travail. Arthur Sadoun, le patron de Publicis lui-même touché par un cancer il y a quelques mois, a récemment exhorté les dirigeants présents au Forum de Davos d’en finir avec le tabou du cancer au travail. Dans une vidéo, il raconte avoir reçu de nombreux témoignages de personnes malades ayant préféré cacher leur état à leur employeur ou leurs collègues. À la crainte pour sa vie, s’ajoute la peur de perdre son travail ou de voir sa carrière se briser. Je suis toujours bouleversée d’entendre ce genre de choses quand je mesure à quel point le soutien de l’entourage plus ou moins proche joue un rôle déterminant pendant ce long parcours d’obstacles. Ma famille, mes amis mais aussi mes collègues ont fait partie de mon traitement en me donnant de l’espoir et de la joie de vivre.

Je n’ai pas eu peur de m’en ouvrir à ma hiérarchie et mon employeur dont j’étais convaincue de la bienveillance, j’ai eu cette chance. Mais comment l’aborder avec mes collègues et plus encore avec les membres de mon équipe, dont je venais de prendre la tête ? Là encore, j’ai retourné la chose 1 000 fois, « comment vais-je leur dire ? » En tête à tête ? En groupe ? Par mail ? Si j’avais à cœur de les préserver le plus possible de la dureté de ce moment, que j’avais traversé avec mes proches, il fallait que je trouve une façon qui me convienne et me protège aussi.

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Avec le recul, je pense que c’est la seule façon de faire, comme on peut.

Il n’existe aucun mode d’emploi. Alors j’ai fait comme avec ma famille et mes amis, juste comme j’ai pu. En choisissant avec soin les mots qui allaient faire basculer les autres dans ma nouvelle réalité. En répétant ce que m’avaient dit les médecins, ce qu’on sait, ce qu’on ne sait pas, les traitements, le diagnostic optimiste. En montrant ce que je voulais qu’on retienne : ma détermination à vivre. Comme souvent, les premières fois sont difficiles, et puis on se rode. Il y a eu des rendez-vous dans des cafés, des coups de fil, des e-mails. Il y a eu des larmes, souvent celles de autres, des mines déconfites et des lueurs de peur dans les yeux. C’est étonnant de se retrouver en situation de consoler et rassurer les autres dans ces moments-là. Il y a aussi eu les embrassades, les sourires et les bras qui réconfortent.

Avec le recul, je pense que c’est la seule façon de faire, comme on peut. Mais je pense aussi que c’est un moment auquel les personnes malades devraient être mieux préparées en étant accompagnées - y compris pour ceux qui font le choix de ne pas le dire - que ce soit dans leur parcours médical ou sur leur lieu de travail par leur entreprise. Ne serait-ce que pour avoir conscience de la multitude de réactions que cette révélation peut engendrer. De la tristesse, de l’incompréhension, de la détresse, de la chaleur, de l’impassibilité. Les autres aussi font comme ils peuvent face à la violente déflagration que peuvent produire ces cinq petites lettres, cancer.

Cette question de l’annonce rappelle une chose, le cancer ou plutôt la lutte contre le cancer n’est pas qu’une affaire de science et de médecine. Évidemment qu’il est fondamental de continuer à soutenir, par les dons comme les financements publics, la recherche. C’est en premier lieu grâce à cela que l’on sauve des vies et il faut ardemment le défendre. En cette journée mondiale contre le cancer, il me paraît tout aussi important de souligner à quel point les « à-côtés » comptent également. L’accompagnement psychologique, économique et juridique, sportif, managérial, c’est aussi cela la lutte contre le cancer qu’il faut soutenir et développer. Et la première des victoires, c’est de réussir à en parler.

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