Le boeuf, du pré à l'assiette
Si la France s’illustre par la variété de ses races bovines et la qualité de son élevage, certains agriculteurs s’essaient à de nouvelles pratiques afin de combiner bien-être animal et qualité de la viande. Visite en Normandie chez Eben, une ferme qui préfigure (peut-être) l’avenir.Entre Granville et Villedieu-les-Poêles, la campagne est douce et vallonnée, scandée de bosquets tranchant avec l’herbe verte. Bienvenue en Basse-Normandie, dans le département de la Manche où, dit-on, il y a plus de vaches que d’habitants. C’est ici, près du village de Ver, que nous avons rendez-vous avec Kathleen Bremont, l’âme de la ferme Eben (Élevage Bovin Éthique en Normandie), qui nourrit une ambition unique : produire la meilleure viande de France !Du bonheur des bovinsSur ses pas, on visite les bâtiments de cette ferme de 200 hectares, lancée en 2019 afin de combiner le bien-être des animaux et la qualité de la viande. « On parle souvent de bonne viande en oubliant que ce qui fait la qualité, explique celle qui, chaussée de bottes en caoutchouc, entame sa quatrième vie professionnelle, c’est surtout la manière dont les bêtes sont élevées, puis abattues. Le secret est simple : éviter tout stress. » Charolaise, aubrac, blonde d’Aquitaine, rouge des prés, normande, limousine, salers, gasconne… Si la France compte vingt-cinq races à viande, Kathleen et son complice Stéphane Le Moigne ont préféré une race étrangère : l’aberdeen angus ou black angus. Avec son poil noir, sa taille moyenne, ses pattes solides et son absence de cornes, cette race écossaise réputée pour sa rusticité et sa viande finement persillée est idéale pour atteindre la perfection convoitée par la ferme Eben. « Ce projet a été pensé globalement, seule manière de garantir sa cohérence et sa rentabilité », poursuit-elle devant les jeunes veaux et leurs mères. « Toute la vie de nos bêtes se déroule à la ferme. Elles y naissent, y grandissent en mangeant de l’herbe, du foin, de la paille et un peu de triticale que nous produisons, s’y déplacent à pied sur des terres d’un seul tenant, passent un maximum de temps dans les prés et y seront également abattues. » Une petite révolution !Une douce fin de vieUn élevage heureux donc, qualifié de « réserve » par les voisins car, interdit de chasse, il voit chevreuils et renards s’y réfugier, mais peut-on imaginer un abattage sans souffrance ? Rares sont les Français qui ont échappé aux images terribles diffusées par certaines associations… « L’abattage est souvent traumatique pour les bêtes, poursuit Kathleen qui a tenu à en faire l’expérience. Les bovins sont des animaux grégaires et sensibles. Le transport est épuisant, l’attente les stresse… C’est pour cela que nous construisons un abattoir à la ferme. Situé dans une ancienne grange, il répondra à toutes les normes administratives. Nous y habituerons les bêtes la dernière semaine afin qu’elles ne subissent aucun stress le jour J. » Et après ? La viande sera maturée, puis préparée à la ferme dans l’atelier de découpe d’où partiront côtes, bourguignon, saucissons et autres rôtis mis sous vide et vendus sur les marchés de la région (Granville, Cherbourg, Bayeux, Caen, Hauteville) ou proposés aux consommateurs sur Internet. « Vendue entre 14 et 59 € le kilo selon les morceaux, notre viande est chère mais c’est le prix d’un élevage ultra-qualitatif et respectueux, permettant à l’agriculteur de vivre dignement de son travail.Anti-climat, le bœuf ? En ces temps d’éco-anxiété généralisée, on entend souvent que l’élevage bovin accélère le réchauffement climatique. La faute au méthane produit par la digestion des ruminants, relâché sous forme de rots. Spécialiste de l’alimentation animale, Stéphane Le Moigne le concède : l’élevage bovin impacte le climat mais des solutions existent. « La ferme Eben se veut neutre en carbone. Comment ? Nous n’avons pas de bétaillère pour transporter les bêtes, nous les nourrissons des produits de la ferme, nous avons un élevage extensif, nous épandons le lisier sur place, nous pratiquons un pâturage tournant semi-dynamique au cours duquel les bêtes changent de pré dès que l’herbe atteint six centimètres. Cela stimule au maximum sa repousse afin de capter plus de carbone. » Véritable piège à carbone, un hectare de prairie pourrait capter jusqu’à une tonne de CO2. De plus, il est bon de se rappeler que l’immense majorité des prairies de France correspond à des terres trop pauvres pour être transformées en champs. Sans élevage, elles retourneraient à l’état semi-sauvage, se couvriraient de taillis, transformant les paysages et augmentant les risques d’incendies lors d’étés devenus caniculaires. Idéal, l’élevage pratiqué à la ferme Eben ? Il trace en tout cas une voie prometteuse conciliant les contraires, combinant bien-être animal, vision climatique, équilibre de la biodiversité, revenus de l’agriculteur et qualité de la viande. Est-elle bonne ? Elle est délicieuse ! Et son prix est mérité tant il préfigure ce que sera sans doute l’avenir du boeuf : une viande rare, chère, excellente, respectant les bêtes et les hommes. Ferme Eben, 3, village Hecquard, 50450 Verfermeeben.com