Les capteurs de glycémie dédiés aux diabétiques détournés par les influenceurs pour mincir

Les capteurs de glycémie permettent de lire en temps réel son taux de sucre dans le corps. Mais une mauvaise interprétation des résultats peut entraîner des troubles alimentaires.

RÉSEAUX SOCIAUX - Un patch rond, collé derrière le bras : c’est le nouvel accessoire de certains influenceurs beauté et bien-être. Le capteur de glycémie, un outil « révolutionnaire » qui peut sauver la vie des personnes diabétiques, est aussi très prisé pour contrôler sa prise de poids. Une tendance, critiquée par le monde médical, qui rappelle l’utilisation détournée de l’Ozempic, un autre antidiabétique aux propriétés amaigrissantes.

Sur TikTok ou Instagram, dans des vidéos sur la plage, au yoga ou en cuisine, ils sont de plus en plus nombreux à en faire la promotion : le capteur de glucose, un appareil pas plus gros qu’une pièce de deux euros, leur permet de « voir leur glycémie en temps réel » et ainsi de « comprendre quels aliments éviter », assurent ces jeunes femmes, pour la plupart.

Leur idole ? Jessie Inchauspé, alias @glucosegoddess (ndlr, déesse du glucose) dont le livre best-seller « Glucose révolution » sorti l’été dernier prône la maîtrise des effets du sucre pour moins les subir… et mincir. Pour mieux comprendre son métabolisme, cette biochimiste de formation s’est donc équipée d’un capteur de glycémie.

Le résultat se lit simplement en passant un smartphone devant le capteur. « Révolutionnaire » pour les personnes diabétiques, assure le cardiologue Jean-François Thebaut, de la Fédération française des diabétiques, qui rappelle qu’avant leur arrivée sur le marché en 2017, « on devait se piquer pour surveiller sa glycémie : douloureux, pas discret… ».

Un capteur « révolutionnaire »

Contrairement aux autres appareils de mesure, le capteur permet aussi d’anticiper une crise d’hypo ou d’hyperglycémie. « Cela a changé la vie des parents d’enfants diabétiques », qui jusqu’alors « devaient se lever la nuit pour vérifier que leur enfant n’était pas en hypoglycémie », ajoute le cardiologue.

En vente libre, le capteur le plus commercialisé en France, le Freestyle Libre 2 du laboratoire Abbott, n’est remboursé que pour les personnes diabétiques qui ont plusieurs injections d’insuline par jour, mais son indication devrait être étendue à d’autres malades.

L’appareil a tout de suite intéressé les sportifs, nombreux sur les réseaux à partager leurs courbes de glycémie, en les superposant à leur parcours de course à pied par exemple. À tel point qu’Abbott a développé Supersapiens, un capteur en vente libre dédié aux sportifs.

« Très intéressant pour les sports d’endurance où les facteurs glycémiques sont importants pour la performance », commente Nicolas Aubineau, médecin nutritionniste du sport. « Mais ces capteurs sont une contrainte cognitive car ça veut dire des paramètres en plus à surveiller, pour des sportifs qui sont déjà ultra-connectés. »

Une tendance à risque

La diététicienne américaine Christine Byrne s’interroge sur l’utilité même des capteurs pour des personnes non-diabétiques : « Votre corps est capable de restreindre le sucre dans le sang à un niveau sain. » Elle préconise des « repas équilibrés » plutôt qu’une surveillance permanente de glycémie, qui dépend aussi « de votre stress, vos activités et votre sommeil ».

Nicolas Aubineau met en garde : « C’est fatal, dès qu’on met des repères avec des normes, on va zapper tout ce qu’il y a à côté et focaliser dessus, ce qui peut engendrer des troubles alimentaires. »

C’est aussi l’avis de Karine Clément, spécialiste de l’obésité à l’Inserm, qui craint, chez des personnes non accompagnées par un médecin, « un risque de surinterprétation ou de sous-interprétation des résultats » menant à « des changements de comportement alimentaire inadaptés, par exemple ».

Bruno Maleine, de l’Ordre national des pharmaciens, s’interroge sur la pertinence d’« utiliser des dispositifs ou des médicaments hors indication à visée amincissante », d’autant que cette tendance a généré « de fortes tensions sur le Freestyle ». Il admet que les pharmaciens « ont eu des difficultés à passer commande, même si cela s’est amélioré ».

Des similitudes avec l’Ozempic

Les pharmaciens avaient déjà constaté un « mésusage » avec l’Ozempic, un antidiabétique injectable que tentent de se procurer des personnes non-diabétiques pour mincir. De fausses ordonnances avec les deux produits ont d’ailleurs été saisies, a indiqué à l’AFP le professeur Jean-Luc Faillie, en charge de la pharmacovigilance d’Ozempic.

Contrairement à l’Ozempic, les capteurs de glycémie sont en vente libre, notamment sur internet. Mais une fausse ordonnance permet de se faire rembourser indûment, et d’économiser ainsi une centaine d’euros par mois…

Une « fraude à l’assurance maladie » que le laboratoire Abott assure condamner « sans réserve », et dont l’ANSM (agence du médicament) s’est saisie, indiquant à l’AFP qu’elle menait « des investigations » à ce sujet.

Mais qu’en pensent les personnes diabétiques ? Sur Twitter, ils dénoncent une « tendance ridicule » : « S’il s’agissait de se piquer le bout du doigt six fois par jour, l’auraient-ils fait ? Arrêtez de vous créer des problèmes que vous n’avez pas. »

VIDÉO-FEMME ACTUELLE - Diabète : 3 astuces pour contrôler sa glycémie