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TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que le pronom "iel", qui vient de faire une entrée remarquée dans Le Robert?

Une personne non-binaire en train de prendre un selfie. - Gender Spectrum Collection - Zachary Drucker  - Broadly
Une personne non-binaire en train de prendre un selfie. - Gender Spectrum Collection - Zachary Drucker - Broadly

Trois lettres qui font couler beaucoup d'encre. Ces dernières années, un tout nouveau panel de pronoms a fait son apparition dans notre vocabulaire, dont "iel", un pronom neutre qui se veut la contraction des traditionnels pronoms personnels "il" et "elle".

Ce nouveau terme, né au début des années 2010 et déjà très employé au sein de la communauté LGBTQ+, tend à se démocratiser ces dernières années. Sur les réseaux sociaux particulièrement, il ne se cantonne plus aux milieux militants et prend progressivement une vraie place dans le débat public.

Ces derniers jours par exemple, il a déclenché une levée de boucliers de la part de nombreuses personnalités politiques, dont le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer, qui est parti en croisade contre l'écriture inclusive au sein de l'Éducation nationale.

· Que veut dire ce terme?

Le terme "iel" est un pronom personnel neutre qui fait référence à la troisième personne du singulier. Il s'agit d'un néologisme issu de l'écriture inclusive, né d'un mélange de "il" et "elle". On peut également le trouver orthographié "yel" ou "ielle" et il se décline en "iels" dans sa forme plurielle.

Souvent, il est utilisé par les personnes qui se définissent comme "non-binaires", c'est-à-dire qui ne se revendiquent ni homme, ni femme mais se considèrent en dehors des normes strictes de genre féminin ou masculin. "Je mange au restaurant avec iel ce soir", par exemple. Mais ce n'est pas son seul usage: ce nouveau pronom peut également être employé au pluriel pour désigner un groupe d'hommes et de femmes, ou dans le cas où on ferait référence à une personne dont on ignore le genre.

· D'où vient-il?

Au début des années 2010, le mot "iel" a été pensé pour pallier un manque dans la langue française. Les pays anglo-saxons, eux, avaient recours au pronom "they" pour évoquer les personnes non-binaires. Pratique, car en anglais they est un mot épicène, c'est-à-dire qui neutralise le genre. En français, il n'a pas d'équivalent et correspond à la fois à "ils" et à "elles".

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Or ces dernières années, "they" et "them" gagnent du terrain outre-Atlantique. Dans les grandes métropoles, il est de plus en plus courant de voir des personnes spécifier dans leurs biographies ou cartes de visite les pronoms par lesquels elles souhaitent être désignées: "she/her" (elle), "he/him" (il), mais désormais aussi "they" ("iel").

"They" a même été élu "mot de la décennie" 2010-2020 par l'American Dialect Society, société américaine dédiée à l'étude la langue anglaise en Amérique du Nord. Certaines célébrités se sont récemment affirmées comme non-binaires, adoptant ainsi le pronom they. C'est par exemple le cas des artistes britannique et américain Sam Smith et Demi Lovato. Enfin, depuis mai 2021, le réseau social Instagram permet à ses utilisateurs de choisir le pronom they pour être identifiés sur leurs profils.

· En France, est-il vraiment dans le dictionnaire?

Dans l'Hexagone, "iel" ne se trouve à ce jour dans aucun dictionnaire papier. Il est cependant entré dans l'édition numérique du Petit Robert "il y a quelques semaines". C'est ce qu'a confirmé, par un communiqué ce mercredi, le directeur des dictionnaires Le Robert, Charles Bimbenet. S'il reconnaît que l'usage de ce mot est "encore relativement faible", il explique aussi que "depuis quelques mois, les documentalistes du Robert" ont constaté qu'il était de plus en plus utilisé.

"De surcroît, le sens du mot 'iel' ne se comprend pas à sa seule lecture (...) et il nous est apparu utile de préciser son sens pour celles et ceux qui le croisent, qu'ils souhaitent l'employer ou au contraire... le rejeter", écrit-il. "La mission du Robert est d'observer l'évolution d'une langue française en mouvement, diverse, et d'en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c'est aider à mieux le comprendre".

En revanche, "iel" ne devrait pas intégrer le prestigieux dictionnaire Larousse de si tôt, même dans sa version en ligne. En effet, le linguiste et lexiconographe Bernard Cerouiglini, s'est opposé, sur BFMTV ce mercredi, à l'entrée de "iel" dans leurs dictionnaires. "Chez Larousse, la réponse est non!", a-t-il fermement lancé, considérant: "'iel' ne correspond pas du tout à un mot qui rentre dans un dictionnaire d'usage. (...) On ne rencontre l'attestation du pronom 'iel' que dans les textes militants".

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· Y a-t-il d'autres pronoms non-genrés?

Les néo-pronoms non-genrés sont un panel de nouveaux pronoms personnels. Ils représentent chacun une option supplémentaire pour refléter les nuances de genre de chaque individu. Au-delà de "iel" en français, il existe bien d'autres néo-pronoms, tels que "ul", "ulle", "ol", "olle", "ael", "aelle", "ille", "im", ou encore "ellui", "soi", "elleux" et "euxes", qui sont cependant beaucoup moins répandus. Ils ont été créés dans le cadre de l'écriture inclusive: un "ensemble d'attentions graphiques et syntaxiques permettant d'assurer une égalité des représentations entre les hommes et les femmes", selon le Manuel d'écriture inclusive édité par l'agence de communication Mots-Clés.

· Pourquoi ce mot crispe-t-il autant?

Les pronoms neutres, et de manière générale l'écriture inclusive, concentrent les critiques pour plusieurs raisons, notamment car ils sont parfois considérés comme difficile à oraliser ou à lire.

Au sein de la classe politique, le député LaREM de l'Indre, François Jolivet, qui a ouvert le débat mardi dernier. Au détour d'un tweet, l'élu a considéré que les auteurs de ces "mots" étaient les militants d’une cause "qui n’a rien de français" et indiqué qu'il avait adressé un courrier à l’Académie française pour solliciter son point de vue sur cette initiative qu’il qualifie de "très malheureuse".

L'élu indrois voit en cette incursion dans le dictionnaire "le stigmate de l'entrée dans notre langue de l'écriture dite 'inclusive', sans doute précurseur de l'avènement de l'idéologie 'woke' (une notion aux contours mal définis, qui tend à s'immiscer dans le débat politique, NDLR), destructrice des valeurs qui sont les nôtres".

Un avis partagé de longue date par le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer. "L'écriture inclusive n'est pas l'avenir de la langue française", a-t-il tancé mardi sur Twitter, avant d'ajouter: "Alors même que nos élèves sont justement en train de consolider leurs savoirs fondamentaux, ils ne sauraient avoir cela pour référence".

En mai dernier déjà, Jean-Michel Blanquer avait fait paraître une circulaire visant à écarter "l’écriture dite inclusive qui utilise notamment le point médian" au sein de l’Éducation nationale. Mais ce mercredi, le dictionnaire Le Robert s'est défendu d'avoir voulu faire preuve de militantisme ou de "wokisme aïgu".

À l'origine, le terme "woke" fait référence au fait d'avoir une sensibilité "éveillée aux différentes sortes de discriminations". Mais aujourd'hui, "quand on parle de wokisme, c'est une injure du camp conservateur qui vise la gauche", nous expliquait fin octobre le spécialiste Albin Wagener, enseignant-chercheur à Rennes-2 en discours et communication. Les éditions Le Robert ont promis qu'elles proposeraient prochainement une définition du mot.

Article original publié sur BFMTV.com