« Drag Race France » : Paloma s’exprime sur l’homophobie en France

Monkeypox, Caroline Cayeux, La manif pour tous… La candidate est revenue pour « Le HuffPost » sur le contexte français actuel à l’égard des LGBT + et sur l’importance d’une émission comme « Drag Race France ».

TÉLÉVISION - Elles étaient dix à se lancer dans l’aventure. Depuis ce jeudi 4 août, elles ne sont plus que trois, les trois grandes finalistes de la première édition de Drag Race France, adaptation hexagonale de la compétition américaine RuPaul’s Drag Race diffusée depuis le 25 juin, chaque jeudi soir sur la plateforme numérique France.tv Slash et sur France 2 tous les samedis, après Fort Boyard.

La compétition, au cours de laquelle des drag-queens s’affrontent autour d’épreuves mêlant chant, théâtre, danse et mannequinat, n’a rien à envier à sa grande sœur américaine. De semaine en semaine, elle s’est montrée tout aussi divertissante, drôle, émouvante et soucieuse de défendre les intérêts et la diversité du drag à la française. Et ce, sans faire l’impasse sur les messages forts d’acceptation de soi.

Parmi les personnalités fortes de cette saison, l’une d’elles a su tirer son épingle du jeu. C’est Paloma. Imitatrice hors pair de Fanny Ardant (et de Ludovine de La Rochère en secret), la reine de la comédie s’est aussi avérée être une féroce compétitrice sur le podium, en témoigne son interprétation d’un croquis du célèbre illustrateur de mode Erté pour le défilé Haute Couture.

Paloma n’a pas sa langue dans sa poche. Surtout, quand il s’agit de rappeler que l’art du drag ne se résume pas aux strass et paillettes, ou de défendre les enjeux qui traversent la communauté LGBT + Le HuffPost l’a interviewée.

Le HuffPost : Dans certains des entretiens que vous avez donnés depuis le lancement de Drag Race France, vous parlez de l’art du drag comme d’un acte politique. Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Paloma : À partir du moment où je risque de me faire casser la gueule en portant des talons aiguilles, une perruque et du maquillage dans la rue, c’est un acte politique. Le drag, c’est avant tout un art qui déconstruit la société, une société qui a été construite selon des normes hétérosexuelles. Notre art consiste à déconstruire le genre. J’ai moi-même subi la pression de devoir être un garçon viril, alors que je ne le suis pas. J’existe quand même dans la société. C’est important d’ouvrir des portes pour la génération suivante, queer ou non.

Tant qu’il y aura de l’homophobie et des gens qui nous insultent dans la rue ou sur les réseaux sociaux, il y aura besoin des drag-queens et des drag-kings pour faire changer les choses.

Le HuffPost : La présence au gouvernement de Caroline Cayeux, qui a précédemment tenu des propos contre le mariage pour tous, a suscité un tollé. Qu’en pensez-vous ?

Paloma : Ça montre juste que le gouvernement actuel, qui se veut progressiste, mène en fait la politique conservatrice de François Fillon, mais de façon déguisée. La Manif pour tous, même si elle a le droit d’exister dans l’espace public, s’oppose à des lois qui ont été débattues et votées, comme le mariage pour tous et la PMA pour toutes. Ce qu’ils veulent, c’est remettre en question des choses précédemment validées par le gouvernement. Je trouve ça très contradictoire de la part d’Emmanuel Macron de la voir, aujourd’hui, à ses côtés.

Par ailleurs, quand Caroline Cayeux parle de « ces gens-là », j’ai envie de lui rappeler que « ces gens-là », ce sont aussi des électeurs du gouvernement, ce sont des votants, des gens qui comptent, qui payent leurs impôts et donc, son salaire. Qu’elle ne nous exclut pas du débat public. On est là et nous sommes nombreux.

Le HuffPost : L’autre actualité du moment, c’est l’épidémie de variole du singe. En l’espace de quelques semaines la circulation du virus n’a cessé de progresser pour atteindre plus de 1 800 cas, en France. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes représentent 96 % de ces cas. Aides, Sidaction et Acte-Up déplorent une absence de prise en charge de l’épidémie par les pouvoirs publics. C’est un sentiment que vous partagez ?

Paloma : Exactement. Quand le Covid est arrivé, ça a été l’affolement général. Là, rien. Lorsque je suis allée me faire vacciner, les médecins m’ont dit clairement qu’ils n’auraient pas assez de doses pour tout le monde, mais qu’en plus de ça, personne n’a eu vent de ce qu’il se passait. En dehors de la communauté LGBT + personne n’est au courant.

Le gouvernement met une cloche sur une maladie. Le message qu’il nous envoie, c’est de nous débrouiller en interne. Or, c’est une maladie qui peut avoir de graves répercussions si ce n’est pas bien pris en charge [elle peut s’avérer douloureuse et créer des complications, notamment chez les enfants, les femmes enceintes, et les personnes vivant avec le VIH, ndlr].

Je trouve que c’est révélateur de ce qu’on appelle le pinkwashing. On aime faire venir des personnes queers dans les médias et dans le débat politique. Mais, dès qu’il s’agit de réellement s’intéresser à nos problématiques, il n’y a plus personne. Ça nous laisse entendre que nous, en tant que gays, lesbiennes, bis ou trans, on est encore exclus de cette société. Il y a les gens « normaux » et il y a nous. Il faut arrêter de nous considérer comme une minorité.

Le HuffPost : Parallèlement aux stigmatisations, les crimes et délits visant des personnes LGBT + ont augmenté de 12 % par rapport à 2019, d’après SOS Homophobie, en France. Vous sentez-vous en sécurité ?

Paloma : À l’issue du vote de la loi pour la PMA pour toutes, en 2021, la Manif pour tous a organisé une mobilisation pour contester. Moi qui manifeste très peu, je me suis rendue à la contre-manifestation organisée par des personnes queers. On était 70 à tout casser. Parmi nous, beaucoup de jeunes inoffensifs avec des drapeaux inclusifs. Résultat : on s’est fait gazer et immobiliser au sol par les forces de l’ordre. Certains ont même été en garde à vue.

Ma vision est peut-être tronquée parce que je vis à Paris. Ici, beaucoup de gens queers n’ont pas peur de marcher dans la rue avec des cheveux bleus ou les ongles manucurés. On vit dans une ville cosmopolite. Les gens s’en foutent. Là d’où je viens, Clermont-Ferrand, il n’y avait aucun endroit estampillé queer à l’époque. Dans mon lycée, j’étais le seul à affirmer que j’étais homo. Si je fais le tour des gens avec qui j’étais au lycée à cette époque-là, je ne serais pas surpris de découvrir qu’un paquet a fait son coming out.

Or, depuis que Drag Race France est sorti, je reçois tous les jours des dizaines de messages de gamins qui me remercient parce qu’ils commencent à parler de leur homosexualité autour d’eux. Toujours est-il que tant qu’il y a encore de la peur à se dévoiler, à sortir du placard, c’est que tout n’est pas réglé.

Paloma
Endemol/France Télévisions Paloma

Le HuffPost : Alors oui, la représentation à l’écran ne fait pas tout, mais c’est important à vos yeux ?

Paloma : J’ai le sentiment qu’avec les autres candidates de Drag Race France, on est un peu les premières personnes queers à occuper ce créneau à la télévision. Certes, on a des animateurs télé ouvertement homosexuels depuis longtemps, comme Laurent Ruquier ou Olivier Minne, mais ils ne se sont pas souvent positionnés sur ces questions-là, voire jamais. À l’inverse, ceux qu’on peut voir à l’écran nous tapent parfois dessus, à l’instar de Matthieu Delormeau [le chroniqueur de TPMP a notamment été critiqué en 2021 pour avoir tenu des propos homophobes à l’encontre de Bilal Hassani, ndlr].

On a besoin d’une autre représentation, d’images positives, d’un discours diversifié avec des personnalités différentes, et pas seulement des clichés. Et c’est ce que Drag Race apporte. On ramène chacune à notre manière une vision du spectre, qui n’est pas évidemment entièrement représenté. Par exemple, La briochée est une femme trans. Elle est pansexuelle, en couple avec une femme. Elle amène tout un tas de questionnements sur le genre et la sexualité. Soa de Muse se définit comme non-binaire, elle ne veut pas être définie par un genre ou un autre. Elle n’est pas non genrée pour autant. Voilà, on amène des discours différents.

Le HuffPost : Est-ce qu’il y a un intérêt à voir ce programme sur le service public ?

Paloma : Oui, qui plus est sur France 2. On parle quand même d’une chaîne dont le groupe diffuse Louis la Brocante. C’est un gros pas en avant. Ça touche un public large, pas seulement des téléspectateurs LGBT + J’ai reçu un message d’une femme. Elle m’a écrit pour me dire qu’elle ne s’était jusqu’alors jamais intéressée à ce qu’était le drag. Elle me dit qu’elle nous trouve toutes impressionnantes, aussi bien pour nos talents que les ressources que nous possédons. Elle n’est pas la seule. Je reçois une quantité de témoignages qui me racontent qu’ils regardent le show en couple ou en famille avec leurs enfants. La diffusion de Drag Race, c’est un vrai coup dans la fourmilière.

Le HuffPost : Les audiences de Drag Race France sont bonnes et les retours, aussi. Est-ce que ça ne montre pas que les téléspectateurs sont prêts à d’autres formes de divertissement ?

Paloma : On n’est pas sur une téléréalité où les gens se balancent des verres d’eau à la tronche. Ce n’est pas Les Anges de la téléréalité. Ça ne correspond pas aux codes classiques des divertissements français. Il y a de vrais moments d’émotion, d’humour et de légèreté. Et ça soulève de vrais sujets de société [comme la séropositivité de Lolita Banana, l’agression homophobe de La Grande Dame, la réception du coming out chez les proches, ndlr].

Moi, je viens des milieux du théâtre et du cinéma et j’y ai observé un truc. Quand une émission a du succès, on continue de la produire sans se poser de questions. Des émissions vraiment nazes sont produites depuis des années. Les gens regardent. Du coup, les producteurs pensent que c’est ce que les gens veulent voir et qui ne veulent rien regarder d’autre. Et moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Vous écrivez un scénario un peu mieux, les gens regarderont quand même. Quand on améliore les choses, les gens sont contents parce qu’on arrête de les prendre pour des cons.

VIDÉO - Anthony, coiffeur le jour, drag-queen la nuit : "C’était dur de me dire que je pouvais devenir drag-queen au sein d’une famille conservatrice"

À voir également sur Le HuffPost : Apparu en drag-queen à la télé, ce pasteur américain sanctionné

Vous ne pouvez visionner ce contenu car vous avez refusé les cookies associés aux contenus issus de tiers. Si vous souhaitez visionner ce contenu, vous pouvez modifier vos choix.

Lire aussi

undefined

Les drag queens ne se cantonnent plus aux bars gay

undefinedundefined

Aux Emmy Awards 2021, RuPaul décroche un record bien particulier

undefined