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Engagement européen, dynamisme... Ce que Macron a emprunté à Giscard d'Estaing

Emmanuel Macron salue Valéry Giscard d'Estaing lors d'une réunion au Conseil constitutionnel, le 4 octobre 2018 à Paris. - Thomas SAMSON / POOL / AFP
Emmanuel Macron salue Valéry Giscard d'Estaing lors d'une réunion au Conseil constitutionnel, le 4 octobre 2018 à Paris. - Thomas SAMSON / POOL / AFP

"Un homme de progrès et de liberté". Tels sont les premiers mots choisis par Emmanuel Macron pour qualifier Valéry Giscard d'Estaing, son lointain prédécesseur qui s'est éteint mercredi soir. Très vite, la quasi totalité des commentateurs, qu'ils soient issus de la classe politique ou des médias, ont souligné les ressemblances entre les deux présidents de la République.

À première vue, leur jeunesse au moment de leur élection est un premier point de convergence. Il s'agit pourtant aussi bien du fruit des circonstances politiques de leur époque que de la stratégie choisie par les deux hommes.

Il faut toutefois admettre que leurs façons de s'approprier cette jeunesse pour en faire un redoutable outil de communication sont, pour ainsi dire, similaires. À la seule différence - majeure - que lorsque Valéry Giscard d'Estaing se lance dans la campagne présidentielle de 1974 après la mort brutale de Georges Pompidou, il arrive avec 16 ans de gaullisme derrière lui. Il arbore alors l'image d'un homme qui tranche radicalement avec celle de ses prédécesseurs, notamment le général de Gaulle, dont l'ombre tutélaire planait toujours au-dessus d'une France à peine sortie des Trente Glorieuses.

"Volonté de changer les choses"

Si l'écart entre Emmanuel Macron et François Hollande est loin d'être aussi net, que cela soit dans l'âge ou dans la forme d'expression, les scénarios se ressemblent. Choisissant - du moins en apparence - de faire litière du bipartisme qui dominait la scène politique française depuis des décennies, le fondateur d'En Marche! a repris cet air de bouleversement de logiciel dont Valéry Giscard d'Estaing a su se saisir en 1974.

Pour le député MoDem Jean-Louis Bourlanges, fervent européen, "il y a énormément" de giscardisme en Emmanuel Macron. "Les points communs, c'est l'âge, c'est la volonté de changer les choses, c'est l'ardeur au travail, c'est le positionnement politique", a-t-il égréné ce jeudi matin sur BFMTV.

Précisons toutefois que l'un de ses slogans de l'époque consistait à prôner "le changement sans le risque". Autrement dit, une rupture tranquille avec le gaullisme orthodoxe, là où un passage au socialisme (incarné par François Mitterrand) aurait menacé de tout remettre en question, notamment les institutions de la Ve République forgées par le général de Gaulle. C'est du moins ce sur quoi insistaient les giscardiens.

Deux techniciens

Emmanuel Macron a poussé cette logique plus loin lors de sa campagne, mettant volontiers dos à dos droite et gauche de gouvernement, afin de faire émerger un courant central qui assume ses engagements libéral et pro-européen. Une sorte de "progressisme" à la française, même si cette étiquette est vite tombée en désuétude, faute de contenu tangible. Reste qu'il y a chez Emmanuel Macron une volonté de substituer un clivage politique, entre progressistes et populistes, entre libéraux et illibéraux, à celui entre gauche et droite.

Par ailleurs, le réel point commun que partagent le chef de l'État et son prédécesseur, est celui de la maîtrise technique des dossiers. Les deux ont été au ministère des Finances avant de se lancer dans leur première campagne présidentielle. Valéry Giscard d'Estaing était dans le paysage depuis une quinzaine d'années lorsqu'il a sollicité le suffrage des Français, contrairement au novice Emmanuel Macron, mais les deux hommes ont bâti une grande partie de leur crédibilité politique sur leur agilité intellectuelle.

L'un était polytechnicien avant d'être énarque, là où le président actuel a fait Sciences Po avant d'être reçu à l'ENA. Dans un cas comme dans l'autre, l'économie une spécialité revendiquée. Au point, parfois, de pêcher par arrogance, ce dont Valéry Giscard d'Estaing a souffert lorsqu'il a brigué sa réélection en 1981.

Modernité

Pour se faire élire, l'actuel locataire de l'Elysée n'a pas hésité à appuyer sur les mêmes ressorts de campagne: dynamisme, jeunesse, renouvellement. Le tout évidemment adapté aux spécificités du XXIe siècle, où les candidats jouent davantage sur la corde de l'émotion que jadis. Cela dit, Emmanuel Macron n'est pas le premier à reprendre ces codes: à bien des égards, Nicolas Sarkozy a joué cette carte de façon plus prononcée en 2006-2007, prenant ses distances de façon ostentatoire avec l'ère mitterrando-chiraquienne.

Une fois élu à l'âge de 47 ans, record de jeunesse que seul Emmanuel Macron est parvenu à surclasser, Valéry Giscard d'Estaing a donné un (léger) coup de neuf à la façon de gouverner. Il a nommé un Premier ministre plus jeune et plus dynamique encore que lui, Jacques Chirac, et fait en sorte que plusieurs femmes intègrent son gouvernement: il y eut notamment Simone Veil, Françoise Giroud et Alice Saunier-Seïté.

Cette volonté de vivre "avec son temps", Emmanuel Macron n'a fait que la prolonger, tout comme François Hollande l'a déjà fait avant lui en instaurant la parité femmes-hommes au sein de son gouvernement.

Grand courant central

Au sein de l'exécutif giscardien, c'est une mosaïque de la droite de l'époque qui est constituée: y cohabitent des têtes de pont de la vieille UDR gaulliste, des Républicains Indépendants giscardiens, du Centre démocrate de Jean Lecanuet et du Centre réformateur, fondé sous la IVe République.

"Valéry Giscard d'Estaing est l'homme qui a fait émerger le centre, (...) il a imposé un nouvel équilibre à la majorité, qui était très dominée par le parti gaulliste, pompidolien puis chiraquien, et de ce point de vue-là, Emmanuel Macron est dans la tradition", estime Jean-Louis Bourlanges.

En effet, Emmanuel Macron a même opéré un choix similaire à celui de Valéry Giscard d'Estaing en choisissant un Premier ministre ne venant pas de la même formation politique que lui. Venu des Républicains, Édouard Philippe a permis au chef de l'État de s'arrimer une partie de l'électorat de droite, là où l'ancien président espérait surtout absorber l'UDR dans une grande formation centriste.

Les partis politiques pesaient bien davantage de poids à cette époque. L'opération de Valéry Giscard d'Estaing a donc échoué, expliquant son échec de 1981, là où Emmanuel Macron a modulé son discours au gré des circonstances.

Engagement européen

Demeure enfin "le grand engagement européen", comme le résume Jean-Louis Bourlanges. Là-dessus, les époques de l'un et de l'autre président sont bien différentes: il n'y avait nulle raison, en 1974, de mener une campagne présidentielle aussi ostensiblement pro-européenne qu'en 2017.

Il y a trois ans, Emmanuel Macron défend ce positionnement pour se démarquer de ses prédécesseurs, dont les convictions européennes n'étaient pas fondamentalement timorées, mais qui d'après lui ne les assumaient pas comme telles.

Par ailleurs, l'ex-conseiller de François Hollande émerge politiquement à une époque où l'euroscepticisme va croissant, 12 ans après le "non" au référendum sur le traité constitutionnel européen (pensé, d'ailleurs, par Valéry Giscard d'Estaing). Il lui fallait donc également se démarquer de ses concurrents, qui tous avaient plus ou moins de griefs à adresser à l'Union européenne. Pari risqué, mais remporté.

Le degré d'engagement des deux hommes en faveur de la construction européenne peut surtout s'évaluer à l'aune de leur action une fois au pouvoir. Emmanuel Macron, comme Valéry Giscard d'Estaing en son temps, n'a eu de cesse d'afficher sa volonté d'améliorer le fonctionnement de l'UE (naguère appelée CEE), de peser sur le cours de son Histoire avec un degré d'enthousiasme qui, chez d'autres, n'a pas été constant.

Pour l'actuel président de la République comme pour son prédécesseur, nul salut peut exister pour la France sans l'Europe. Les lexiques, eux, changent. Valéry Giscard d'Estaing actait en son temps le fait que la France était devenue "grande puissance moyenne". Elle ne pouvait donc se permettre de rater, d'après lui, le train de la mondialisation.

Près d'un demi-siècle plus tard, les excès de cette mondialisation ont chamboulé la donne. Libéral mais lucide, Emmanuel Macron défend l'UE afin de lui procurer une "souveraineté", concept auquel les peuples européens sont désormais, pour la plupart, viscéralement attachés. Reste à savoir quelle traduction concrète ce président europhile lui donnera.

Article original publié sur BFMTV.com