Est-ce normal de vendre des crop tops aux enfants ?

Dès l’âge de 6 ans, la plupart des fillettes américaines manifestent un certain niveau d’insatisfaction concernant leur corps et leur poids. Et dès l’âge de 2 ans — deux ans ! — de nombreux enfants connaissent déjà le nom des marques, a expliqué à PBS la spécialiste des troubles du comportement alimentaire Catherine Steiner-Adair.

Est-ce trop ou juste mignon ? (Photo : Boohoo.com)

Voilà pourquoi le fait que Boohoo ait fait le choix de vendre des crop tops dans sa nouvelle ligne Boohookids, qui sort aujourd’hui dans des tailles pour les enfants âgés de 5 à 12 ans, éveille en nous certaines préoccupations. (Aucun représentant de Boohoo n’a accepté de répondre à notre demande de commentaire. Si nous recevons un commentaire de leur part, nous mettrons à jour cet article.)

La National Eating Disorder Assiciation désigne les facteurs psychologiques tels qu’une faible estime de soi, les facteurs sociaux tels que les normes de la mode et de la minceur, ainsi que les facteurs interpersonnels comme le fait d’être moqué à propos de son poids, comme causes principales du développement de troubles alimentaires.

Photo : Boohoo.com

Malheureusement, les troubles alimentaires ne sont pas le seul sujet de préoccupation en ce qui concerne le choix vestimentaire des jeunes filles.

Un groupe de travail sur la sexualisation des jeunes filles, récemment mandaté par l’American Psychological Association (APA), a constaté qu’elles envoyaient un message malsain à propos de leur sexualité quand :

· Elles reçoivent des messages indiquant que leur valeur n’est due qu’à leur attrait sexuel

· Elles sont élevées d’après des standards qui lient étroitement attractivité avec le fait « d’être sexy »

· Elles sont considérées comme des objets sexuels

· Une sexualité inappropriée leur ait imposée par d’autres personnes

Le groupe note que « Tout le monde (filles, garçons, hommes, femmes) peut être sexualisé. Mais lorsque les enfants sont imprégnés par la sexualité adulte, c’est plus souvent quelque chose qui leur ait imposé qu’un choix de leur part ».

Pour compliquer encore plus les choses, l’APA conclut également que lorsque les fillettes achètent ou demandent à leurs parents d’acheter « des vêtements conçus pour les rendre physiquement attirantes et sexy », alors elles se sexualisent elles-mêmes. Et bien qu’il semble fort possible que la vente de crop tops à des enfants d’école élémentaire augmente la sexualisation des jeunes filles, cela impose également l’idée du style dans lequel elles décideront de s’habiller lorsqu’elles seront plus âgées — et cela rend leurs corps plus matures et moins enfantins qu’ils ne le sont vraiment (et c’est la même chose pour le niveau de développement de la sexualité). Cela conduit également les enfants à se sexualiser eux-mêmes en voulant porter des vêtements qui les rendent « sexy » (en voulant, encore une fois, porter un style de vêtement parfaitement normal et approprié pour des adultes ayant une identité sexuelle entièrement développée).

Photo : Boohoo.com

En d’autres termes, lorsque nous vendons des crop tops aux fillettes, cela signifie qu’elles ne peuvent pas échapper à la sexualisation, car elles sont sexualisées par les autres d’une manière qui les oblige à se sexualiser elles-mêmes.

Et l’impact d’une telle sexualisation est assez sombre. L’APA a découvert que :

· L’auto-objectification pouvait mener à la déficience de capacités chez les femmes

· La sexualisation est liée au développement de troubles alimentaires, à la baisse de l’estime de soi et à la dépression chez les jeunes filles et les femmes

· L’auto-objectification est également liée une mauvaise santé sexuelle chez les adolescentes due à une faible utilisation des préservatifs et à la diminution de l’affirmation sexuelle

Et une étude de 2014, menée par des chercheurs de l’Université du Texas à Austin, a constaté que les filles âgées de 10 à 15 ans qui possédaient un niveau élevé de « sexualisation intériorisée » — autrement dit, le fait de croire qu’il est important d’être sexuellement attirante — obtenaient de moins bons résultats que leurs camarades à l’école et aux tests normalisés.

Alors qu’il peut sembler idiot d’être obsédé par les choix des vêtements d’un enfant, ces choix qui représentent l’enfant — et le message renvoyé par ces choix à propos de son corps et de son identité — peuvent avoir des effets à long terme sérieux sur sa santé et sa future réussite.

Cela signifie que les crop tops ne sont pas les seuls à blâmer pour la façon dont les fillettes sont sexualisées par la société. En effet, les codes vestimentaires des écoles sont connus pour la façon dont ils imposent la sexualité aux enfants en associant leurs choix vestimentaires, même pour les pré-adolescents, avec le sexe — ou tout du moins en disant aux filles qu’il est de leur responsabilité de faire en sorte que les garçons ne pensent pas au sexe. Parce qu’en théorie, les filles — même lorsqu’elles n’ont que 5 ans et que Boohoo leur vend des crop tops — devraient pouvoir porter ce qu’elles veulent sans qu’on ne leur impose la sexualité. Toutefois, le problème reste la culture dominante dans laquelle les filles sont tenues à un double standard, on leur demande à la fois se sexualiser, mais également d’empêcher les autres de les voir comme étant sexualisées. Une fillette de 5 ans devrait pouvoir porter un crop top sans inquiétude, en effet, il n’y a rien de sexuel concernant le corps d’une fillette de 5 ans. Mais que faisons-nous dans un monde où l’on pourrait voir une fillette de 5 ans porter un crop top et nous inquiéter du genre de message que cela peut renvoyer ?

La réponse, pour le moment, ne semble pas se trouver dans les discussions sur la façon dont nous habillons nos enfants, mais sur la façon dont nous parlons du consentement, de l’identité et de la responsabilité à nos enfants. Si nous pouvions aider nos fillettes à mieux comprendre leur identité en dehors de leur apparence extérieure, mieux apprendre à nos filles et à nos fils que ce n’est jamais NORMAL de laisser quelqu’un décider de notre comportement et de nos choix (y compris pour ce qui concerne l’activité sexuelle), et enseigner à chacun qu’être responsable pour les autres crée un environnement sain où les enfants peuvent être des enfants sans avoir à s’inquiéter d’être sexualisés autant par eux-mêmes que par les autres (et n’ont pas à s’inquiéter — ou s’inquiètent moins — lorsqu’on leur demande « Qu’est-ce que tu portais ? » si jamais ils sont victime d’une agression sexuelle), alors tout irait bien mieux.

Jennifer Gerson Uffalussy

Rédactrice