Gilles Kepel : prophète au pays du woke
Vous dirigiez le master Moyen-Orient Méditerranée ici, à l’École normale supérieure (ENS), enseignement qui a été supprimé. Pour quelle raison ?
Depuis plusieurs années, je suis confronté à la déferlante de la religion woke à l’Université. C’est au nom de cette idéologie que je suis poussé dehors. Mon ensei-gnement devait initialement se poursuivre deux ans encore, jusqu’à ma retraite, mais les autorités universitaires ont décidé de précipiter les choses : le master a été subrepticement fermé, et ma chaire cesse d’être financée à Noël. Je n'ai donc plus d’étudiants… et je publie ce livre en solde de tous comptes. Personnellement, ce départ m’est indifférent, j’aurai les moyens de poursuivre mes travaux où je veux sur la planète. Mais, quand on considère les enjeux colossaux auxquels fait face la société française dans les domaines que j’ai étudiés pendant cinq décennies, on aurait pu penser que la poursuite d’un tel enseignement eût quelque utilité. Sans doute nos sophistes woke me perçoivent-ils comme un « corrupteur de la jeunesse », mais je ne suis pas résigné à boire leur ciguë !
Comment expliquer la force de l’idéologie woke actuellement ?
Substituer l’idéologie à la connaissance requiert moins d’efforts et de savoir ! Certains pérorent sur le monde arabe sans avoir la moindre notion de la langue ou de ses cultures. Voyez le fameux apophtegme d’Olivier Roy : « Ça ne sert à rien de connaître l'arabe pour étudier l'islam en France. » Toujours un peu risqué pour qui s...