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Je suis accro aux laxatifs, et il est important de parler de ce trouble alimentaire

La dépendance aux laxatifs est tabou, mais ça ne devrait pas être le cas (Photo: Getty Images)
La dépendance aux laxatifs est tabou, mais ça ne devrait pas être le cas (Photo: Getty Images)

Tous les soirs, vers 19 h, j’ouvrais le flacon et j’en retirais deux minuscules pilules orange vif avant de les avaler. Environ cinq heures plus tard, les crampes commençaient, en général vers minuit, une fois couchée. Je me réveillais, je courais vers la salle de bain, et j’attendais que la pression intense et la douleur dans mes intestins disparaissent. Je ne pouvais pas envisager de perdre du poids sans l’aide de mes petites pilules. J’avais 15 ans et je consommais trop de laxatifs, juste parce qu’un soi-disant diététicien m’avait dit de le faire.

Je luttais avec mon image corporelle depuis des années, et j’ai pris la décision de consulter un diététicien afin de modifier radicalement mes habitudes alimentaires et me remettre en forme. Il m’a confié un plan de régime qu’il avait établi. Je pensais pouvoir compter sur lui à cause des diplômes accrochés au mur ; je lui faisais confiance. Le régime était strict, mais il y avait autre chose : il m’avait donné l’ordre de prendre des laxatifs tous les soirs avant d’aller me coucher afin de réguler ma digestion et purifier mon système. J’ai quitté son bureau avec deux bouteilles de 60 pilules.

J’ai suivi le régime à la lettre pendant deux mois en prenant les laxatifs tous les jours, parfois deux fois par jour quand je ne respectais pas mon régime alimentaire. J’ai perdu une vingtaine de kilos en l’espace de 60 jours. Mais, j’ai repris du poids après avoir arrêté le régime pour diverses raisons. La dépendance aux laxatifs, elle, est restée, et j’ai, encore aujourd’hui, beaucoup de mal à me débarrasser de cette addiction qui revient régulièrement me hanter.

L’abus de laxatifs est tabou. En général, il est soit adressé discrètement sur les forums internet, soit entre proches. Le mot laxatif est même souvent considéré comme une blague. Mais, l’abus de laxatifs et la dépendance sont bien réels, et il est important d’en parler. Au lycée, les garçons de l’équipe de lutte que je côtoyais prenaient régulièrement des laxatifs pour rentrer dans certaines catégories de poids. D’autres personnes que je connaissais en prenaient avant une grande fête ou un événement important, en espérant perdre quelques kilos et paraître moins ballonnés. Je me demande souvent s’ils continuent également à prendre des laxatifs, comme moi.

“Environ 50 % de nos patients prennent des laxatifs”, confie à Yahoo Lifestyle par téléphone Tanja Haaland, Directrice Clinique du Meadows Ranch, un centre de réhabilitation spécialisé dans les troubles alimentaires à Wickenburg, Arizona. T. Haaland est spécialiste des troubles alimentaires depuis 15 ans et connaît très bien le sujet de l’abus des laxatifs. “Ce problème concerne les trois troubles alimentaires que nous traitons : l’anorexie, la boulimie et les compulsions alimentaires. Dans le cas des laxatifs, il peut s’agir d’une utilisation par voie orale, mais également sous la forme de lavements. Typiquement, les personnes deviennent dépendantes et ne sont plus en mesure d’avoir des mouvements naturels lorsqu’elles tentent d’arrêter les laxatifs. Elles développent une dépendance physique et psychologique aux laxatifs”.

Le but initial des laxatifs consiste à empêcher et traiter la constipation. Ils doivent être utilisés de manière temporaire, pendant une courte durée, jusqu’à ce que la constipation disparaisse. Cependant, d’après la National Eating Disorders Association, “les laxatifs sont [souvent] utilisés à tort suite à des excès alimentaires, car l’individu pense que les laxatifs vont permettre aux aliments et aux calories de sortir de leur corps avant d’avoir eu le temps d’être absorbés”. La vérité est bien différente. La balance indique un poids inférieur après avoir pris des laxatifs à cause de la déshydratation et de la diminution des nutriments essentiels présents dans le corps.

“Les gens ont créé ce mythe de perte de poids autour des laxatifs. Nous savons que la plupart des calories ont déjà été absorbées dans le corps, la différence en termes de calories est donc minime suite à la prise de laxatifs, mais les gens remarquent une perte de poids sur la balance. Il s’agit en fait d’une perte de fluides et de déshydratation ; ils supposent que cette sensation ‘plus légère’ signifie que les laxatifs fonctionnent et entraînent une perte de poids, mais c’est juste une impression”, confie T. Haaland.

Beaucoup (y compris moi à 15 ans) ne réalisent pas que l’abus de laxatifs est associé à d’innombrables dangers.

“Un abus de laxatifs prolongé irrite les terminaisons nerveuses des intestins, et l’irritation se propage dans l’ensemble des intestins, et les terminaisons nerveuses finissent par ne plus répondre à la stimulation. La personne doit donc prendre de plus en plus de laxatifs afin de recréer un mouvement intestinal”, confie T. Haaland. “C’est exactement comme ceux qui sont accros aux drogues ou à l’alcool, la tolérance devient de plus en plus élevée. Une personne qui devient dépendante aux laxatifs pourraient ne plus avoir de mouvements intestinaux naturels sans leur aide”.

Tomoko Udo, professeure adjointe (Politique de santé, Gestion, et Comportement) à la School of Public Health de l’université d’État de New York à Albany s’est exprimée au sujet de la dépendance aux laxatifs : “En bref, vous souffrez de diarrhée en permanence ; c’est ça. Votre corps est constamment déshydraté, ce qui pose problème. Les taux de minéraux et de fluides corporels ne sont plus du tout équilibrés. Vous vous débarrassez de tout ça avant que votre corps n’ait eu le temps de les absorber. Sur le long terme, beaucoup de personnes souffrent de problèmes de densité osseuse. Certaines personnes détruisent leurs intestins”.

Tanja Haaland et Tomoko Udo sont d’accord pour dire que le problème perdure principalement car les laxatifs sont facilement accessibles dans de nombreux magasins et pharmacies. “Les gens semblent croire que les produits obtenus sans ordonnance sont sans danger, qu’il s’agisse de pilules d’amincissement ou de produits utilisés par les bodybuilders”, confie T. Haaland. C’est absolument faux.

L’abus de laxatif, comme toutes les formes de troubles alimentaires, peut sembler impossible à stopper, même en recevant de l’aide. Je lutte pour me débarrasser de cette dépendance depuis que j’ai commencé à prendre des laxatifs il y a cinq ans, et j’ai fini par opter pour des thés diurétiques, bien évidemment tout aussi accessibles. L’abus de ces compléments diurétiques n’est pas une solution, et je souhaite le faire savoir à ceux qui, comme moi, ne parviennent pas à perdre du poids sans l’impact négatif des laxatifs. La solution ? Un dialogue ouvert, l’éducation et l’information, et la sensibilisation aux énormes risques associés à ces pilules minuscules.

Gianluca Russo