Lampedusa: la France peut-elle refuser d'accueillir des migrants comme le promet Gérald Darmanin?
"La France veut une position de fermeté" par rapport aux migrants venus de l'île italienne de Lampedusa, a martelé Gérald Darmanin ce mardi. La France "n'accueillera pas de migrants" venus de l'île, a affirmé le ministre de l'Intérieur invité sur le plateau de TF1.
"Ce n'est pas en accueillant plus de personnes que l'on va tarir un flux qui évidemment touche nos capacités d'intégration", a-t-il poursuivi.
8500 arrivées à Lampedusa
"L'immigration irrégulière est un défi européen qui a besoin d'une réponse européenne", avait pourtant déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors de son déplacement à Lampedusa dimanche.
Entre lundi et mercredi dernier, environ 8500 personnes, soit plus que l'ensemble de la population de Lampedusa, sont arrivées à bord de 199 bateaux, selon l'agence des Nations unies pour les migrations.
Cette situation a mis les capacités d'accueil de l'île sous forte tension et relancé l'épineuse question de la solidarité européenne en matière d'accueil et de répartition des migrants, pour soutenir les pays en première ligne de ces arrivées.
Dans l'UE, la solidarité repose sur le volontariat
Actuellement, l'Union européenne ne possède que des "mécanismes de relocalisation basés sur le volontariat", explique à BFMTV.com Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l'université Jean Moulin Lyon 3. En clair, lorsqu'un pays connaît un afflux migratoire soudain, comme l'Italie actuellement, les autres pays de l'UE ne sont pas obligés de participer à l'accueil de ces personnes.
"En revanche, il y a des mécanismes qui ont été mis en place, le dernier, ironiquement, à l'initiative de la France en juin 2022", souligne Loïc Azoulai, professeur de droit public à Sciences Po. Lors de la présidence française de l'Union européenne, 18 États membre de l'UE se sont en effet engagés à "mettre en œuvre un mécanisme de solidarité volontaire, simple et prévisible destiné à fournir aux États membres les plus touchés par les flux migratoires du bassin méditerranéen et les plus sous pression". Cette aide devait passer principalement par des relocalisations.
"C'est une déclaration d'intention pour s'engager à répartir plus équitablement les demandeurs d'asile, mais qui a donné lieu à peu de choses", observe Loïc Azoulai, spécialiste de droit européen.
"Distinguer" les migrants des demandeurs d'asile
Au sujet des demandeurs d'asile à Lampedusa, Gérald Darmanin a admis qu'il fallait "distinguer" leur situation de celle de la majorité des migrants, tout en renvoyant cette responsabilité aux autorités italiennes. Les demandeurs d'asile sont des personnes prétendant au statut de réfugié mais dont la demande est toujours en cours d’examen. Le statut de réfugié est une protection internationale octroyée aux personnes qui risquent d'être persécutées dans leur pays d'origine.
"Si les personnes sont éligibles à l'asile, (si) elles sont persécutées sexuellement, politiquement, religieusement, évidemment c'est le devoir de la France comme d'autres pays européens de les accueillir", a reconnu Gérald Darmanin mardi.
Mais il a minimisé la présence de demandeurs d'asile parmi les migrants de Lampedusa, affirmant que la majorité de ces derniers ne fuyaient pas des persécutions. "Ce ne sont pas des Afghans, ce ne sont pas des Syriens", a-t-il insisté.
Des évaluations individuelles nécessaires
Pour déclarer qu'une personne n'est pas éligible à l'asile, "il faut faire une évaluation individuelle de sa situation particulière", souligne toutefois Marie-Laure Basilien-Gainche, membre de l'Institut Convergences Migrations, un centre de recherche. Le statut ne se base pas seulement sur la nationalité. Actuellement, "l'Italie manque d'acteurs pour faire cette évaluation", ajoute-t-elle.
La France a proposé à l'Italie une assistance "pour reconduire des personnes dans les pays avec qui nous avons de bonnes relations diplomatiques", a affirmé Gérald Darmanin, citant la Côte d'Ivoire et le Sénégal.
"La France ne souhaite manifestement pas apporter une aide à l'évaluation individuelle des situations des migrants qui peuvent avoir besoin de protection" et finalement "ce sont les migrants qui en payent le prix" en vivant dans des centres bien trop remplis, appuie Marie-Laure Basilien-Gainche.
Une réforme de la politique migratoire de l'UE à l'étude
L'UE examine actuellement son Pacte sur la migration et l'asile présenté par la Commission européenne, codétentrice du pouvoir exécutif de l'UE avec les États membres, en septembre 2020. Il doit réformer la politique migratoire et d'asile de l'UE, mais son volet sur la solidarité ne fait pas l'unanimité.
L'accord actuel prévoit notamment une relocalisation de 30.000 demandeurs d'asile par an depuis les pays de première ligne, comme l'Italie ou la Grèce, vers les pays moins exposés aux arrivées. Les États membres qui refusent cette localisation devront verser une compensation financière de 20.000 euros par personne qu'ils refusent d'accueillir.
Des négociations sont actuellement en cours entre eurodéputés et représentants des États membres pour trouver un compromis final sur plusieurs volets de cette réforme.