Le phubbing, ce comportement répandu qui met nos relations en danger

Au restaurant avec des amis, la conversation va bon train, l’ambiance est bonne, mais on ne peut s’empêcher de regarder fréquemment son téléphone, laissé sur la table. Cela porte un nom : le “phubbing”, contraction de “phone”, “téléphone” en anglais et de “snubbing”, l’action de snober. Et ce comportement en dit long sur les personnes qui le pratiquent…

Le smartphone, champion pour détourner l’attention

Surveiller nos réseaux sociaux ou envoyer des SMS alors que des personnes présentes en chair et en os comptent sur notre attention, n’est pas l’attitude la plus respectueuse qui soit. Il suffit d’être de l’autre côté de la barrière pour le remarquer. C’est vrai, avoue Leïla, 34 ans, après une courte réflexion : “Je suis peut être un peu susceptible, mais moi j’ai besoin qu’on me regarde quand je parle. Alors qu’on regarde longuement une fille en mini-jupe passer, un bébé qui pleure ou que l’on soit concentré sur son téléphone pendant que je parle, c’est pareil finalement. Je veux juste qu’on m’accorde l’attention que je mérite. Je me suis déplacée, je suis présente physiquement, donc je devrais être prioritaire !”. Si la jeune juriste refuse d’en tenir le smartphone pour unique responsable, force est de reconnaître l’énorme potentiel de ce dernier pour perturber un moment de sociabilité.

Crédit Getty
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L’un des grands responsables : la réception de notifications qui créé la tentation de la connexion. “On choisit de les installer, mais elles nous rappelent sans cesse à l’ordre. Surtout celles en lien avec l’actu, qui font qu’on est au courant de choses parfois trop rapidement et à des moments que l’on a pas choisis”, explique Michael Stora, co-auteur du livre Hyperconnexion et fondateur de l’Observatoire des Mondes Numériques.

Avec le phubbing, personne n’est gagnant

Mais il est aussi courant de voir des personnes consulter leur téléphone sans y avoir été incitées. Un simple réflexe ? Plutôt une pulsion pour Jessica Rolland, qui explique que les accros au smartphone “ont besoin de le consulter fréquemment pour se rassurer”. “Ils ont peur de passer à côté d’une information, d’un message ou d’un like. On appelle ça le “FOMO” : Fear Of Missing Out, littéralement “la peur de manquer quelque chose””, explique l’auteure du livre Objectif Digital Détox.

Pourtant, en restant connectées virtuellement, ce sont les moments de la vie réelle que les personnes adeptes du phubbing risquent de “manquer” : selon une étude de Deloitte datant 2017, 81 % des Français déclarent se servir de leur smartphone pendant les repas en famille ou avec des amis . Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes ne sont pas forcément les premiers : “Les études prouvent que toutes les tranches d’âges et tous les types de personnes sont concernées, car cela révèle souvent une addiction aux écrans, ou au smartphone.[…] Même les retraités en font désormais les frais !”.

Crédit Getty
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Paradoxalement, les personnes qui adoptent ce comportement ne semblent pas le trouver véritablement épanouissant : “Ils s’intéressent moins au moment présent et aux gens qui les entourent. […] Par exemple, lorsqu’ils mangent avec leur famille avec le téléphone portable dans la main, ils reconnaissent avoir moins profité du repas et être passés à côté de quelque chose… “, explique Jessica Rolland.

Le phubbing, ou l’art d’éviter les affects négatifs

Alors pourquoi continuer le phubbing ? Peut-être parce qu’à défaut d’y trouver un réel plaisir, certains y trouvent une vraie utilité. Comme celle de reprendre le contrôle sur une situation. “Ouvrir son téléphone, c’est une façon d’éteindre ce qui se passe en soi, de fermer la page, d’éviter les affects négatifs etc” décrypte pour nous Michaël Stora, qui exerce également comme psychologue. Une porte de sortie bien pratique lorsque l’on fait par exemple face à “quelque chose que l’on ne peut pas entendre” lors d’une conversation. Et la stratégie d’évitement peut être contagieuse, comme l’explique George, 24 ans. L’étudiant en médecine s’est rendu compte que “lorsque quelqu’un se met à regarder son smartphone, [il a] tendance à en faire de même”. “Comme s’il [lui] était difficilement supportable de rester à attendre que la personne [lui]accorde de nouveau son attention. Comme une petite sensation de vide…”. C’est dire les sentiments désagréables qui peuvent s’éveiller chez les personnes qui sont mises sur “pause” malgré elles.

Camille, 24 ans, avoue elle se servir du phubbing pour faire passer quelques messages. Et notamment “Montrer qu'[elle] veu[t] mettre fin à une conversation, avec [s]es collègues de travail par exemple… “. Difficile donc de savoir si le phubber auquel on a à faire tente de nous faire taire, ou s’il s’agit juste d’un accro au smartphone. Dans le deuxième cas, pourquoi ne pas tenter de prendre le contrepied en recréant du dialogue autour ? “N’ayons pas peur d’ouvrir nos portables ensemble. Ce n’est pas parce qu’on est sur des écrans différents que l’on est pas ensemble”, conclut Michaël Stora qui refuse de s’alarmer. “À ce sujet, les ados nous donnent des leçons : ils se montrent des vidéos sur leur smartphone, qui sont ensuite reprises par les mots. C’est aussi un espace de partage…”

Wassila Djellouli