Vêtu d’un costume passe-partout, Bart le mutique est un homme sans qualités. Un beau jour, il quitte son studio pour toujours, direction le palais de justice de Paris, où rien ni personne ne l'attend. C'est ici qu'il vivra désormais, en passager clandestin. La nuit, il dort dans un faux plafond des toilettes. Le jour, il se fond dans le public, assiste aux spectacles tragiques des audiences. Il passe de procès en procès, des comparutions immédiates aux Assises, des affaires de mœurs à celles de terrorisme. Planqué parmi les familles des victimes et des accusés, il nous détaille la grande comédie de la justice : son théâtre, les rôles assignés à chacun, et comment, au fil des affaires, il voit les mêmes scénarios se dessiner, la même roue du destin s'abattre sur les « prévenus », plus souvent dirigés aujourd'hui qu'hier vers la case prison, même pour des délits mineurs, même en quinze minutes chrono. Magistrats exsangues ou exaspérés, victimes véhémentes ou dépassées, accusés trop maladroits, trop habiles ou trop perdus, tout semble écrit d'avance. Mais lui, Bart, que fait-il ici ? Philosophe de formation, Joy Sorman a le génie de transformer ses expériences de terrain en textes romanesques. Né de sa fréquentation des salles d'audience, ce roman questionne notre responsabilité collective face à l'injustice. Toutes les affaires relatées, même les plus ahurissantes, sont véridiques. Reste l'énigme de ce Bart, double contemporain et inquiet du Bartleby de Melville : que fait-il ici ? Sera-t-il lui aussi broyé par la machine ? Le suspense est maintenu jusqu'au bout. – Dorothée Werner