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Mégenrage : "Quand, devant tout le monde, on vient vous chercher en vous appelant ‘Monsieur’, j'avoue qu'on se sent très mal"

Ne pas respecter les pronoms choisis par une personne, les mauvais accords, les mauvais mots genrés, le mauvais prénom... Ces pratiques entrent toutes dans la même catégorie : celle du mégenrage, une forme de transphobie parfois intentionnelle, parfois accidentelle, mais toujours violente à l'égard des concerné·e·s. Béatrice Denaes, journaliste et autrice, la subit régulièrement depuis qu’elle a entamé sa transition, et elle est loin d’être la seule.

"Après une transition, dans des salles d'attente, quand on présente sa carte vitale qui n'est pas encore changée, et que l'on précise pourtant à l'accueil qu'elle n'a pas été modifiée, et qu'on nous répond ‘Oui oui, bien sûr’, pour au final, devant tout le monde, venir vous chercher en vous appelant ‘Monsieur’, j'avoue qu'on se sent très très mal." Cette situation, vécue par la journaliste Béatrice Denaes, les personnes trans la subissent au quotidien, tout simplement parce qu’ils et elles ne se retrouvent pas dans le genre qui leur a été assigné à la naissance en raison de leurs organes génitaux.

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Contrairement à ce que certain·e·s laissent entendre, la transidentité et la non-binarité (qui fait partie des différentes formes de transidentité) ne sont pas des "phénomènes de société" : ce sont des réalités pour de nombreuses personnes, qui ont longtemps gardé le silence sur qui ils et elles étaient vraiment. Pourquoi ? Parce que dans notre société, les membres de la communauté LGBTQIA+ sont toujours mal considéré·e·s, victimes de moqueries, de harcèlement, d'agressions, de violences. Pourtant, grâce aux réseaux sociaux, à l'ouverture des mentalités, et grâces aux stars qui donnent l'exemple et permettent de mettre en avant ces parcours, les personnes trans, binaires comme non-binaires osent petit à petit sortir de l'ombre, réclamant leur droit d'être qui ils et elles sont, et le droit au respect de la part des personnes qui s'adresses à elles et eux. Et ce respect passe avant tout par les bons pronoms, les bons accords, le bon prénom.

Le mégenrage, c'est quoi ?

Le mégenrage, c'est le fait de ne pas utiliser les bons pronoms pour s'adresser à une personne, que celle-ci se genre au féminin, au masculin ou de manière neutre. Si plusieurs langues possèdent des termes neutres, ce qui facilite grandement les choses, le français reste une langue extrêmement normée, où rien n'est neutre, ou presque, ce qui rend les choses compliquées. Toutefois, depuis maintenant plusieurs années, les concerné·e·s par ce besoin de neutralité ont proposé différentes pistes : les pronoms neutres "iel" et "ael", l'écriture inclusive... Les options existent, même si elles ne font pas encore officiellement partie de la langue française, et sont d'ailleurs de plus en plus utilisées, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias. La preuve avec Médiapart, qui a récemment décidé de se doter d'une "gender editor", Lenaïg Bredoux. Cette dernière est en charge de "coordonner le travail de nos journalistes et pigistes sur les discriminations de genre, la révolution féministe et les violences faites aux femmes, avec le pôle Enquête et le pôle Société."

Il existe deux principaux types de mégenrage. D'un côté, il y a celui lié à l'inattention ou à la maladresse, et est généralement celui fait par les personnes de l'entourage proche d'une personne qui n'utilise plus ses pronoms assignés à la naissance, et qui n'ont pas encore l'habitude ou le réflexe de faire appel au bon genre choisi par leur interlocuteur ou interlocutrice. Le second, lui, est nettement plus malveillant : il est utilisé par les personnes qui refusent en bloc la transidentité. Le cas a été mis en avant par le récent coming out d'Elliot Page, de nombreuses personnes choisissant de continuer à appeler l'acteur par son "deadname" (prénom assigné à la naissance et modifié par le principal intéressé) et à utiliser des pronoms qui ne lui correspondent plus, en dépit de sa volonté.

Une forme de violence au quotidien

Interrogée par Yahoo, la journaliste Béatrice Denaes a évoqué avec émotion le mégenrage qu'elle a subit et qu'elle subit encore aujourd'hui. "Une violence au quotidien que l'on vit toutes et tous quand on fait notre transition et qu'on n'a pas encore les papiers qui correspondent à notre sexe", décrit l’autrice du livre Ce corps n’était pas le mien (ed. First). "C'est vraiment pénible", confie-t-elle avec émotion, d’autant que : "Parfois, on sent aussi que certains prennent un malin plaisir à mégenrer, et c'est vraiment insupportable."

Cette violence, elle passe aussi par les réflexions que les personnes concernées peuvent subir de la part de leur entourage, ainsi que l'explique Sevan : "Au moment de mon coming out, j'ai dit que je voulais être genré·e au neutre exclusivement, ou ne pas être genré·e du tout. Puis, j'ai eu des réflexions de la part de personnes cis, qui m'ont dit que c'était compliqué de s'adapter." Dans une volonté de faciliter les choses à son entourage, iel leur a exprimé la possibilité d'utiliser "elle et il, avec les accords au féminin et masculin en alternance", mais une fois encore, cela n'a pas convaincu certaines personnes : "Je me retrouve avec des gens qui continuent de me genrer strictement au masculin. Et du coup je ressens de la gêne, ça ne me va pas. Ce n'est pas horrible non plus, car j'ai intériorisé le fait d'être genré·e au masculin, mais je le supporte de moins en moins. Quand l'autre sait que je suis non-binaire et qu'il me mégenre, je le prends comme une forme de paresse, comme si je ne méritais pas cet ‘effort’..."

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Selon iel, ce manque d'effort de la part de ses interlocuteurs et interlocutrices pourrait par ailleurs être dû au manque de connaissances (et de reconnaissance) du grand public au sujet de la non-binarité, puisque beaucoup de personnes ignorent qu'il s'agit d'une forme de transidentité : "La transidentité binaire, au final, ça reste dans ce que les gens connaissent. Si c'est pas il + masculin, c'est elle + féminin. C'est un réflexe à avoir mais ça se fait plus naturellement que le neutre, surtout dans une langue très genrée comme le français."

Un acte transphobe aux conséquences graves

Ceux et celles qui n'utilisent plus le genre qui leur a été assigné à la naissance sont les premiers·ères à le reconnaître : s'adapter n'est pas toujours chose facile. Mais c'est pourtant un acte nécessaire pour leur épargner une véritable forme de violence, qui peut avoir de véritables conséquences. "Mégenrer quelqu'un, c'est nier expressément son identité", affirme Camille, homme trans de 28 ans. "Cela revient à exclure totalement la personne pour ce qu'elle est, nier son ressenti, mais aussi à entraîner un véritable mal-être qui peut entraîner une dépression."

Le jeune homme évoque notamment les risques de dysphorie de genre, un terme médical qui décrit, selon le manuel de l'Association américaine de psychiatrie (APA) "la détresse de la personne transgenre face à un sentiment d'inadéquation entre son sexe assigné et son identité de genre". "Être un homme dans un corps d'apparence féminine, c'est déjà compliqué à gérer pour moi, qui n'ait pas encore pu faire de chirurgies pour ‘déféminiser’ mon corps. Alors, quand des personnes refusent de me genrer correctement, cela renforce cette impression d'être dans un corps qui ne me correspond pas." Stress, isolement, anxiété, auto-mutilation, mauvaise estime de soi, dépression, suicide... Les conséquences de la dysphorie de genre sont nombreuses, et elles sont renforcées par le mégenrage : "Que ce dernier soit volontaire ou pas, c'est toujours difficile à gérer, car cela montre que les personnes qui nous mégenrent ne nous considèrent pas pour ce que nous sommes." En 2019, une enquête menée par l'Université de Bordeaux affirmait que 77% des personnes trans avaient déjà subi une forme ou une autre de mégenrage.

Face à cette violence de la société, certaines personnes ont même renoncé à rendre publique leur transidentité. C'est le cas de Morgane, personne non-binaire qui n'a pas souhaité faire son coming out auprès de ses proches : "Quand je vois comment la société considère la non-binarité, cela me freine. Je n'ai jamais avoué ma non-binarité justement de peur de susciter des réactions violentes, de la part de ma famille notamment." Un secret qui commence à peser sur ses épaules : "La construction sociale de genre veut que je sois un homme, et on s'attend donc à ce que je pense et réagisse comme un homme, alors que justement j'ai des aspirations et une façon de voir les choses qui ne sont pas structurée par cette construction sociale." Mais pour certain·e·s, mieux vaut subir cette construction sociale imposée par son genre assigné à la naissance, plutôt que de se confronter aux violences d'une société transphobe.

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