Un ministre mis en examen doit-il démissionner? De Mitterrand à Macron, des principes très variables

Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti en visite à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), le 23 août 2022 - Emmanuel DUNAND © 2019 AFP
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti en visite à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), le 23 août 2022 - Emmanuel DUNAND © 2019 AFP

Renvoi d'Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice, mise en examen du secrétaire général de l'Élysée, Alexis Kohler, le plus proche collaborateur d'Emmanuel Macron... Si le président de la République les maintient à leur fonction, la règle tacite en vigueur depuis 1992 sous le gouvernement de Pierre Bérégovoyest de demander la démission d'un ministre ou d'un collaborateur mis en examen - ou susceptible de l'être après l'ouverture d'une information judiciaire.

BFMTV.com revient sur ces ministres mis en cause par la justice qui ont souvent dû quitter leur poste - avec des fluctuations suivant le locataire de l'Élysée.

• Bérégovoy, Balladur, Jospin obligent leurs ministres à la démission

Bernard Tapie

Si juridiquement, rien n'oblige un ministre mis en examen à démissionner, Bernard Tapie est le premier à devoir se plier à l'usage lorsque Pierre Bérégovoy est Premier ministre. Alors ministre de la Ville, l'homme d'affaires est attaqué par son ancien associé Georges Tranchant pour "abus de biens sociaux" dans une société de distribution de la marque Toshiba. Quelques jours avant sa mise en examen, il démissionne de son poste en mai 1992, à la demande de Matignon. Après l'obtention d'un non-lieu, il réintègre le gouvernement quelques mois plus tard.

Gérard Longuet

Lorsqu'Édouard Balladur arrive à Matignon, il met ses pas dans ceux de son prédécesseur. Lorsque le ministre de l'Industrie Gérard Longuet est mis en examen pour "recel d'abus de crédit", il démissionne en octobre 1994. Il est finalement relaxé en 1998.

Dominique Strauss-Kahn

Lionel Jospin continue d'appliquer cette mesure avec Dominique Strauss-Kahn, dont il devance même la mise en cause par la justice. Alors ministre de l’Économie, ce pilier du gouvernement démissionne en novembre 1999, impliqué dans plusieurs affaires, dont notamment celle de la MNEF - une mutelle étudiante. Mis en examen un mois plus tard, DSK sera finalement relaxé en novembre 2001.

• Sous Chirac et Sarkozy, des ministres nommés et déjà mis en examen

Renaud Donnedieu de Vabres

La donne change sous Jean-Pierre Raffarin, lors du second quinquennat de Jacques Chirac qui n'hésite pas à promouvoir des élus mis en cause par la justice. Renaud Donnedieu de Vabres est nommé pour quelques semaines aux Affaires européennes alors qu'il est déjà mis en examen pour blanchiment d'argent et infraction à la législation sur le financement des partis politiques. Condamné en février 2004, il est nommé un mois plus tard au ministère de la Culture.

André Santini

Nicolas Sarkozy continue à prendre le virage amorcé par la droite. André Santini, déjà mis en examen pour détournement de fonds publics, faux et prise illégale d'intérêt est nommé secrétaire d’État chargé de la Fonction publique en juin 2007. Il est finalement relaxé en 2015.

Brice Hortefeux

Brice Hortefeux est de son côté maintenu dans ses fonctions, une fois condamné. Mis en examen en 2009 pour injures raciales et atteintes à la présomption d'innocence puis condamné, il reste pendant tout le temps de l'instruction ministre de l'Immigration puis du Travail, avant de devenir ministre de l'Intérieur. Il est finalement relaxé en seconde instance en 2011.

Éric Woerth

Seule exception : Éric Woerth. À l’été 2010, le ministre du Travail est mis en cause dans l'affaire Bettencourt et celle de l’hippodrome de Chantilly. Il affirme dans la foulée n'avoir "pas du tout pensé à démissionner". Quelques mois plus tard, à l'occasion d'un remaniement, il quitte cependant le gouvernement, avant d'être mis en examen en 2012. L'élu de l'Oise bénéficiera d'un non-lieu puis d'une relaxe totale dans les années qui suivent.

• Sous Hollande, retour à la démission des ministres

L'élection de François Hollande marque le retour de la jurisprudence Bérégovoy, avec un tempo parfois lent.

Jérôme Cahuzac

C'est le cas le plus emblématique. En décembre 2012, Mediapart affirme que le ministre du Budget Jérôme Cahuzac, en charge de la lutte contre l'évasion fiscale, a un compte en Suisse non déclaré. Le locataire de Bercy se défend pendant des semaines et affirme devant les députés, les ministres et même le président de la République n'avoir rien à se reprocher.

Mais l'ouverture d'une information judiciaire change la donne en mars 2013. François Hollande exige alors la démission de Jérôme Cahuzac. Il a été notamment condamné à 2 ans de prison ferme et 2 ans avec sursis. Bénéficiant d'un aménagement de peine, celui qui est redevenu médecin n'a jamais été incarcéré.

Aquilino Morelle

L'un des plus proches conseillers de François Hollande, Aquilino Morelle, est mis en cause en avril 2014. Mediapart affirme que le haut fonctionnaire aurait conseillé des laboratoires pharmaceutiques alors qu'il travaillait à l'Igas, un organisme public qui contrôle notamment les pratiques du secteur. Plus anecdotique mais très symbolique, le média assure également que cet intime du président aurait fait privatiser un salon de la République pour faire cirer ses souliers.

En réaction, le Parquet national décide d'ouvir une enquête préliminaire. Aquilino Morelle est alors contraint de quitter la présidence par François Hollande. Un an plus tard, l'affaire est classée sans suite.

Thomas Thévenoud

Quelques mois plus tard, Matignon annonce la démission du secrétaire d'État au Commerce extérieur, Thomas Thévenoud, dix jours à peine après son arrivée au gouvernement "suite à une situation découverte après sa nomination". Le ministre reconnaît alors des "retards" dans le paiement de ses impôts, avant que la presse ne révèle qu'il n'avait pas réglé sa note au Trésor public depuis des années. Thomas Thevenoud est définitivement condamné pour fraude fiscale en 2019.

Kader Arif

Dernier cas du quinquennat François Hollande, Kader Arif, le secrétaire d’État en charge des Anciens combattants, un intime du président. Visé par l'ouverture d'une enquête préliminaire sur des marchés publics attribués à des proches en septembre 2014, il est maintenu à son poste jusqu'à la perquisition à son domicile deux mois plus tard. L'Élysée lui demande alors sa démission. Son procès aura lieu dans les prochaines semaines.

• Sous Macron, des principes variables

"Dans le principe, un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu'il est mis en examen", avait affirmé celui qui était alors candidat sur France 2 pendant la campagne présidentielle. Dans les faits, Emmanuel Macron n'a pas forcément appliqué cette règle.

Richard Ferrand

Au début du mois de mai 2017, Le Canard enchaîné révèle que les Mutuelles de Bretagne que dirigeait Richard Ferrand auraient reçu de l'argent public, n'empêchant pas ce très proche du président d'être nommé au gouvernement fin mai. Mediapart assure également quelques semaines plus tard qu'il aurait en plus favorisé sa compagne, lui permettant d'acquérir un bien immobilier.

Si la justice ne se saisit pas tout de suite de l'affaire, Richard Ferrand est exfiltré vers la présidence du groupe La République en marche avant d'être élu au Perchoir. Il est mis en examen en 2019 tout en se maintenant à la tête de l'Assemblée nationale. Les faits ont été jugés prescrits par la justice. Saisie, la Cour de cassation devrait annoncer le 5 octobre sa décision sur la prescription des faits.

François Bayrou, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez

Les élus Modem ne bénéficient pas de la mansuétude d'Emmanuel Macron. À peine nommés au gouvernement, le patron du Modem et ministre de la Justice François Bayrou et deux de ses proches - Sylvie Goulard (ministre de la Défense) et Marielle de Sarnez,(ministre des Affaires européennes) - sont mis en cause dans l'affaire des assistants parlementaires au Parlement européen.

Cinq semaines plus tard, au lendemain des élections législatives, ils démissionnent. Les élus centristes seront mis en examen deux ans plus tard pour "complicité de détournement de fonds publics". L'instruction est close depuis mars dernier. La décision finale sur la tenue d'un procès revient à la juge d'instruction saisie du dossier.

Alain Griset

L'ancien ministre des PME Alain Griset a lui aussi bénéficié d'une certaine souplesse. Trois mois après sa nomination à l'été 2020, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique transmet au procureur de la République un signalement pour un possible abus de confiance.

En février 2021, deux enquêtes pour abus de confiance sont ouvertes et le logement privé du ministre à Bercy est perquisitionné. Maintenu à son poste, il présente finalement sa démission en décembre dernier, le jour de sa condamnation à six mois de prison avec sursis et une peine d’inéligibilité de trois ans assortie du sursis.

Éric Dupond-Moretti

Arrivé lui aussi au gouvernement à l'été 2020, Éric Dupond-Moretti est mis en examen en juillet 2021 pour prise illégale d'intérêt. Le garde des Sceaux est accusé d'avoir profité de sa fonction pour régler des comptes avec des magistrats avec lesquels il a eu maille à partir lorsqu'il était avocat, ce qu'il réfute. Emmanuel Macron lui réaffirme à plusieurs reprises sa confiance, voyant dans "la justice, une institution, pas un pouvoir".

Le ministre a été renvoyé lundi devant la Cour de justice de la République - une première pour un ministre en exercice. "Élisabeth Borne m'a réaffirmé hier toute la confiance qu'elle me portait", a-t-il mis en avant ce mardi au micro de BFMTV, affirmant encore que le "dossier" de l'instruction était "vide".

Alexis Kohler

Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée a lui aussi été mis en examen ce lundi. Elle intervient à la suite d'une plainte de l'association Anticor en 2018, pour des liens entre Alexis Kohler et l'armateur italo-suisse MSC. Cette affaire vise les liens familiaux et professionnels d'Alexis Kohler avec cette entreprise fondée et dirigée par les cousins de sa mère. Dans un communiqué, les avocats d'Alexis Kohler écrivent qu'il "conteste avec force avoir commis tout délit". Sa démission n'est actuellement pas à l'ordre du jour, a fait savoir la présidence.

Article original publié sur BFMTV.com