"Pour les Néo-Zélandais, les Français sont toujours ceux qui cassent les c... en Coupe du monde", se marre Uini Atonio

Ses débuts ovales, en Nouvelle-Zélande

"Quand on était jeunes, avec mon grand frère, on jouait toujours ensemble. Il a deux ans de plus que moi, il m’emmenait toujours avec lui au rugby. J’étais son… Je faisais tout. C’est moi qui emmenais ses crampons, c’est moi qui les nettoyais à chaque fois. J’étais toujours surclassé car notre père ne pouvait pas faire deux matchs dans la même journée. A cinq ans, j’étais avec les U8. Il y avait déjà des vrais plaquages, on jouait sur une moitié de terrain. Des souvenirs que je n’oublierai jamais. C’était n’importe quoi ! (rires) Le mec qui plaquait le plus, c’était le meilleur. Celui qui portait le plus, on lui donnait le ballon à chaque fois."

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Rugbyman professionnel, une vocation naturelle

"Je regardais toujours le Super Rugby et les matchs internationaux quand j’étais petit. J’ai toujours voulu me retrouver sur un terrain filmé par des caméras, c’était mon rêve d’être dans la télé. Mes parents étaient trop contents. Plus ça allait, plus je voyais le rugby comme mon avenir. Mon père disait toujours : « soit tu vas à l’école, soit tu joues au rugby à fond ».

Mon frère et moi étions scolarisés dans une école de rugby, avec trois cent autres enfants : le Winsley college. Plein de pros y sont sortis, comme Jonah Lomu… Le rugby était toujours la priorité, comme si tu étais en club. Dès 12, 13 ans, on était déjà très, très compétitifs. On gagnait déjà des titres. Les autres équipes, dès qu’elles nous voyaient, ne voulaient plus jouer (rires).

A partir de 16 ans, on tombait en phases finales face à l’équipe de Tawera Kerr-Barlow (son coéquipier champion du monde 2015, à La Rochelle, NDLR). On a commencé à comprendre qu’on ne pouvait pas tout gagner. Malheureusement, j’ai perdu en demi-finale les deux dernières années contre Kerr-Barlow et son école. C’est là où j’ai commencé à ressentir le goût amer de la défaite. Je n’aimais pas perdre !"

Plusieurs années de galère… et d’anecdotes !

"En 2019, je n’ai pas été retenu avec les Baby Blacks pour la Coupe du monde U20 et j’ai donc fait le mondial avec les Samoa (ses parents y sont nés). On a perdu contre la France dans le match pour la 5e place. Je suis rentré en Nouvelle-Zélande, j’ai signé mon premier gros contrat Academy (aux Counties Manukau). C’est l’équivalent d’un contrat espoirs en France. Et en même temps, je jouais au rugby à X et je suis même parti jouer à Hong Kong pendant deux saisons.

Quand je suis rentré en Nouvelle-Zélande, je faisais un peu de tout pour gagner de l’argent et aider la famille, vu que je n’avais pas poursuivi mes études. Quand tu signes ton premier contrat, tu es obligé de travailler à côté. Avec d’autres, on a trouvé un boulot de 'paysagiste'. En fait, on tondait toutes les pelouses. Ce qui est rigolo, c’est qu’on tondait des ronds-points, des écoles… Tout ce qu’on pouvait tondre, on tondait ! Il y a de l’herbe partout en Nouvelle-Zélande. Ça me faisait de la peine des fois car on croisait des filles que l’on connaissait, elles nous voyaient tondre des pelouses et elles disaient : « Non mais attends, normalement, c’est un rugbyman et le mec est en train de tondre un rond-point du quartier ».

Ça me fait rire aujourd’hui mais, à l’époque, on avait honte. On se cachait, on mettait des casques avec des fermetures devant pour ne pas que les gens nous reconnaissent (rires). Avec nos salopettes toutes dégueulasses, c’est mort, tu ne dragues rien du tout ! Impossible. Mais je garderai ces souvenirs à vie. Avant d’arriver à gagner bien ma vie en jouant au rugby, je suis vraiment passé par des étapes et des années dures. Je ne vais pas dire des années de merde mais il faut vraiment travailler dur."

Sa rencontre invraisemblable avec Patrice Collazo, son mentor en France

"C’était sur un tournoi de rugby à X, à Hong Kong. Il arrive avec les French Barbarians et l’on se retrouve à jouer l’un contre l’autre. Lui jouait pilier, moi j’étais avec les trois-quarts. On s’est croisés dans un ruck, je lui ai déblayé la tête (rires). Il m’a mis une droite, on voulait se battre. Après le match, il a essayé de me dire en 'franglais' qu’il était entraîneur au Racing 92. Je lui ai répondu : « Non mais attends, tu viens de me mettre une droite et tu veux qu’on parle de rugby en France. Qu’est-ce-que tu veux ? » Il voulait que je vienne jouer pour son club… Mais je n’ai rien compris. J’ai juste dit « oui, oui, je t’appelle » mais on n’avait même pas échangé nos numéros (rires)."

Les coulisses cocasses de son arrivée en France

"Je ne sais pas comment Patrice a fait, il ne savait pas comment je m’appelais. Je crois qu’il a appelé son agent et ils se sont mis en contact avec tous les clubs en Nouvelle-Zélande pour me chercher et ils ont fini par me trouver ! Un jour, mon agent m’appelle pour me dire : « Collazo veut… ». Je lui dis : « Mais c’est qui ? ». Il me dit : « Celui que tu as rencontré à Hong Kong il y a quelques mois ! » (rires).

En 2010, « Collaze » m’appelle pour venir au Racing 92, en espoirs. J’étais encore en contrat en Nouvelle-Zélande. « Ecoute, je ne peux pas, mais peut-être plus tard ». A la fin de cette saison-là, je n’ai pas été pris avec les Chiefs de Waikato. J’étais au fond du seau, je voulais voir autre chose. J’ai appelé « Collaze » pour lui demander s’il voulait encore de moi. Il m’a dit : « J'ai signé à La Rochelle. Je peux te prendre en juin et tu attaques avec les espoirs en 2011. » Feu ! J’ai signé direct. C’était un jeudi. Le lundi matin, j’étais parti de Nouvelle-Zélande sans savoir où j’allais. J’ai regardé vite fait sur Google pour savoir où était La Rochelle. Je suis arrivé à Paris perdu comme tout.

C’est comme ça que ça s’est fait ! Et aujourd’hui, avec Patrice, on se parle encore. C’est le genre de relation que tu gardes à vie, c’est grâce à lui que je suis là aujourd’hui. Tout le monde me dit que Patrice est mon père. C’est mon père en France (sourire)."

Ses débuts compliqués mais finalement probants à La Rochelle

"Patrice ne voulait pas me faire jouer en équipe première parce qu’il me disait que je n’étais pas assez fort en mêlée. C’était vrai. Moi, je croyais que j’étais le meilleur mais pas du tout. Après trois matchs en Pro D2, je voulais arrêter de jouer pilier, en fait (rires). C’était trop dur ! Entre les matchs pas filmés et les marrons que tu prends tous les week-ends… Mais ça m’a formé.

Je suis très content d’avoir passé trois ans en Pro D2. Tu apprends différemment qu’en Top 14. Il y avait des matchs où il n’y avait pas de caméras. Quand tu reculais, de n’importe quelle façon, c’était ta faute, tu te faisais pénaliser. Du coup, ça t’apprend à… pas à tricher mais à avoir ce truc en toi qui te dit : « Non, je ne vais pas reculer ! ». La mêlée, c’est un métier dans le métier. Toutes les semaines, tu remets ta 'vie' en jeu." Le plus dur, c’est d’être consistant et régulier dans tes performances. Tu peux être le meilleur en mêlée une semaine et, la suivante, tu tombes sur un mec plus fort, plus technique ou qui a plus d’envie… et il te démonte, il te monte en l’air !"

Son arrivée surprise chez les Bleus

"Tout va aller trop vite. Un jour, Yannick Bru (alors adjoint du sélectionneur du XV de France, Guy Novès) contacte Patrice en disant : « Si La Rochelle ne monte pas en Top 14 en 2014, il faut que Uini trouve un club de Top 14. » Finalement, on monte cette année-là. Heureusement, sinon je ne pense pas que mon aventure avec La Rochelle aurait été la même. J’avais deux, trois propositions dans le Sud de la France.

J’ai dû faire sept, huit matchs de Top 14 et c’était déjà les tests de novembre. J’étais dans la liste de 32 ! J’y croyais sans y croire ! Je me disais qu’ils n’allaient jamais me prendre. Je n’avais pas encore mon passeport, j’étais jeune, je parlais à peine français… Mais, en fait, ces trois saisons en Pro D2 m’ont vraiment formé pour arriver à ce niveau et être au moins correct.

En arrivant en équipe de France, j’étais plutôt utilisé comme impact player. Il y avait des très bons piliers : Nicolas Mas, Rabah Slimani… J’étais déjà content d’avoir ce rôle et d’être en équipe de France. Pour les Néo-Zélandais, les Français sont toujours ceux qui cassent les cou***es en Coupe du monde (rires). D’ailleurs, je pense que l’histoire va se répéter le 8 septembre (sourire). Il y avait toujours des matchs où ils nous battaient de nulle part. Je pense au quart de finale en 2007 et la demie en 1999. Nous, on n’aimait pas les Français. Mais je savais que les Français étaient toujours bons. Du coup, je me suis dit : « ça fait trois ans que t’es là, t’es qualifié en équipe de France, profite à fond. » J’étais sur le banc pendant les tests de novembre, pareil pour les Six Nations."

Sa Coupe du monde 2015 frustrante

"En 2015, j’étais encore dans la liste des 32. J’étais très, très content de disputer ma première Coupe du monde à 25 ans. Avec une équipe qui a une belle histoire dans ce tournoi. Mais j’ai commencé à passer troisième dans la hiérarchie des piliers droits. Était-ce dû à mon profil ou au fait que je n’ai pas fait de bonnes prestations ? Je n’ai joué qu’un match. J’étais quand même content car le rêve de tout rugbyman est de jouer une Coupe du monde mais, après coup, je n’étais pas satisfait. L’envie d’être numéro 1 à mon poste était tout le temps dans ma tête. J’espérais devenir un jour le titulaire et être appelé tout le temps."

Sa longue traversée du désert en sélection

"En juin 2017, on va en Afrique du Sud et on perd trois fois, on prend trois fois 40 points… J’étais toujours impact player. En rentrant, j’ai pris un coup bas. Le staff ne me prenait plus en équipe de France. Le problème venait de moi. Je ne me prenais plus au sérieux, j’étais encore en train de 'faire le jeune'. Je me disais « Tu joues vingt à trente minutes, c’est bon tu peux faire ce que tu veux, tu manges ce que tu veux, tu peux faire des entraînements à 5/10, t’es quand même toujours sur le banc… »

C’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver de ne plus être appelé. J’ai ouvert les yeux. En club, j’étais le meilleur mais quand j’arrivais en équipe de France, j’étais toujours remplaçant. Je me suis dit que ce n’était pas possible. En 2018, Jacques Brunel m’amène en tournée en Nouvelle-Zélande. J’ai fait les trois matchs titulaires, on a pris 40 points mais je pense avoir fait un tournoi assez correct. Avant la Coupe du monde 2019, je me suis dit que j’allais être dans l’équipe. Mais je n’étais pas dans les 34 ! Ça ne m’a pas dégoûté mais je ne voulais plus aller en équipe de France."

Sa renaissance, fin 2020

"Pendant deux ans, je me suis remis en question, j’ai travaillé à fond sur mes points faibles. Vous ne voulez plus que je vienne ? Je vais tout faire pour être le meilleur à mon poste en Top 14 et être consistant chaque semaine ! J’ai tout donné en 2019, 2020, 2021. Finalement, ça a payé quand Fabien Galthié est arrivé au poste de sélectionneur.

Pourtant, je n’étais pas dans sa première liste. Mais ça ne me faisait plus 'chier'. Je me suis dit : « C'est comme ça. Il faut juste que tu gagnes quelque chose avec le club pour finir ta carrière avec au moins un titre ». J’ai tout donné et, en fin 2020, j’ai eu ma chance. C’était bizarre car je faisais partie des plus vieux. Derrière, ils avaient tous 20 ans. J’ai gagné ma place car j’ai montré mon leadership pendant la finale de l’Autumn nations cup contre l’Angleterre. Je suis entré juste avant la mi-temps et j’ai fait les deux prolongations. Après ce match-là, le staff m’a vraiment pris au sérieux. J’ai continué à travailler. Aujourd’hui, ça marche bien. Je suis plutôt pas mal en équipe de France."

Son Mondial 2023, celui de " la dernière chance"

"J’ai quasi loupé les deux précédentes Coupes du monde (2015, 2019), j’ai fait les préparations mais je n’ai joué qu’un seul match. Je vais tout donner pour être à ma meilleure forme et faire les meilleurs matchs possibles. C’est l’un des tournois où je n’ai jamais été fort, où je n’ai jamais passé un bon moment. C’est ma dernière chance, ma dernière Coupe du monde. Je suis près de la fin que du début, je vais tout donner. C’est un avantage d’être à la maison. On est sur une très belle génération. J’espère que cette année est la bonne."

France – Nouvelle-Zélande, une rencontre forcément à part

"Ma famille était contente du tirage au sort. Mon père m’a appelé direct en me disant : « T’as vu ? La France joue contre les Blacks le premier match. Ça va être dur ! » Je lui ai dit : « Ça va, ce n’est pas… » (sourire). Dès l’entrée, tu tombes sur les Blacks, c’est parfait, tu ne peux pas commencer mieux ! Tu commences avec la plus grosse équipe au monde. C’est un vrai test. Ce premier match, tout le monde veut y être.

Avant, ça me faisait bizarre de jouer la Nouvelle-Zélande. J’ai joué avec et contre la plupart des joueurs qui étaient avec les Blacks. Aujourd’hui, il y en a de moins en moins. Je crois que même eux me voient comme un Français. J’ai passé un tiers de ma vie ici et, aujourd’hui, je me comporte plus comme un Français qu’un Néo-Zélandais.

Ce qui me fait toujours bizarre, c’est quand j’entends l’hymne en étant en face. Mais c’est trop bien. Quand j’étais jeune, à l’école, j’étais 'obligé' de chanter tous les jours l’hymne national. C’était rituel, avant l’église. Si je ferai le haka le 8 septembre ? (rires) Non, pas le haka, c’est bon… Quand ils font le haka, je ne regarde même plus. Mais le haka me donne les frissons."

Article original publié sur RMC Sport