Où trouver un jean éco-responsable ?

Particulièrement polluante, la fabrication du jean est en train de se transformer pour répondre aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants. Soixante : c'est le nombre de jeans vendus chaque seconde dans le monde. Soit 50 millions par an, rien qu'en France. Pièce intemporelle, à l'histoire chargée d'icônes glamour et souvent associée aux grands changements culturels et économiques du monde, le jean a eu mille vies et connu de multiples mues. Aujourd'hui, cette toile de tissu indigo cristallise toutes les interrogations sur l'impact négatif de la mode sur la planète. À raison : la fabrication d'un jean nécessite en moyenne plus de 10 000 litres d'eau, ainsi qu'une flopée de produits chimiques hautement polluants et parfois nocifs pour la santé des manufacteurs. À cela s'ajoute le bilan carbone désastreux, car étant principalement fabriqué à l'étranger, le jean parcourt souvent plus de 65 000 kilomètres avant d'arriver dans nos garde-robes.Mauvais élève green, il a pourtant fait des efforts ces dernières années pour redorer sa réputation et conquérir de nouveaux marchés. « La prise de conscience écologique des acteurs de l'industrie du jean remonte à une dizaine d'années, mais on sent une vraie accélération ces derniers mois. Toutes les marques sont obligées de proposer une offre attentive aux questionnements actuels », souligne Pascaline Wilhelm, directrice mode du salon professionnel Première Vision, dont une édition entièrement axée sur le jean voyage en Europe chaque année depuis 2007. Géraldine Bouchot, directrice éditoriale tendances chez Carlin Creative, confirme : « La pression sociétale est telle qu'il serait aujourd'hui irresponsable de la part des labels de mode de ne pas montrer leur prise de conscience. Les consommateurs attendent d'eux une démarche volontariste. » Comme celle de Maje, par exemple, qui sort ces jours-ci la capsule First Stone, dédiée au denim éco-responsable. « Aujourd'hui, de nouvelles techniques de production permettent de réduire considérablement la consommation d'eau et de produits chimiques à l'étape du délavage », explique Judith Milgrom, la fondatrice et directrice artistique de la marque parisienne. Concrètement, l'eau est remplacée par de l'ozone pour délaver le denim en rongeant l'indigo, selon la créatrice. Cet ozone est à nouveau transformé en air, ce qui le rend biodégradable. Tout cela permettrait de réduire de 95 % la consommation d'eau et de 50 % celle de produits chimiques. Les étapes de délavage et les finitions utiliseraient 79 % d'énergie en moins grâce aux panneaux solaires.Des solutions concrètes pour un denim responsableDifférentes solutions concrètes sont donc à la disposition des marques désormais. « Les matières premières comme le coton ou l'élasthanne sont facilement accessibles de manière recyclée ou biologique détaille Pascaline Wilhelm. Il existe également du polyamide à base d'huile de ricin, donc issu de ressources renouvelables. On sait aussi travailler les teintures avec très peu d'eau : les Japonais sont très au point dans ce domaine. Le coton biologique a encore mauvaise réputation car il consomme beaucoup d'eau - même si c'est entre 10 % et 50 % de moins que la culture du coton classique. Mais chaque initiative doit être saluée. Certaines usines étrangères sont très au fait de ces innovations. Il y a au Bangladesh des entreprises familiales formidables. » Si le géant de la fast-fashion H&M a longtemps été pointé du doigt, l'entreprise suédoise revendique aussi des investissements importants pour une production plus respectueuse de la nature. Elle affirme que le coton utilisé pour les vêtements est bio, recyclé ou issu de l'initiative Better Cotton*. Son objectif étant d'utiliser 100 % de ces matières d'ici à 2020 contre 95 % aujourd'hui. L'enseigne s'est également récemment associée à la Fondation Ellen MacArthur pour promouvoir l'initiative Jeans Redesign qui définit les exigences minimales pour les jeans, en ce qui concerne la durabilité, la sécurité des matériaux, la recyclabilité et la traçabilité.Des labels indépendants ont quant à eux choisi de concentrer leur activité autour du jean responsable. C'est le cas de la marque 1083, à Romans-sur-Isère (26). Son fondateur, Thomas Huriez, s'est lancé dans l'aventure dès 2013 : « Le jean est le produit le plus populaire dans le monde, et cela me semblait aberrant qu'il soit encore si nocif pour la planète. » Le jeune entrepreneur organise alors une campagne de financement participatif pour créer ses premiers modèles, confectionnés en France. Car il plébiscite l'économie circulaire. « Chacune de nos étapes de production est pensée sur le principe du circuit court. La fabrication d'un jean compte huit étapes - la culture du coton, la filature, la teinture, le tissage, l'ennoblissement, la coupe, la confection et le délavage. Nous oeuvrons sur chacune de ces étapes. Malheureusement, nous ne sommes pas producteurs de coton en France, il faut donc trouver des solutions. En plus du coton bio, nous détissons d'anciens modèles pour récupérer la matière première. Notre délavage s'effectue au laser, fonctionnant lui-même grâce à de l'énergie renouvelable. Nous travaillons par ailleurs avec des entreprises de tissage et de filature françaises. Nous avons ainsi créé plus de 150 emplois », se félicite Thomas Huriez, qui salue la transparence exigée par les consommateurs actuels . « Ce sont aussi eux qui font bouger les choses, et je crois beaucoup en cette proximité. Nous avons ouvert l'an dernier, à Romans-sur-Isère, L'École du jeans qui forme les couturières et nous ouvrons régulièrement nos portes au public, très demandeur. » Il croit aussi à la solidarité entre professionnels du secteur : « Nous travaillons en collaboration avec Saint James notamment. Ils font nos pulls, nous fabriquons leurs jeans ! » Pour Géraldine Bouchot, le jean a aussi l'avantage d'être plus beau, donc plus désirable, une fois patiné par le temps : « Il s'inscrit dans le plébiscite actuel des pièces vintage. Les puristes vous le diront : les plus beaux jeans se trouvent aux fripes ! » Et certains labels ont d'ailleurs fait de cet engouement leur modèle économique. Lancée à Los Angeles en 2014, la marque Re/Done imagine des modèles à partir de vieux Levi's. Une technique de plus en plus plébiscitée par les marques : la collection printemps-été 2020 de Givenchy proposait en effet une série de robes et de pantalons façonnés à partir de jeans vintage. Autant de signaux encourageants, même s'il reste encore fort à faire.* Organisation à but non lucratif visant à créer une alternative plus responsable au coton conventionnel.