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Odile Vuillemin (Un Homme Parfait) : "Une fois que le spectateur se met à la place de Daphné et se pose des questions avec ses tripes, ça vaut tout les discours du monde"

Un Homme parfait est adapté du roman Un fils parfait de Mathieu Menegaux. Qu'est-ce qui vous a donné l'envie de vous emparer de ce sujet ?

Guillaume Bernard, producteur : C’est un deuxième roman d’un auteur qui débute, on avait beaucoup aimé son premier livre, mais on ne pouvait pas l’adapter pour la télé parce qu’il était trop noir. Dès que le second est sorti, on l’a tout de suite lu et on l’a adoré. C’était un sujet qui nous faisait peur, mais qu’il nous semblait important de traiter. Et on a la chance d’avoir cette case sociétale sur France 2 qui nous permet de faire des films exigeants, où on a l’impression de faire un peu plus qu’un film en ayant une vraie responsabilité, et c’est aussi le rôle du service public. On a pris deux autrices confirmées et très talentueuses, Dominique Garnier et Françoise Charpiat, pour l'adaptation, et très vite on a mis un réalisateur dans la boucle. Vu la complexité du projet, on voulait réfléchir en amont tous ensemble pour aller dans la même direction.

Didier Bivel, réalisateur : On avait tous le même point de vue sur le film. J’ai eu très peur à la lecture du scénario, mais c’était un besoin absolu de raconter cette histoire et on en avait tous envie. On l’a fait de façon très intelligente, en faisant attention à tout le monde, on s'est tous écoutés. On a voulu viser haut parce qu'on ne peut pas se tromper sur ce genre d’histoire. Je ne sais pas si on a réussi, mais c’est ce qu’on a essayé de faire.

Comment mettre en images un sujet aussi difficile ? Comment choisir ce qu’on montre et ce qu’on ne montre pas ?

Didier Bivel : Il y a eu un vrai travail d’écriture pour savoir jusqu’où on pouvait aller, en accord avec la chaîne. Sur le tournage, on a essayé de se poser les bonnes questions, guidé par cet impératif de qualité, tout en restant dans le cadre de la télévision. Il y a des choses qu’on peut dire, il y a des choses qu’on ne peut pas montrer, qu'il faut suggérer… C’était l’enjeu du film : rendre compte de la violence de la situation sans perturber le spectateur.

A-t-il été facile de convaincre la chaîne ? 

Guillaume Bernard : Oui, on a été très étonnés. On avait déjà fait un film sociétal très fort avant, mais ce projet-là était particulièrement âpre. France 2 s’en est tout de suite emparé, et on a pas du tout eu de frein de leur part. Sans tomber dans le mélo ni le sentimentalisme, ils nous ont permis de traiter frontalement le sujet, en s'ancrant dans la réalité. La requalification de l’acte d’inceste dans la loi faisait l’actualité à ce moment-là, mais plus généralement il y a une volonté de la part du service public d’aborder des grandes thématiques sociétales, souvent en les accompagnant de débats.


Avez-vous immédiatement pensé à Odile Vuillemin pour le rôle de Daphné ?

Guillaume Bernard : Tout de suite, oui ! (rires) On l’avait vu dans beaucoup de films et on l’avait trouvée très talentueuse, capable de porter un sujet que toute actrice ne peut pas porter. Ca a été instinctif; pour nous Odile devait incarner ce personnage-là.

Odile Vuillemin : C’est toujours pour ma pomme !

Charles Bernard, producteur : La problématique, c’était pas de savoir quelle comédienne allait l’interpréter, mais est-ce qu’Odile Vuillemin allait accepter le rôle. (rires) 

Dans L’Emprise sur TF1, vous portiez déjà un rôle très difficile pour un sujet de société. Pourquoi avoir accepté ce rôle-là ?

Odile Vuillemin : Deux choses, en fait : techniquement, aucune comédienne ne rêverait pas de se voir proposer ce genre de rôle,  c’est un challenge formidable donc rien que pour ça, ce serait con de ne pas y aller; et ensuite c’est mon côté ethnologue, c’est ce que je voulais faire avant d’être comédienne. On a l’opportunité en tant que comédien de refléter la société et de faire bouger les lignes. Je sais que quand j’avais tourné L’Emprise, c’est une des seules vraies fois de ma vie où je me suis sentie utile, c’est un sentiment assez incroyable. Avec de la chance, Un Homme parfait aura le même parcours.

Pensez-vous que la fiction peut créer du débat, faire avancer les choses ?

Odile Vuillemin : au-delà de créer du débat, la fiction, si c’est bien fait, force à le spectateur à ressentir. Tant que l’humain n’expérimente pas l’émotion, les beaux discours c’est bien mais ça ne descend pas dans le corps, donc c’est toujours très difficile de se projeter. Une fois que le spectateur se met à la place de Daphné et se pose des questions avec ses tripes, ça vaut tout les discours du monde. Oui, la fiction à cet endroit-là a un grand pouvoir, elle est populaire, ce qui la rend plus accessible que des textes de loi débattus l’après-midi dans l’hémicycle.

Charles Bernard : Oui et l’un des problèmes avec l’inceste est que s’il y a aussi peu de gens qui sont finalement condamnés, c’est que la plupart du temps les procès ont lieu très longtemps après les faits. Si tant est qu’il y en est. Parce qu'il y a une chape de plomb qui s’installe. Là, le fait que ce soit une petite fille qui, au moment où les actes sont commis, soit capable de le faire, permet de pouvoir entamer un combat judiciaire. S’il y a un message à passer là, c’est qu’il ne faut jamais taire ce genre de phénomène. La réaction d’Odile dans le film, c’est la réaction que toutes les mamans doivent avoir, c’est un vrai combat. Il faut en parler, ne pas cacher ça dans les secrets familiaux, sinon on n’arrive jamais véritablement à se reconstruire. Si ça peut aider un certain nombre de gens à briser l'omerta, on aura fait notre boulot.


Pensez-vous que les adultes et les enfants puissent communiquer autour de ce film ?

Guillaume Bernard : C'est le but, et d'ailleurs on l'a vécu à travers les jeunes comédiennes du film. Il y a eu tout un travail d'explication, et on a bien vu comment ça pouvait instaurer le dialogue entre elles et leurs familles. Elles étaient encadrées par des psychologues sur le tournage, ce qui est une procédure habituelle demandée par la Ddass pour ce type de film au sujet sensible. Evidemment, la première préoccupation de l'équipe était que les enfants soient préservés.

Odile, redoutez-vous que l'on vous enferme dans des rôles dramatiques et qu'on ne vous sollicite plus que pour cela ? 

Odile Vuillemin : Si vous avez envie de m'enfermer, enfermez-moi ! (rires) Tout le monde me pose cette question. La comédie, j'y reviendrai quand j'en aurai une qui me donnera envie d'y aller. Par ce que oui, tourner des trucs plus légers, avec plaisir, mais quand vous regardez les demandes des chaînes c'est souvent des sujets sociaux forts. Je n'ai pas encore eu la proposition de film d'époque ou la comédie qui m'a fait faire "waouh" plus que les autres. Effectivement, on a tendance à m'appeler pour des rôles qui nécessitent de vraies capacités de don de soi, et c'est plutôt flatteur... C'est à moi de dire non à un moment donné, mais quand on vous propose un rôle comme celui de Daphné, n'importe quelle actrice sensée serait bête de refuser.

Guillaume Bernard : Aussi, peu de comédiennes sont capables de jouer des rôles comme ça, où on ne peut pas se permettre une seule seconde de tricher parce que le sujet est trop grave, et il n'y a pas beaucoup de réalisateurs capables de filmer avec suffisamment de pudeur et de réalisme comme le fait Didier. Ce n'est pas évident de trouver des personnes capables de porter des projets aussi difficiles.

Un Homme Parfait : on a vu le téléfilm choc de France 2 avec Odile Vuillemin

Propos recueillis à Luchon le 8 février 2019