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Oyinda, prête à bâtir son propre empire

Rencontre avec l’audacieuse musicienne, mannequin et muse Oyinda qui imagine la B.O. des looks les plus excitants de l’automne.2020 a offert à de nombreux artistes une rare opportunité de ralentir, de réfléchir à ce à quoi ils tenaient le plus, mais aussi de s’immerger davantage dans leur processus créatif. « Coming up for air » (littéralement : refaire surface pour respirer) est la définition qu’Oyinda – étoile montante de la scène musicale – donne d’esprit créatif dans sa bio Instagram. Mais pour cette musicienne élevée à Londres et basée à New York, privilégier son expérience artistique est presque viscéral. Peu importe la date inscrite au calendrier.Au fil de ma conversation avec l’artiste britannico-nigériane, qui chante, écrit et produit la plupart de ses titres, une profonde réflexion méditative se dessine dans chaque aspect de son processus artistique. Notre dialogue fait écho aux débats qui ont fleuri sur la Toile autour de la reconnaissance d’une existence et d’une expérience noire dans son intégrité. Dès la sortie de son EP Restless Minds, en 2016, l’univers créatif d’Oyinda s’est imposé bien au-delà des studios d’enregistrement. Les arrangements sensuels et cinématographiques de l’opus, couplés à l’identité visuelle créée par l’artiste ont rapidement été adoptés par les scènes musicale, artistique et mode de New York. Elle a ainsi collaboré avec d’autres artistes et joué les mannequins pour des marques pilotées par des créateurs racisés. Sa fluidité créative et son charisme (sans oublier sa volonté de collaborer avec des précurseurs noirs) font d’elle le parfait sujet pour célébrer, en partenariat avec Balmain, le sac B-Buzz de la marque.La voix d’Oyinda résonne résolument avec les arts visuels. Lorsqu’on évoque sa musique, la jeune femme explique avoir trouvé l’inspiration dans le travail d’un célèbre peintre contemporain noir. Les immenses scènes et sculptures de l’artiste, qui dépeignent tout en nuances la vie noire américaine et sa culture, sont devenues les sources d’inspiration de la chanteuse. Cela a donné naissance à une mixtape de samples qui, comme elle le rappelle, est restée en production pendant quatre ans et s’apparentera à une « mue » avant la sortie d’un premier album, prévu pour 2021. « J’ai désormais l’espace nécessaire pour créer la musique dont j’ai envie, sans pression, explique-t-elle. Dans l’industrie musicale, vous êtes programmé pour produire, produire, produire, un cycle dans lequel je ne me suis jamais reconnue. J’ai toujours préféré prendre mon temps pour des choses aussi complexes et personnelles. »Le processus d’Oyinda fait totalement sens pour moi. Je suis également un musicien noir et indépendant, qui écrit et co-produit ses titres sans l’aide d’une grande maison de disques. Pour elle comme pour moi, il des standards artistiques « normaux » et des attentes de « perfection », mais ils sont toujours plus bien élevés pour les artistes racisés que pour leurs homologues blancs. Dans une industrie qui monte souvent les artistes féminines noires les unes contre les autres (vous êtes soit Queen B, soit rien du tout), il est révolutionnaire de prendre un peu de recul et de se concentrer uniquement sur son art. En tant qu’architecte de sa carrière (de la production à la direction créative de sa musique), Oyinda n’est limitée que par ses propres capacités créatives. Cette autonomie audacieuse la laisse libre de se présenter au monde de manière authentique. Faire les choses à sa manière permet à sa dimension artistique d’être perçue pleinement et puissamment comme celle d’une artiste noire.« Je préfère poster quelque chose et le supprimer ou l’archiver plutôt que devoir composer avec un projet dont je ne suis pas fière à 100 %. Parce qu’au final, il porte mon nom », affirme-t-elle. Cette logique du « poster et supprimer » prend tout son sens lorsque l’on pense au medium visuel qui influence le plus le travail d’Oyinda : le cinéma. Petite, elle a grandi en regardant des dessins animés japonais et des mangas, attirée par l’aspect narratif du genre, mais aussi par ses bandes-son et son trait. C’est alors devenu une obsession. Une passion qui, comme elle le dit désormais en plaisantant, a « inquiété » ses parents qui voulaient la voir devenir avocate.Je confie que lorsque j’ai commencé à faire de la musique alors que j’étais adolescent, mon père, noir américain, a plaisanté en me conseillant de ne pas démissionner de mon « vrai boulot ». Une anecdote à laquelle elle répond en riant : « Ma mère se contente de regarder, en retrait, pour voir ce que je vais faire ensuite, presque par curiosité. » Oyinda fait plus que jamais partie des filles à suivre. Ses clips sont aussi hypnotiques que la douce poésie qui les accompagne. L’un d’entre eux, Serpentine, évoque le concept thérapeutique de l’hypnose. En noir et blanc, il la met en scène dans la peau d’une patiente qui se voit en-dehors de son corps. « Behind his way, in silence/ Lies a vacant space, chante-t-elle, He hides between desire/And a will to fade ». Alors que la vidéo passe à la couleur, la chanson explose dans un tourbillon de synthés et la chanteuse apparaît en réalité virtuelle, transformée et renouvelée.« J’aime à penser qu’en créant chaque moment, j’imagine aussi la bande-son de ma vie. Je marque ainsi mon quotidien », explique-t-elle. Ce degré d’observation créative s’applique également au style d’Oyinda, une fusion harmonieuse entre les énergies masculines et féminines. Elle se sent aussi bien dans une veste structurée d’inspiration militaire aux épaules pointues que dans une robe diaphane qui accentue sa silhouette. À travers le large spectre musical couvert par l’artiste ainsi que son amour d’une mode audacieuse, Oyinda est une sorte de muse des temps modernes, pas si éloignée des icônes du Studio 54 qu’elle admire. Le pouvoir et la fluidité qui émanent de la dernière collection de la maison Balmain ne pourraient pas être plus en phase avec Oyinda. Et pourtant, en tant qu’artiste indépendante, elle était surprise d’apprendre que la maison de couture soutenait son travail. « C’est une bénédiction, dit-elle. Olivier Rousteing est l’un des deux seuls designers noirs à travailler pour une grande maison de couture. Le travail et le prix à payer requis pour maintenir ce statut forcent le respect. Il y a quelque chose de majestueux dans les collections d’Olivier, qui m’a toujours attirée. De la structure, mais aussi de l’androgynie. » Et en tant que créatrice noire bâtissant son propre héritage à travers la musique et les arts visuels, Oyinda se sent encore plus proche de la dimension royale de Balmain.« La maison Balmain est une sorte d’empire à elle seule, explique-t-elle. C’est ce que m’évoquent ses vêtements. Et même si cet empire s’effondre un jour, la preuve de son existence survivra éternellement. »