Paracétamol, ibuprofène, des médicaments « périmés » encore efficaces
D’un côté, des tensions d’approvisionnement en paracétamol et anti-inflammatoires non stéroïdiens (type ibuprofène) ; de l’autre, des dates de péremption apparemment injustifiées. L’UFC-Que Choisir a mis son nez dans cette situation problématique. À la suite d’un test sur la pertinence des dates de péremption apposées sur les boîtes de médicaments par les laboratoires pharmaceutiques, l’association de consommateurs dénonce une gabegie environnementale, économique et sanitaire. En effet, la plupart de ces médicaments se sont révélés efficaces jusqu’à 30 ans après leur date de péremption.
8 médicaments périmés sur 10 contiennent assez de substance active
L’UFC-Que Choisir a fait analyser par un laboratoire spécialisé la quantité de substances actives dans 30 boîtes de comprimés, gélules ou sachets de paracétamol et d’ibuprofène considérés comme périmés par les fabricants. Le résultat est sans appel : dans 80 % des cas, les médicaments contiennent encore suffisamment de substance active pour être jugés efficaces, selon l’association. De plus, les résultats montrent qu’il n’existe aucune corrélation entre l’année de péremption et la quantité de substance active restante. Par exemple, un paracétamol censé être périmé depuis 1992 contenait toujours 100 % de substance active.
Des normes arbitraires ?
Le test s’est basé sur la norme de l’Autorité américaine des médicaments (FDA), qui considère qu’un médicament est encore efficace s’il contient au moins 90 % de la substance active indiquée sur la boîte. En revanche, l’ANSM exige un minimum de 95 %. Mais même en appliquant ce critère plus strict, la majorité des médicaments testés conservaient leur efficacité. L’association de consommateurs s’interroge donc sur la pertinence des normes de l’ANSM pour déterminer si un médicament conserve ses propriétés thérapeutiques. Cette même autorité sanitaire qui émet régulièrement des bulletins d’alerte sur les tensions d’approvisionnement de ces antalgiques de premier recours, ainsi que de nombreux autres médicaments essentiels.
En 2021, la Fondation pour la Recherche Médicale avait déjà nuancé ce débat par l’intervention du Dr Marina Carrère d’Encausse, marraine de la fondation : « Cette date de péremption, fixée trois à cinq ans après la fabrication du médicament, est déterminée par le fabricant lui-même, qui fait généralement preuve d’une grande prudence. En réalité, on observe une très faible dégradation de la teneur en principe actif des comprimés, même cinq ans après leur fabrication. »
La Société de Pneumologie de Langue Française, qui se basait sur plusieurs travaux scientifiques, expliquait aussi il y a peu que « de nombreuses formes solides conservées dans des conditions raisonnables et dans leurs emballages originaux intacts conservent 90 % et plus de leur puissance pendant au moins 5 ans après la date de péremption inscrite sur l’emballage ».
Un gâchis qui pose problème… et alimente le doute
Jeter des médicaments encore efficaces, sous prétexte qu’ils sont périmés, a des conséquences économiques, environnementales et sanitaires importantes. Cela entraîne des coûts supplémentaires pour le système de santé et les patients, génère des déchets inutiles (40 % des Français déclarent ne pas déposer de manière systématique leurs médicaments périmés ou non utilisés chez le pharmacien) et contribue aux pénuries de médicaments.
L’UFC-Que Choisir s’interroge ainsi sur les pratiques actuelles des laboratoires, qui fixent eux-mêmes la date de péremption de leurs médicaments (souvent 3 ans pour ceux testés). L’association souligne qu’aucune obligation ne contraint les laboratoires à prolonger cette date, même s’ils savent que les médicaments restent efficaces au-delà. Cela soulève des questions quant à la priorité accordée à l’aspect économique par rapport aux critères scientifiques, alors qu’on nous répète à longueur d’années que « les médicaments périmés n’ont pas leur place dans une pharmacie familiale ». En juin 2023, l’agence du médicament avait même diffusé une campagne intitulée « Une momie, ça se conserve éternellement. Pas les médicaments. Les médicaments mal conservés ou périmés peuvent perdre en efficacité ou être contaminés par des bactéries. Ceux qui sont non utilisés, périmés ou dont l’aspect a changé doivent être rapportés en pharmacie. » Le ministère de la Santé mettait en garde sur les médicaments périmés : « l’efficacité n’est plus garantie et certaines molécules peuvent même devenir dangereuses ».
Suite à ses analyses, l’UFC-Que Choisir somme l’ANSM de prendre des mesures pour éviter ce qu’elle estime être un gaspillage de médicaments. Mais attention ! On reste ici dans le cadre des médicaments composés de paracétamol et d’ibuprofène. En effet, par exemple l’altération avec le temps d’un médicament peut aboutir à la formation de composés toxiques comme c’est le cas d’une famille d’antibiotiques, les tétracyclines. Il ne faut donc pas généraliser.
Lire l’interview par Destination santé du Pr Milou-Daniel Drici, directeur du centre régional de pharmacovigilance Nice-Alpes-Côte d’Azur.