Les hommes ont-ils honte de se faire pénétrer ? Il semblerait que oui

Un homme hétérosexuel sur deux s’est déjà fait pénétrer par une partenaire féminine et seuls 4% sont capables d’en parler publiquement. Les hommes ont-il honte de se faire pénétrer ? Zoé Redondo et Martin Py sont à l’origine d’une bande-dessinée, "L’homme pénétré" (éd. La Boîte à Bulles) qui démystifie le tabou de la pénétration anale chez les hommes et interroge les contours, parfois étroits, de la sexualité masculine.

À l’heure où les langues se délient, la pénétration anale n’a plus à pâlir sous le poids du tabou. Du moins, du côté des femmes. En 2021, une enquête de l’Observatoire européen de la sexualité féminine conduite par l’Ifop, dévoile qu’une Française sur deux aurait pratiqué la sodomie. Ce qui fait dire à l’Ifop que les "Françaises sont les championnes de la sodomie".

Cette même enquête montre l’attrait croissant des femmes pour recevoir et donner en retour. 22% des sondées ont mis un doigt dans l’anus de leur compagnon, 17% disent avoir déjà fait un anulingus à leur moitié et 12% lui avoir introduit un objet.

Quant aux hommes, sont-ils juste dévoués à donner ? Pour les besoins de leur bande-dessinée "L’homme pénétré. Repenser notre intimité" (éd. La Boîte à Bulles), Martin Py et Zoé Redondo ont mené un sondage qui leur a permis d’avoir une idée sur la question. Parmi les 630 répondants, la moitié se compose d'hommes. En s’intéressant aux réponses des hommes hétérosexuels, ils découvrent qu’un homme sur deux dit avoir été pénétré par sa partenaire féminine mais seuls 4% osent en parler publiquement. Les auteurs concluent que la pénétration anale reste taboue chez les hommes hétérosexuels, parce qu’elle vient questionner leurs représentations. "Un autre aspect intéressant dans ce mini sondage consistait à comprendre ce que ça avait généré chez ces hommes de se faire pénétrer. Ils se questionnaient sur l’orientation sexuelle, leur identité de genre… Des questions relatives à l’identité des personnes. Ce qui est intéressant c’est que même chez les personnes homosexuelles, il y a cette question de l’identité de genre, de leur orientation sexuelle" explique Martin Py au micro de Yahoo.

Cette donnée fait penser à l'auteur que la pénétration anale vient remuer les constructions de notre société. C’est peut-être ce qui rend la pénétration anale si "taboue". Chez les hommes, cela va encore plus loin : "La pratique vient questionner la virilité. Ce qu’il doit faire ou non, comment il doit se positionner ? Comme on l’associe à l’orientation sexuelle, on imagine souvent qu’un homme qui se fait pénétrer est homosexuel ou a des fantasmes homosexuels.".

Vidéo. "Pourquoi les femmes ne pourraient pas pénétrer les hommes ? Pourquoi ce serait à elle de se faire pénétrer ?"

Pénétrer un homme, un acte politique ?

Si certains l’ignorent, la pénétration anale chez l’homme peut procurer plus ou moins de plaisir car elle touche leur prostate. Les auteurs consacrent d’ailleurs quelques pages à cet organe de plaisir chez l’homme, et, au moyen de dessins, expliquent comment s'adonner à la masturbation prostatique : "C’était une réelle volonté de notre part d’amener cette pédagogie-là, pour que, déjà, les hommes puissent savoir ce qu’ils ont à l’intérieur de leur corps. Après s’ils ont envie d’essayer c’est chouette, sinon ce n'est pas grave".

Une fois encore, n’est taboue que la parole autour de la pratique. 44% des répondants au sondage de Zoé Redondo et Martin Py déclarent pratiquer la masturbation prostatique. "C’est un gros chiffre. C’est plus intéressant dans la mesure où c’est un acte que l’on fait à soi-même, sans la pression de le faire où de ne pas le faire".

Martin Py voit dans la pénétration anale un acte politique. "Pourquoi les femmes ne pourraient pas pénétrer les hommes ? Pourquoi ce serait à elles de se faire pénétrer ? Les hommes ont une prostate. Ils peuvent recevoir du plaisir sur ce terrain-là." Au-delà du plaisir qu’elle engendre, la pénétration de l’homme vient déconstruire "les normes et les dogmes selon les représentations de genre."

Vidéo. "Des hommes m'ont dit avoir été pénétrés par une femme sans leur consentement"

Du consentement et du lubrifiant

Si la pénétration anale gagne du terrain du côté de la gent féminine, la peur liée à la douleur que l’acte peut engendrer reste l’un des principaux freins. Une crainte que les hommes partagent également de leur côté. Les auteurs abordent la question en insistant sur deux nécessités : le lubrifiant et le consentement.

À l’heure où la presse féminine abonde de sujets sur la sexualité en tentant de démystifier certains tabous, la tentation de "provoquer" la pénétration peut se manifester chez certaines femmes. Le consentement ne peut pas se faire que dans un sens. "J’ai reçu pas mal de témoignages d’hommes qui me disaient que des femmes les avaient pénétrés analement avec un doigt sans leur demander leur consentement. Mais ça, c’est une violence".

Le spectre de l’homme violé

Si le viol des hommes reste largement minoritaire, il existe. La bande-dessinée "L'homme pénétré" fait parler Johakim, un personnage qui répond à tous les "canons de la virilité". Le jeune homme confie à ses amis avoir eu une relation sexuelle alors qu’il n’en avait pas envie. Avec ce témoignage, les auteurs souhaitent "dégommer pas mal de théories sur le viol. Ce qui peut être considéré comme du viol ou non."

De nombreuses femmes ont déjà pris la parole pour dénoncer le manque d’écoute et de considération de la part de la justice qui confond trop souvent relation physiologique et envie. Car oui, les femmes peuvent mouiller sans en avoir envie. Les hommes ne sont pas en reste. Ils peuvent avoir des érections sans éprouver du désir, comme c’est le cas du personnage de Johakim dans la bande-dessinée. Les auteurs démontrent que ce sont des réactions physiologiques qui ne doivent pas nécessairement être corrélées au désir sexuel et à l’envie consentie.

S’ajoute à ces réactions du corps, l’idée commune qu’un homme a toujours envie de sexe. "C’est là où beaucoup de violence se crée car il y a beaucoup moins d’écoute".

Vidéo. "Les femmes peuvent mouiller sans en avoir envie. Les hommes peuvent avoir des érections sans éprouver de désir pour leur partenaire"

La communication, la clé de voûte

Pour Martin Py, la communication reste centrale lors de tout rapport sexuel. Merwan, le personnage homosexuel de la BD, raconte avoir enfin pu accéder à des rapports sexuels épanouissants après des années d'errance sexuelle. Comment ? En parlant pendant le rapport sexuel avec son partenaire. Une façon pour les auteurs d’insister sur la communication, quel que soit le rapport; un bouclier non-négligeable à la violence sexuelle.

Avec cette bande-dessinée, Zoé Redondo et Martin Py viennent redessiner les contours de la sexualité en "dégommant les clichés" sur les pratiques des hommes et des femmes.

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