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Pourquoi le syndrome d’imposture touche-t-il surtout les femmes ?

Pourquoi le syndrome d’imposture touche-t-il surtout les femmes ?
Pourquoi le syndrome d’imposture touche-t-il surtout les femmes ?

Dans le milieu professionnel, les femmes sont souvent sujettes au syndrome d’imposture, qu’elles soient jeunes ou plus expérimentées. Comment les injonctions patriarcales et le manque de modèle réalistes jouent-ils sur leur manque de légitimité ?

"Je pensais qu’on allait se rendre compte que j’étais nulle" raconte Mélinée Semaan, 27 ans, product owner pour une plateforme de streaming. Après six ans dans le monde professionnel et plusieurs entreprises, elle commence à bâtir une confiance en ses compétences. Mais les premières années de sa carrière, malgré un diplôme du Celsa en poche, elle doutait beaucoup de sa légitimité. Ce sentiment de ne pas être à la hauteur, tant bien même on est compétent, porte a un nom : le syndrome d’imposture (ou syndrome de l’imposteur). "C'est un déficit bien particulier de confiance en soi, où on n'arrive pas à s'attribuer tous les succès. Les compétences que l'on a en soi n’adhèrent pas à la représentation de soi que l'on a. On attend d'être démasqué, car à notre propre mesure on n'est pas valable, pas à la hauteur. Mais ce n’est pas considéré comme un trouble mental" résume Anne de Montarlot, psychothérapeute et co-autrice avec la journaliste Elisabeth Cadoche de l’ouvrage Le Syndrome d'imposture, Pourquoi les femmes manquent-elles tant de confiance en elles ?

À l’instar de la charge mentale, de la charge de la contraceptive ou encore des violences sexuelles, le syndrome de l’imposteur est souvent le lot des femmes. Même si ce manque de confiance en soi prend son origine dans l’enfance et peut aussi concerner les hommes, les injonctions de la société patriarcale y rend les femmes beaucoup plus sensibles. "On est le produit de siècles de domination masculine qui sont bien ancrées. Les injonctions qui pèsent sur les épaules des femmes sont nombreuses et parfois contradictoires : sois mariée, sois mère, sois mince... Ça n'arrête pas ! Tout ça nourrit le syndrome d’imposture" ajoute Elisabeth Cadoche.

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Des bancs de l’école jusqu’aux hautes sphères de pouvoir, les femmes ont intériorisé qu’elles devaient rentrer dans un moule. Et ce sentiment est renforcé par des représentations idéalisées dans les médias ou sur les réseaux sociaux, où les femmes semblent concilier avec facilité vie de famille, amoureuse, carrière et bikini body. Des injonctions à une existence parfaite impossibles à atteindre : "C’est une représentation virtuelle composée de toutes les contradictions qui n’ont ni queue ni tête. C'est difficile pour les femmes de s'y retrouver. Elles se demandent si elles sont à leur place" renchérit Anne de Montarlot.

Pas de droit à l’erreur

Comment se manifeste ce syndrome ? Selon l’ouvrage d’Anne de Montarlot et Elisabeth Cadoche, impacte leur comportements dans la sphère professionnelle. Soit elles sur-travaillent, se montrent perfectionnistes et font des burn-out, soit elles procrastinent, pour éviter à tout prix d’échouer : "Pour un homme, l’échec fait partie du processus d’apprentissage, alors que les femmes ont peur de s’écrouler si elles échouent" résume Elisabeth Cadoche. Pour Mélinée Semaan, le sentiment d’imposture a affecté sa manière d’être avec ses collègues: "Je me rends compte que je m'autorise moins à être désagréable au travail ou simplement à ne pas être bien quand j'ai un mauvais jour. Je me demande à quel point j'ai envie d'être comme ça et à quel point c'est pour me sentir plus légitime d'être là ? Je continue toujours à me dire que les gens veulent travailler avec moi parce que je suis sympa" explique la jeune femme.

On pourrait penser que seulement les jeunes femmes sont touchées et qu’avec l’expérience, l’imposture se dissipe. Pourtant des femmes très expérimentées et parfois expertes en souffrent tout particulièrement, à l’instar de Catherine Mazauric, professeure de littérature contemporaine d’expression française à l’université d’Aix-Marseille. Malgré sa grande expertise, cette spécialiste de la littérature d’Afrique de l’Ouest sexagénaire, normalienne continue à douter de sa légitimité : "J'ai l'impression qu’on ne guérit pas de ce syndrome. C'est un inconfort mental permanent" confie-t-elle. Pour l’intellectuelle, ses consoeurs seraient aussi particulièrement touchées : "Je constate que les hommes n'hésitent pas à se déclarer experts d’un sujet sur lequel ils ont une vague lueur car ils ont fait un cours dessus il y a dix ans. Alors que, comme mes collègues femmes, j’ai du mal à me sentir compétente dans un domaine qui s’écarte un peu de mon sujet de prédilection." Car même si l’expérience professionnelle conforte les femmes dans leurs compétences et leur confiance en elle, le sentiment d’imposture n’est pas loin. La faute peut-être à un manque de représentations réalistes de femmes qui réussissent ?

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Peut-on en finir avec le syndrome d’imposture?

Pour construire sa confiance en soi, on s’inspire de modèles qui nous entourent et les représentations des femmes qui seraient à l’aise avec leurs imperfections manquent cruellement. Pour Anne de Montarlot, le monde est toutefois en train de changer : "Les femmes ont plus confiance dans leur destin. Elles sont confiantes, elles parlent de leurs inspirations, elles sont ambitieuses !"

Sommes-nous sur le point de voir émerger une nouvelle génération de femmes confiantes en elles ? Pour Catherine Mazauric, la réponse serait peut-être dans la transmission et la sororité : "Le mentorat des femmes par des femmes semble bien fonctionner. Je pousse les doctorantes que j’encadre de manière consciente et déterminée, j’essaye de les aider autant que je peux !" S’entraider entre femmes, échanger sur ses expériences, voilà peut-être un clef pour que les femmes surpassent ce syndrome d’imposture, que leur renvoie sans cesse la société. Une manière se forger une place et de se sentir moins seul dans le monde professionnel, longtemps façonné par les hommes.

Belinda Mathieu

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