La Primaire populaire est-elle "illégale"?

À Marseille, des adhérents à la primaire populaire promeuvent leur projet, le 27 novembre 2021. Mais la légalité du scrutin est contestée par certains. (Photo: SOPA Images via Getty Images)
À Marseille, des adhérents à la primaire populaire promeuvent leur projet, le 27 novembre 2021. Mais la légalité du scrutin est contestée par certains. (Photo: SOPA Images via Getty Images)

POLITIQUE - La semaine s’annonçait radieuse pour les organisateurs de la Primaire populaire. Il y a eu tout d’abord, samedi, la confirmation de la candidature Taubira pour 2022 via leur mode de désignation. Puis, ce lundi 17 janvier, la barre des 250.000 inscrits a enfin été atteinte. Seul point noir des dernières 48 heures: la publication d’une tribune mettant en doute la légalité du scrutin. Des “craintes infondées”, assure au HuffPost maître Bluteau, l’avocat de la primaire populaire.

Dans le Journal du Dimanche, Jean-Philippe Derosier, professeur agrégé de droit public, membre de l’Institut Universitaire de France et auteur du blog “La Constitution décodée” étrille le système de la primaire populaire qui s’achèvera fin janvier.

“Le processus supposé permettre une candidature commune pour la gauche à l’élection présidentielle, en désignant la personnalité la plus à même de porter les valeurs écologiques, démocratiques et sociales, est illégal. (...) Car, bien qu’elle en porte le nom, cette initiative n’est pas une primaire. Et bien qu’elle n’en porte pas le nom, elle n’est autre qu’un sondage”, écrit le juriste dans l’hebdomadaire politique. Il pointe également ce qui s’apparente selon lui à une entorse au “principe de sincérité du scrutin” garanti par la Constitution, du fait de l’inclusion d’office de trois candidats qui ont pourtant refusé d’y participer et d’en reconnaitre les résultats.

Mais pas de quoi inquiéter les organisateurs de l’évènement ni leur avocat. Contacté par Le HuffPost, maître Philippe Bluteau juge sans fondement les arguments évoqués dans le Journal du Dimanche, à commencer par la qualification de “sondage”.

Le diable est dans l’échantillon

En France, les sondages sont réglementés par une loi de juillet 1977. Ils sont définis, “quelle que soit leur dénomination”, comme “une enquête statistique visant à donner une indication quantitative à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon”.

Là-dessus, Jean-Philippe Derosier et Philippe Bluteau sont d’accord. La partie importante de la phrase est à la fin: “l’interrogation d’un échantillon”. Pourquoi? Parce que c’est précisément la constitution de cet échantillon qui permet de savoir si, oui ou non, on est face à un sondage et quelles règles s’appliquent.

À ce jour, la primaire populaire revendique 250.000 inscrits. Selon Jean-Philippe Derosier, ils constituent un ”échantillon” tel que décrit par la loi. Ce que dément Philippe Bluteau, qui lui insiste sur la notion d’”échantillon représentatif” évoquée dans le même article de loi.

“La primaire populaire ne choisit pas des personnes à interroger afin de former un échantillon représentatif, elle ouvre l’opération à tous ceux qui le souhaitent”Philippe Bluteau, avocat de la Primaire populaire

Pour s’inscrire pour voter, il suffit en effet d’être âgé de 16 ans et plus, de disposer d’une adresse email et d’une carte bancaire, une précaution prise dans le cadre d’un dispositif anti-fraude. Un système différent d’un sondage où les participants “sont triés, sélectionnés pour former un échantillon représentatif”.

Et l’avocat de citer la la Commission des sondages, à propos des enquêtes menées en ligne sur “des panels d’internautes”, pour appuyer ses propos: “Les enquêtes de ce type qui ne sont pas menées auprès d’échantillons représentatifs de la population ne constituent pas des sondages entrant dans le champ de la loi du 19 juillet 1977”. La primaire populaire “n’est pas une enquête statistique. On ne pourra pas dire ‘52% des gens de gauche estiment que…’ Ce qu’on veut, c’est savoir quel est le candidat considéré comme mieux placé” à gauche pour 2022, défend Philippe Bluteau.

Une question de timing

Alors qui sera le mieux placé à gauche? Maintenant que la liste des candidatures est close, ils sont 7 officiellement en liste. Quatre considérés comme des “poids lourds” de la politique. Sur ces quatre, une seule (Christiane Taubira) reconnaîtra la légitimité du scrutin de la primaire populaire. Les autres, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Anne Hidalgo, ont tous fermé la porte, avec plus ou moins de fracas.

C’est ce qui, selon Jean-Philippe Derosier, risque d’induire en erreur les électeurs. “Certains pourraient croire qu’elle n’est plus candidate alors qu’elle l’est toujours, tandis que d’autres, constatant que cette personnalité se présente malgré tout à l’élection, pourraient imaginer qu’elle trahit le résultat de la ‘primaire’ et lui en tenir rigueur”, fait valoir le constitutionnaliste.

Persister à inclure dans la liste des candidats qui ont refusé d’y participer “est susceptible d’altérer la sincérité du scrutin futur, en induisant potentiellement les électeurs en erreur, donc en ayant également un impact sur le résultat de l’élection présidentielle. Or le principe de sincérité du scrutin a valeur constitutionnelle, en ce qu’il résulte de l’article 3 de la Constitution.”

Au sein de la Primaire populaire, on entend l’argument. Mais on est catégorique: le timing a été suffisamment bien calculé pour donner aux candidats inscrits d’office le temps de réagir aux résultats, favorables ou défavorables. Ce qui permet au scrutin de rentrer dans les clous.

“Le Conseil constitutionnel considère qu’à partir du moment où un candidat a au moins 5 jours avant le scrutin pour réagir à une information qui le concerne, alors les électeurs ne sont pas trompés. Les résultats seront publiés deux mois avant le 1er tour. Le délai est largement considéré comme suffisant par le Conseil Constitutionnel pour que tous les candidats - y compris ceux qui ne sont pas engagés à respecter nos résultats - fassent savoir que ces résultats ne les engagent pas”, balaye le conseil de la Primaire populaire.

D’ailleurs, “ils ont déjà commencé à le faire et à le dire. On ne peut pas considérer que les électeurs soient induits en erreur, puisqu’ils auront toute l’information.” Les inscrits à la primaire populaire ont jusqu’au 23 janvier pour s’inscrire. Ils pourront ensuite voter à partir du 27 janvier. Les résultats seront connus le 30. Et que les candidats reconnaissent ou pas les résultats, les organisateurs de la primaire populaire s’estiment en l’état inattaquables juridiquement.

À voir également sur Le HuffPost: Présidentielle: ce que Taubira peut apporter de plus à gauche selon ses sympathisants

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

LIRE AUSSI