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Le récit de notre reporter à Kherson en Ukraine : une libération amère

Près d'un mois après l'arrivée des premiers soldats ukrainiens à Kherson, cette ville du sud de l'Ukraine reste en proie aux combats. Ses habitants tentent de survivre dans des conditions très difficiles. Le récit sur place de notre reporter Anelise Borges.

Kherson, la ville héroïque de l'Ukraine, un symbole de la capacité du pays à se battre, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Il n'a fallu que quelques heures pour que la joie et le soulagement de la "libération" ne cèdent la place à l'angoisse et à la faim que connaissent désormais, la plupart des habitants restés sur place. Nombreux sont ceux qui n'ont pas d'autre moyen pour trouver à manger que de faire la queue lors des distributions de nourriture et d'eau organisées par des ONG.

"Ce serait mieux s'ils ne tiraient pas !"

C'est le cas d'une femme d'une soixantaine d'années que nous rencontrons. Elle nous décrit l'occupation. "C'était dur moralement et physiquement, évidemment, on évitait de sortir de chez nous," raconte-t-elle. "Quand nos troupes nous ont libérés, on a commencé à sortir," dit-elle avant d'ajouter : "Aujourd'hui, on n'a pas de chauffage, pas d'eau, pas de couverture de téléphonie mobile, mais au moins, on peut sortir dans la rue, ce serait mieux s'ils ne tiraient pas !" lance-t-elle alors que nous entendons des tirs au loin.

Un vieil homme nous explique comment était Kherson avant la guerre. "C'était un endroit agréable, confortable, toujours lumineux, jusqu'à ce que les Russes viennent pour soi-disant "nous libérer", ils nous ont libérés des bonnes choses," fait-il remarquer, amer.

Depuis que les troupes russes se sont retirées à l'est de la rivière Dnipro, cette ville est devenue une sorte de ligne de front. Plusieurs personnes ont été tuées à Kherson ces derniers jours et les habitants nous ont dit qu'ils n'avaient jamais connu ce genre de bombardements aléatoires avant. Quand les troupes ukrainiennes tentaient de reprendre Kherson, ils racontent que les frappes étaient plus calculées, elles ne frappaient que des cibles militaires. Actuellement, elles s'abattent à peu près partout sur la ville.

Les infrastructures essentielles sont constamment attaquées et la plupart des habitants n'ont ni électricité, ni chauffage, ni eau courante.

Solidarité entre voisins

Nous rencontrons une mère et sa fille qui tirent toutes deux, un trolley de courses. La mère Lena est née et a grandi à Kherson et a décidé de rester pendant l'occupation russe. "Je suis restée parce que mon père et ma mère sont malades et que je n'avais pas le choix et aussi parce que je n'avais pas d'argent pour partir," explique-t-elle.

"Dans notre immeuble, il ne reste que Nastya et moi," dit-elle en faisant référence à sa fille à ses côtés. "Les autres sont des personnes âgées : des retraités, des handicapés, comment peut-on les laisser ?" lance-t-elle.

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Lena et sa fille apportent à manger et des médicaments à leurs voisins âgés - Euronews

Lena et sa fille Nastya ont passé leurs journées à aller chercher des provisions auprès de différentes ONG pour les distribuer à leurs voisins. Elles se rendent chez une dame très âgée à laquelle elles apportent à manger et son antidouleur qu'elle doit prendre en injection. "On fait ce qu'on peut pour vivre, on survit, il fait très, très froid dans mon appartement, j'ai des problèmes de circulation, le sang n'arrive pas jusqu'à mes pieds, je crie à cause de la douleur," décrit la vieille dame.

Une situation sanitaire dramatique

Les personnes âgées et les malades se sont retrouvés dans une situation particulièrement difficile. Beaucoup ne trouvent plus l'aide dont ils ont besoin à Kherson. Ce médecin qui a demandé à rester anonyme se dépêche avant que le générateur de l'hôpital Vodnikova ne soit éteint pour la journée. Il sait que quand il sera éteint, il manquera de moyens importants pour aider de nouveaux patients. Un homme de 85 ans vient d'être amené par les secours. Le médecin vérifie s'il s'agit d'une attaque. Le diagnostic est moins grave, mais reste très inquiétant : c'est le Covid. En l'absence de salle d'isolement et de traitement, le médecin doit renvoyer le patient pour éviter une épidémie.

L'hôpital Vodnikova était autrefois, l'un des principaux établissements médicaux de Kherson. Aujourd'hui, ses médecins et infirmiers amènent des seaux d'eau sur leur lieu de travail, pour les WC, la toilette. La plupart du personnel est parti et les patients se sont vus proposer une évacuation médicale pour des raisons de sécurité. Une option impossible pour bon nombre d'entre eux. Une patiente hospitalisée depuis un mois et demi pour des problèmes à la colonne confie : "Je suis seule, je ne sais pas comment je pourrais vivre en dehors de ma ville natale."

"On doit attendre que les vertèbres se soudent, mais il nous faut des spécialistes, des neurochirurgiens, des traumatologues qui puissent nous aider," nous indique le médecin qui la suit, Dr Vitalina Chebotareva.

La praticienne a accepté de nous faire visiter son service dont l'unité de soins intensifs. "On a des moniteurs, mais on a besoin d'électricité pour qu'ils fonctionnent," fait-elle remarquer. "Il y a un couvre-feu et des bombardements, donc les gens n'appellent pas les ambulances la nuit ; en plus, il n'y a plus assez d'ambulances dans la ville, les gens ne reçoivent pas d'assistance médicale à temps et ils arrivent ici dans un état grave," déplore-t-elle.

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Dr Vitalina Chebotareva alerte sur le manque de moyens à l'hôpital Vodnikova - Euronews

Les combats se poursuivent à quelques km

Avec une guerre qui fait rage à quelques km de l'hôpital, la situation va probablement empirer, avant de s'améliorer. Le gouvernement ukrainien affirme que la victoire de Kherson n'est qu'un élément d'une campagne qui verra ses troupes reprendre tous les territoires occupés, y compris le Donbass et la Crimée. Mais à quel prix ?

Dans le village de Posad-Pokrovske qui a été le théâtre de l'une des plus féroces batailles sur le front sud de l'Ukraine, Tatiana se rend sur les ruines de la maison que sa fille avait construite pour la famille.

"Je ne peux pas venir ici sans souffrir," dit-elle. "Quand la guerre a commencé, on est tous venus ici, on vivait dans cette pièce, il y avait des explosions tout autour de nous, c'était impensable, ça ne pouvait pas être vrai," raconte-t-elle, les larmes aux yeux.

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Tatiana dans les ruines de la maison familiale à Posad-Pokrovske - Euronews

"Notre génération ne pourra pas faire la paix avec la Russie"

Mais la réalité de la guerre s'est imposée et la famille a fini par fuir ce village aujourd'hui ravagé. Seuls subsistent la "colère" et le "dégoût".

"J'aurai toujours ce dégoût de la Russie, mes enfants n'ont plus de maison maintenant, je n'ai plus la maison que j'ai mis 40 ans à construire, je n'ai plus rien," indique Oleksandr, autre habitant du village. "J'espère que la Russie perdra tout elle aussi, toute la Russie," lance-t-il.

"Je ne crois pas que notre génération pourra faire la paix avec la Russie," poursuit-il. "Ils ont tué tellement de gens, la paix est impossible pour notre génération," estime-t-il.

"Peut-être qu'il y aura la paix avec les générations futures, mais pas maintenant," assure-t-il. "Pas avec notre génération non plus," renchérit son fils à ses côtés.