La réforme des retraites peut-elle se faire censurer par le Conseil constitutionnel ?

Le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius, quittant l’Élysée le 8 amrs 2022.
Le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius, quittant l’Élysée le 8 amrs 2022.

POLITIQUE - Que pense Laurent Fabius de la réforme des retraites ? Le président du Conseil constitutionnel, tenu à un devoir de réserve, ne s’est exprimé qu’une fois sur le sujet en janvier. Trois mois plus tard, le voilà avec les huit autres locataires de la rue de Montpensier, sollicité de toute part pour répondre à une question cruciale : la réforme des retraites et les conditions de son examen sont-elles conformes à la Constitution ?

Lundi, après avoir réchappé de justesse à une motion de censure, Élisabeth Borne a annoncé saisir « directement » le Conseil constitutionnel afin que « tous les points soulevés au cours des débats puissent être examinés dans les meilleurs délais ». La Première ministre entend ainsi répondre aux critiques des oppositions de la gauche et de l’extrême droite qui ont, eux aussi saisi les Sages.

Dans son recours déposé ce mardi 21 mars, le Rassemblement national attaque trois points : le choix du véhicule législatif - un projet de loi de financement rectificatif du budget de la sécurité sociale (PLFRSS) -, la présence de cavaliers budgétaires (qui n’auraient pas de rapport avec le texte, ndlr), comme l’index senior, ainsi que « la sincérité des débats » altérée par « l’abus du droit d’amendement de la part de la Nupes qui a empêché que nous ayons un vote », selon l’un des porte-parole du parti Thomas Ménagé. La NUPES partage la critique sur le PLFRSS et celle sur les cavaliers législatifs. Elle interroge également la sincérité du débat, mais en dénonçant l’accumulation des procédures, notamment au Sénat, qui ont obligé à accélérer les discussions.

La mise en garde de Fabius

Le Conseil constitutionnel devra trancher tous ces points. Mais son chef Laurent Fabius a déjà mis en garde sur l’un d’entre eux : le risque de « cavalier budgétaire » qui menace toutes les dispositions qui se retrouvent « hors champ financier ». « Dans ce cas, il faudrait un deuxième texte », a-t-il lâché en janvier, cité dans le Canard Enchaîné.

Les potentiels cavaliers législatifs sont bien identifiés, et pas seulement par les élus d’opposition. En février, une note du Conseil d’État soulignait ce risque pour l’index senior. Une disposition qui se retrouve néanmoins dans le texte définitivement adopté lundi à l’issue du rejet des motions de censure, tout comme le CDI senior imposé par la droite au Sénat et qui pourrait aussi être considéré comme un cavalier.

Le rejet de ces articles pourrait entraîner une censure partielle du texte. Cependant, cela serait sans impact sur la mesure la plus controversée, à savoir le recul de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Et un rejet partiel ne ferait pas non plus renoncer l’exécutif. À propos de l’index senior par exemple, l’entourage de la Première ministre précisait en février dans les colonnes du Monde qu’en cas d’invalidation, la mesure « sera reprise dans le projet relatif au plein-emploi qui doit être présenté au printemps ».

La forme compte plus que le fond

Une censure partielle du texte ne serait qu’une maigre victoire pour les opposants à la réforme. C’est la raison pour laquelle les plus grands espoirs se fondent sur les recours déposés sur la forme. « Nous n’avons jamais vu ça ! À toutes les étapes, on nous tord les bras ! Tout cela sera abrogé à la fin », assurait ainsi un Jean-Luc Mélenchon très optimiste sur le plateau du Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI dimanche 19 mars.

La liste des doléances parlementaires est longue. « Le premier grief est d’avoir utilisé l’article 47-1 de la Constitution qui contraint les délais d’étude du texte à 50 jours. Cette contrainte temporelle n’a de sens que pour les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale qui sont étudiés chaque automne, car la loi doit être promulguée avant le 1er janvier. Mais là, dans le cadre d’un budget rectificatif, il n’y a aucune raison de limiter le temps du débat parlementaire », explique dans Capital le constitutionnaliste Dominique Rousseau qui y voit « le risque le plus important d’inconstitutionnalité qui peut faire tomber toute la loi ».

Le deuxième sujet de discorde concerne la tenue des débats au Parlement. La chambre basse n’a pu étudier que les deux premiers articles du texte ; la chambre haute a tout étudié, mais en limitant les temps de parole grâce à l’article 38 du règlement et au vote bloqué ; quant à la commission mixte paritaire, « le gouvernement s’est permis au dernier moment (de rajouter) un amendement additionnel  », met en garde dans Le Figaro Paul Cassia, professeur de droit constitutionnel à Paris 1-Panthéon-Sorbonne.

Fabius face à Macron ?

De quoi porter un peu plus atteinte à « la clarté et la sincérité des débats », un point sur laquelle les parlementaires misent beaucoup pour faire retoquer l’ensemble du texte. D’autant plus, souligne Dominique Rousseau, que « la recevabilité sociale d’une loi dépend de la clarté et de la sincérité des débats parlementaires ».

Après cinq jours de rassemblements spontanés, émaillés de heurts, dans toute la France, le risque d’explosion du climat social peut difficilement être négligé. Mais retoquer la réforme des retraites dans son ensemble - outre qu’une telle décision est rarissime - serait aussi un véritable affront politique fait par l’ancien socialiste Laurent Fabius au président de la République Emmanuel Macron.

Le Conseil constitutionnel a un mois maximum pour trancher, moins si le gouvernement réclame un examen en urgence. En parallèle, il devra aussi se prononcer sur le référendum d’initiative partagée dont il a été saisi le 20 mars. Si le fond de cette procédure - interroger le peuple sur la réforme - fait l’unanimité des oppositions, son utilité immédiate est questionnée.

Sur le papier, le RIP ne peut pas empêcher la promulgation d’une loi. Lors du précédent sur la privatisation des aéroports de Paris en 2019, le Conseil constitutionnel avait acté le 9 mai que jusqu’à vérification par ses soins du nombre de signatures recueillies, « l’examen de la proposition de loi par le Parlement est suspendu. » Sauf que la loi, définitivement adoptée le 11 avril 2019, avait déjà fini la navette parlementaire, au même titre que la réforme des retraites aujourd’hui. En revanche, le couple exécutif de l’époque, Emmanuel Macron et Édouard Philippe, n’avait pas pris les décrets d’application permettant sa mise en œuvre et le projet avait finalement été abandonné en mars 2020.

Le chef de l’État choisira-t-il de temporiser de la même façon sur les retraites ? Ce mardi 21 mars sur Sud Radio, le ministre du Travail Olivier Dussopt a assuré que « la loi entrera en vigueur le 1er septembre 2023, une fois que le Conseil constitutionnel se sera prononcé. » Avant d’ajouter, serein : « Je crois que pour l’essentiel, il n’y a pas de grand sujet ». La parole est à Laurent Fabius.

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