"Rien n'est joué": quelles stratégies pour les oppositions sur la réforme des retraites

Quelle attitude adopter face à la réforme des retraites? Parmi les oppositions, les stratégies diffèrent. Avant le début des débats dans l'hémicycle ce lundi, chacune fait entendre sa propre musique.

L'extrême droite cherche à prendre les devants dans la bataille parlementaire, la gauche veut avoir un pied dans la rue, l'autre à l'Assemblée nationale, tandis que la droite tente d'infléchir, une nouvelle fois, les positions de l'exécutif pour trouver une position commune en son sein. BFMTV.com revient sur ces différentes stratégies.

Pour le RN, "le moyen de combattre le gouvernement, c'est que les institutions lui donnent tort"

Le Rassemblement national (RN) a un objectif clair: "prendre la tête de l'opposition à la réforme des retraites". Pour cela, l'extrême droite veut abattre ses cartes au Palais Bourbon. "Notre rôle, c'est de mener l'opposition à l'Assemblée nationale", a encore répété Marine Le Pen cette semaine depuis la salle des Quatre Colonnes.

Les élus du parti à la flamme n'ont pas vraiment d'autres alternatives: les syndicats se sont fermement opposés à leur présence dans les manifestations. Pour autant, ce n'est pas un problème, selon le député Jean-Philippe Tanguy. Même si la mobilisation intersyndicale "montre un sentiment, une opinion, qui est la bienvenue, tout ne se joue pas dans la rue", estime ce poids lourd du RN. Et d'assener:

"Depuis 1995 (année des manifestations contre le Plan Juppé, ndlr), ça n'a jamais servi à rien".

D'après cet ancien soutien de Nicolas Dupont-Aignan, "le moyen de combattre le gouvernement, c'est que les institutions lui donnent tort". Pour cela, les troupes de Marine Le Pen misent notamment sur leur motion référendaire. Cette disposition, tirée au sort au détriment de celle de la Nupes - non sans créer une polémique au passage - sera examinée lundi lors de l'ouverture des débats dans l'hémicycle.

Son adoption permettrait d'organiser un référendum sur la réforme des retraites. Un obstacle de taille néanmoins: convaincre les deux chambres du Parlement de la voter à la majorité, mais aussi le président de la République, qui détient le dernier mot dans ce type de situation.

Pour s'opposer au texte de l'exécutif, le groupe d'extrême droite a fait le choix de déposer seulement un peu plus de 200 amendements parmi les plus de 20.000 que les différents groupes politiques souhaitent défendre. L'idée, c'est d'aller à l'essentiel", justifie Jean-Philippe Tanguy.

"L'opposition ne se joue pas au nombre d'amendements, surtout quand le temps est réduit", insiste-t-il, en référence aux 50 jours de débats - dont 20 à l'Assemblée nationale - prévus dans le Projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS), véhicule législatif choisi par le gouvernement.

Pour faire échouer le gouvernement, le RN compte également sur la droite. "Les électeurs LR doivent expliquer à leur député qu'il n'est pas possible de soutenir [cette] réforme" a déclaré Marine Le Pen récemment. Alors que des désaccords persistent au sein de ce groupe parlementaire - plusieurs élus étant prêts à voter contre la réforme - l'extrême droite observe la situation avec gourmandise.

"Certains députés LR ont des circonscriptions qui sont, sociologiquement, très proches des nôtres", relève le député RN Philippe Ballard auprès de BFMTV.com. "Ils entendent très bien ce que disent leurs électeurs."

Façon pour lui d'affirmer que "rien n'est joué à l'Assemblée nationale". Et de tordre le coup au récit du camp présidentiel qui ne cesse d'afficher sa détermination à aller au bout coûte que coûte, malgré l'opposition très importante de l'opinion.

La Nupes: un pied dans la rue, l'autre à l'Assemblée

La Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) dispute au RN le titre de premier opposant à la réforme. A chacun ses angles d'attaque. L'alliance des gauches qualifie les lepénistes d'"opposition de façade", en insistant sur le faible nombre d'amendements qu'ils ont déposé ainsi que leur absence aux manifestations. En retour, l'extrême droite l'accuse de faire de l'obstruction et de ralentir les débats.

En commission l'examen du texte a, en effet, avancé très lentement. Durant les trois jours de débat, seuls deux articles ont pu être discutés. La Nupes, qui comptait près de 6 000 amendements parmi les quelque 7000 déposés par les différents groupes politiques, y est pour beaucoup. Comme le RN, elle maintiendra sa stratégie en séance publique avec près de 18.000 amendements.

On reste loin cependant des chiffres de l'année 2020, où à elle seule, La France insoumise (LFI) avait déposé environ 23.000 amendements parmi les près de 40.000 présentés par la gauche.

"La dernière fois, nous avions fait le choix de vouloir ralentir les débats pour laisser aux gens le temps de se mobiliser. Cette fois-ci, nous voulons forcer le gouvernement à s'expliquer sur chaque article de son projet de loi", nous expliquait le député insoumis Hadrien Clouet il y a quelques jours.

Ces amendements "permettront de disposer du temps nécessaire pour mettre en lumière l’immense régression sociale imposée par cette réforme", avançait LFI dans un communiqué de presse.

Avec un projet de loi qui comprend 20 articles, le groupe a également choisi de mettre un coup de projecteur sur 3 sujets clefs: le départ à 64 ans, la question de la pénibilité et l'augmentation de la durée de cotisation plus rapidement que prévu lors de la réforme Touraine en 2013.

"Le combat parlementaire est nécessaire, et il sera mené, mais ce n'est pas là qu'on fera plier le gouvernement", nuance néanmoins le député communiste Sébastien Jumel, dont le parti a déposé 1 160 amendements avant l'examen du projet de loi dans l'hémicycle.

Pour cet élu de la Seine-Maritime, la solution viendra "de la rue avec une mobilisation massive".

Dès lors, les élus de gauche s'attachent à combattre le gouvernement sur tous les plans. Ce mardi, certains ont passé une tête dans les cortèges parisiens de la mobilisation intersyndicale, avant de revenir à l'Assemblée nationale. C'est le cas de Sandrine Rousseau.

Après s'être rendue à la manifestation, la députée écologiste a fait remonter les interrogations des personnes rencontrées sur place lors de la séance des questions au gouvernement. "Pierre demande: pourquoi ce serait aux petits gens de payer pour que les retraites soient à l'équilibre", a par exemple interrogé l'élue de Paris depuis l'hémicycle.

Le lendemain, la finaliste de la dernière primaire d'Europe Écologie - Les Verts (EE-LV) a résumé l'objectif de la gauche au micro d'Europe 1: "que la parole qui s'est exprimée massivement dans tous les villes de France [...] puisse avoir une résonance dans l'hémicycle."

Chez LR, un message brouillé par les divisions internes

Les Républicains (LR) cherchent le bon équilibre. Pour l'instant, ils trébuchent. Leur position semblait claire: voter la réforme par soucis de "cohérence" et de "responsabilité", comme le disait Éric Ciotti sur BFMTV récemment. "Quel sens aurais-je à m'opposer à une réforme que j'ai défendue hier", appuyait le nouveau patron de la rue Vaugirard.

En cause: une droite dont les deux derniers candidats à la présidentielle, François Fillon et Valérie Pécresse, ont défendu le report de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans.

Un soutien au camp présidentiel semblait encore plus évident une fois qu'Élisabeth Borne a dévoilé le projet de l'exécutif, le 10 janvier. La mouture présentée contenait plusieurs demandes des Républicains, entre revalorisation des petites retraites, allongement de l'âge légal à 64 ans plutôt que 65 et prise en compte des congés maternité.

"Les bases d'un accord sont posées", disait même le trio composé d'Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix, respectivement patron des sénateurs et des députés LR, après avoir été reçu par la Première ministre à Matignon.

C'était sans compter tout une partie du groupe opposée à la réforme en l'état. Selon un comptage provisoire de BFMTV, ils sont une quinzaine, voire un peu plus. Un nombre suffisant pour faire suer la majorité relative. Et déterminé à se montrer tout aussi ferme que l'exécutif. "Si Emmanuel Macron veut engager le bras de fer, il le perdra", a crâné Aurélien Pradié sur Europe 1 cette semaine.

Lui et les élus tenant de cette ligne de "droite populaire" pointent des "injustices" et réclament notamment une primeur de la durée de cotisation sur l'âge légal.

Objectif: que les personnes ayant commencé à cotiser entre 16 et 20 ans puissent partir à la retraite au bout de 43 annuités même s'ils n'ont pas atteint les 64 ans. Le groupe présente un amendement en ce sens. Façon de contenter les tenants de cette ligne au sein du groupe et de parvenir à une unité. Mais aussi d'infléchir, un peu plus encore, la position de l'exécutif.

Car, au delà du débat idéologique, il y a "une question politique", soulignait Pierre-Henri Dumont auprès de BFMTV.com au début du mois.

"Pouvons-nons voter ce qui a été présenté comme la mère des réformes par Emmanuel Macron?", interrogeait-il, soulignant que "voter pour un PLFRSS, ça veut quand même dire qu'on est dans la majorité".

D'où l'intérêt de peser au maximum sur ce texte. Et de pouvoir se targuer ensuite d'avoir permis l'adoption d'une réforme "juste" et en "cohérence" avec les engagements historiques de LR.

Article original publié sur BFMTV.com