Publicité

Salman Rushdie: qu'est-ce que "Les Versets sataniques", le roman qui lui a valu une fatwa iranienne?

Salman Rushdie: qu'est-ce que "Les Versets sataniques", le roman qui lui a valu une fatwa iranienne?

Depuis 1989, l'auteur vit sous protection policière à cause d'un appel au meurtre de l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeiny.

L'auteur Salman Rushdie a été victime vendredi d'une violente agression à l'arme blanche dans la ville de Chautauqua, dans l'État de New York. Poignardé au cou et à l'abdomen en pleine conférence, par un homme de 24 ans qui a surgi sur l'estrade, l'écrivain de 75 ans a été placé sous respirateur artificiel après une opération en urgence. Les dernières nouvelles sur son état de santé ne sont pas rassurantes.

Cette agression, dont l'auteur a été aussitôt arrêté et placé en détention, intervient 33 ans après un appel au meurtre lancé par l'ayatollah iranien Rouhollah Khomeiny. Le 14 février 1989, ce dignitaire religieux intégriste avait appelé les musulmans du monde entier à abattre l'écrivain. Au coeur de cette "fatwa" : la publication, un an plus tôt, des Versets sataniques, best-seller de Salman Rushdie qui a déclenché la fureur des islamistes du monde entier. Faisant de lui, par ricochet, un symbole de la liberté d'expression et de la lutte contre l'obscurantisme religieux.

Des paragraphes "blasphématoires"

"C'est vraiment un roman, une oeuvre de fiction", rappelle l'ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti sur BFMTV. "C'est en fait une page, quelques paragraphes de ce roman qui ont été considérés comme blasphématoires."

Les Versets sataniques suit l'arrivée mouvementée de deux migrants indiens au Royaume-Uni. Seuls survivants d'un attentat terroriste dans l'avion qui les mène à Londres, ils se retrouvent soupçonnés d'être des immigrés clandestins. Le livre raconte leurs trajectoires en explorant des thèmes récurrents de la bibliographie de Salman Rushdie, lui-même né en Inde: la migration, la double culture, le déracinement et les défis qu'ils présentent.

"De toutes les ironies, la plus triste, c'est d'avoir travaillé pendant cinq ans pour donner une voix […] à la culture de l’immigration […] et de voir mon livre brûlé, le plus souvent sans avoir été lu, par ces gens mêmes dont il parle", déplora d'ailleurs l'écrivain des années plus tard, dans des propos rapportés par l'AFP.

Différend religieux et "prétexte politique"

Les réactions outrées des communautées intégristes ont été quasiment instantanées : comme le rapporte Le Point, le roman s'est retrouvé interdit à la vente dans plusieurs pays musulmans où des manifestations contre l'auteur ont eu lieu. Car Les Versets sataniques évoque brièvement un litige théologique musulman: des versets suggérés par le diable à Mahomet dans lesquels le prophète aurait reconnu l'existence d'autres divinités qu'Allah. Ces quelques versets auraient ensuite été effacés du Coran, toujours d'après Le Point. Un épisode de la vie du prophète remis en cause par de nombreuses branches de la religion musulmane.

En outre, l'un des personnages du roman de Salman Rushdie souhaite mettre en place une nouvelle religion, et rappelle le prophète Mahomet. Dans la fiction, ce protagoniste accepte d'inscrire ces "versets sataniques" inspirés par le diable.

Une vie sous protection policière

Tout cela ne constitue qu'"un point de théologie musulmane tout à fait secondaire dans le livre", rappelle Éric Naulleau pour BFMTV. Pour l'essayiste, cette fatwa de Khomeiny n'est en réalité un "prétexte politique pris par le régime iranien". Car l'un des personnages du roman fait office de critique de l'ayatollah lui-même: Salman Rushdie y met en scène un imam qui rentre en Iran après des années d'exil pour s'en prendre à son peuple.

La fatwa contre l'auteur n'a jamais été levée, et beaucoup des traducteurs ou éditeurs du roman ont été blessés. En 1991, le traducteur japonais Histoshi Igarashi a même été assassiné, victime de plusieurs coups de poignard.

Pendant longtemps après la publication des Versets sataniques, Salman Rushdie a été contraint de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cache en cache. Il s'est fait appeler Joseph Anton, en hommage à ses auteurs favoris, Joseph Conrad et Anton Tchekhov.

Soutien français

Il a été fait Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres par Jack Lang, alors ministre de la Culture, en février 1993. "Beaucoup avaient peur que Salman Rushdie vienne à Paris", se souvient le président de l'Institut du monde arabe, qui dénonce sur BFMTV un "abominable attentat" :

"On considérait que nous risquions je ne sais quel attentat. J'étais a ce moment-là ministre de la Culture et j'ai décidé avec Monsieur Bourgois (éditeur français de l'auteur, NDLR) de publier en langue française 'Les Versets sataniques' pour montrer que la France est un pays de liberté et qu'un écrivain comme Salman Rushdie avait le droit, évidemment, d'être connu, publié, traduit en France."

"Je l'ai donc accueilli en février 1993 à Paris, contre le voeu d'une bonne partie de la classe politique à l'époque, qui était peut-être assez trouillarde, et une partie de la presse aussi", poursuit-il. "Et grâce au soutien du président François Mitterrand, j'ai pu accueillir autour de lui des écrivains, des artistes, pour montrer la solidarité de la France autour de Salman Rushdie."

À partir de 1993, fatigué d'être "un homme invisible", Salman Rushdie a multiplié les voyages et les apparitions publiques, tout en restant sous la surveillance du gouvernement britannique.

Article original publié sur BFMTV.com

VIDÉO - Salman Rushdie poignardé aux États-Unis : Jack Lang raconte le moment où il a décidé de publier en français "Les Versets sataniques" de l'écrivain