Secrets de famille : "Ce qui est sûr, c’est qu’elle est tombée enceinte de quelqu’un d’autre que son mari"
Jacques s'est toujours demandé ce que "cachait" son père. C'est lors des obsèques de son père qu'il apprend le secret qui a torturé son paternel toute sa vie.
Jacques n’apprend le secret de sa famille qu'au moment du décès de son père, il y a quelques mois : "Je n’ai jamais réussi à être proche de mon père. C’était un homme taiseux et qui ne partageait pas beaucoup ses émotions. Je sais qu’il a été ému quand je lui ai présenté mes enfants pour la première fois, après leurs naissances. Mais en dehors de ça, je ne l’ai jamais vu être très joyeux ou très ému. Il se mettait souvent dans des sortes de colères froides, où il ne fallait pas lui parler. C’est ma mère qui nous disait ça. Elle nous incitait à le laisser tranquille, même si ça voulait dire qu’il fallait l’éviter pendant plusieurs jours. Il rentrait après notre coucher et restait dans le salon quand on prenait notre petit déjeuner. Pour moi, mon père a toujours été une figure d’autorité mais pas vraiment quelqu’un avec qui j’étais en position de partager des choses. C’était un père "à l’ancienne". Donc ce n’est pas étonnant si je n’en savais pas beaucoup sur lui. Mes grands-parents étaient des gens plus chaleureux et je les voyais régulièrement. Ma mère était une femme douce. Je n’ai pas manqué d’amour quand j’étais petit."
Il s’imagine toute sa vie la vie de son père, à quelques minutes de là où il a grandi et dans la France d’après-guerre : "Mon père est né en 1944. Ce n’est pas une date qui m’a marqué spécialement. Je ne me suis jamais dit que ça voulait dire quelque chose sur son histoire en particulier. Et personne ne parlait jamais de ça, ni de sa naissance, ni de la guerre. Il y avait comme une chape de plomb sur tout ça, comme s'il valait mieux oublier. J’étais curieux quand même mais je n’en parlais pas avec eux parce que ma mère, encore elle, l’avait déconseillé. Elle nous disait qu’on risquait de rappeler des mauvais souvenirs à nos grands-parents et que ça pourrait leur faire du mal. Alors on imaginait des choses dans notre coin avec mon frère. Ça devenait des récits d’aventure. De méchants allemands contre les paysans français qui devenaient tous des héros de guerre. C’était des histoires de gosse."
Il était "un fils d'allemand"
Un ami d’enfance vient lever le voile sur le secret au moment de la cérémonie de crémation : "Tout le monde était invité à dire un mot. J’ai trouvé que c’était une bonne idée puisque mon père était quelqu’un qui ne parlait pas. Le raconter, avec des anecdotes et des souvenirs, j’ai trouvé ça beau. Il ne lui restait pas beaucoup d’amis parce que beaucoup étaient morts à son décès à lui. Ses parents aussi, évidemment. Et son frère est parti d’une maladie il y a quelques années. Il n’y avait donc que quelques anciens du village, mon frère et moi, nos épouses et nos enfants. Et comme il était question de transmettre quelque chose, j’ai trouvé encore plus important de laisser parler les anciens. J’ai même dû insister un peu. Un ami du village s’est levé et s’est mis à parler. Il a voulu raconter comment il était devenu ami avec mon père, à l’école. Il a raconté l’histoire de ce môme qui se faisait maltraiter par les autres parce qu’il était un "fils d’allemand". La rumeur voulait que ma grand-mère ait fauté pendant la guerre, alors que son mari n’était pas là. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’elle est tombée enceinte de quelqu’un d’autre que lui. Et personne n’a jamais démenti cette affaire. Peut-être qu’ils se disaient que si ils en parlaient, ça donnerait de l’importance à la rumeur. On ne peut pas savoir. Mais, avec ce discours, j’ai découvert une nouvelle facette de mon père. J’ai pu vraiment imaginer le petit garçon qu’il a été et les difficultés qui ont été les siennes au début de sa vie. Personne ne m’en avait jamais parlé. Il n’en avait jamais parlé. Il espérait peut-être que ça s’oublie. Mais je suis heureux d’avoir été au courant."
Jacques estime que ça l’a rapproché de son père : "Je ne dis pas que ça excuse tout mais j’ai pu un peu mieux comprendre pourquoi il était comme il était. J’ai pu aussi me mettre à sa place un peu. Avant, je pensais qu’il se comportait juste comme un homme de son époque, venu d’un milieu paysan. Et maintenant, je vois un peu mieux d’où son attitude a pu venir, les souffrances qui ont pu être les siennes. J’aurais aimé qu’il nous en parle. Même à l’âge adulte. On aurait pu comprendre, on aurait pu lui dire que ce n’était pas grave et que ça ne changeait rien à la façon dont on voyait notre grand-mère. Mais il a préféré laisser tout ça caché. On ne peut pas réécrire l’histoire, malheureusement."
Certaines familles cachent des secrets qui peuvent avoir des conséquences sur plusieurs générations. Quels sont ces secrets ? Comment refont-ils surface ? Et enfin, quelles sont les conséquences que cela peut avoir sur les personnes qui les découvrent ? La série "Secrets de famille" revient sur cet épineux sujet du mensonge et de dissimulation au sein même des foyers.
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