Stéphane Jourdain, "Pourquoi faut-il se méfier des nouveaux pères" : "On n'avait pas forcément conscience d'être à ce point une arnaque"

Avec la bande-dessinée "L'arnaque des nouveaux pères" (ed. Glénat), les journalistes Stéphane Jourdain et Guillaume Daudin dénoncent cette nouvelle génération de pères investis auprès de leurs enfants et qui font croire à un partage des tâches égalitaires entre père et mère. Interview.

Donner le biberon, changer les couches, assister aux réunions parents-profs, les pères le font aussi… Du moins, c’est ce qu’on voit sur les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il réellement ? Dans la bande-dessinée, "L'arnaque des nouveaux pères", les journalistes Stéphane Jourdain, Guillaume Daudin et le dessinateur Antoine Grimée, douchent les ardeurs des hommes qui prétendent à un partage égalitaire des tâches entre le père et la mère. Pire encore, ils pointent du doigt un système institutionnel français qui promeut l’inégalité.

Stéphane Jourdain évoque cette nouvelle génération de pères plus engagée mais pas encore assez avancée sur le chemin de l'égalité. "Les nouveaux pères, c’est cette génération d’hommes qui changent plus de couches et qui donnent plus de biberons que leurs propres pères. Ils ont donc l’impression d’être arrivés à une situation complètement égalitaire, alors que si l’on compare à ce que fait la mère en face, on se rend compte qu’il y a un gros différentiel et qu’on est loin d’une situation à la 50/50".

Certes, les "nouveaux pères" en font plus que leurs prédécesseurs, mais la charge mentale du foyer échoue encore trop souvent aux mères. Pendant que les pères se "mettent en scène", les mères, elles, s’occupent des tâches ‘invisibles’ : faire la cuisine, prendre les rendez-vous chez le pédiatre, s’absenter du bureau pour aller récupérer l’enfant malade… C’est pour cette raison que les auteurs parlent d’une arnaque : "Les nouveaux pères se racontent un peu une histoire. Ils se voient plus beaux que ce qu’ils ne sont. Quand on creuse un peu, que l’on cherche des chiffres et que l’on corrobore ça avec les témoignages de femmes, on se rend compte qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire".

Le concept des nouveaux pères trouve un écho particulier sur les réseaux sociaux. Il n’est plus rare de voir les hommes afficher leur quotidien de père avec parfois couches et biberons comme témoins. Selon Stéphane Jourdain, c’est en partie lié au "au concept de médailles et rétribution que les hommes cherchent".

L’arnaque ne réside pas seulement dans l’impression d’en faire davantage qu’avant, mais aussi dans le partage même des tâches. "Avec Guillaume ( Guillaume Daudin, co-auteur de l’enquête, ndlr), on n’avait pas forcément conscience d’être à ce point une arnaque. J’ai découvert à quel point les pères étaient enclins à faire des tâches quand elles sont valorisées par la société et par l’enfant". Ou pour le dire autrement, reléguer à la mère les missions les plus rébarbatives. Ces nouveaux pères vont préférer donner à manger plutôt que de préparer le repas de l’enfant, accompagner leurs progénitures à l’école sans penser à préparer le cartable et les vêtements la veille.

En 2022, sur près de 31 millions de rendez-vous pris pour l'enfant sur Doctolib, 85% d'entre eux sont réservés… par les mères. L’anticipation, l’organisation et la réalisation du travail domestique et familial porte un nom : la charge mentale. Et sans grande surprise, elle échoue majoritairement aux femmes.

En mars 2024, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a publié une étude sur la parentalité et le genre. Les chiffres de l’étude réalisée par la Drees révèlent qu’en moyenne, les femmes passent 22 heures seules avec leur(s) enfant(s) de 8 heures à 19 heures du lundi au vendredi, contre moins de 5 heures pour les pères. Le partage inégal des tâches familiales a aussi un impact sur les carrières des femmes. D’après les résultats de l’enquête, dans cinq cas sur six, lorsqu’un des deux parents s’éloigne de l’emploi (en raison de la présence d’enfants), il s’agit des mères.

Le partage équitable des tâches familiales serait donc un leurre, surtout au sein des couples hétérosexuels, et même avec la présence de ces prétendus nouveaux pères.

Pour réaliser cette enquête, les journalistes sont allés à la rencontre de différents experts dont Alix Sponton, sociologue, qui explique qu’en France, le système institutionnel promeut l’inégalité. Elle en veut pour preuve le congé paternel. Même si des efforts ont été faits en la matière, ils restent totalement insuffisants face au défi d’enrayer l’inégalité. "En 23 ans, on est passé de 3 à 28 jours. On est très loin de certains pays scandinaves, comme la Suède par exemple, qui tendent à avoir des congés paternels aussi longs que ceux des femmes. Dans les pays nordiques, les congés paternels se comptent en mois, 4, 5 à 6 en fonction des situations. "On est absolument persuadés qu’il faut arriver à un congé paternel qui soit comparable dans la taille à celui de la mère et que sans ça, on aura beaucoup de mal à partir sur une route qui soit égalitaire."

Alors, qu’est-ce qui pêche ? Stéphane Jourdain évoque, entre autres, une culture d'entreprise profondément patriarcale. "Quand les enfants sont malades, ce ne sont pas les pères qui prennent congé, ils ne vont pas partir du boulot à 17H30 pour gérer une inscription à la natation, ils n’oseront pas demander à décaler une réunion à 08H30 du matin pour pouvoir aller déposer les enfants à l’école…" Le monde de l'entreprise est marqué par un autre problème : faire acte de présence au bureau. Un symptôme bien français que l'on peut enrayer avec de la bonne volonté :"Est-ce que les pères français sont prêts à dire aujourd’hui : ‘Voilà, j’ai fini ma journée, j’ai été productif. Là, je ne vais pas rester pour rien faire alors que je pourrais être plus utile à la maison’".

La culture d’entreprise française demeure donc très patriarcale. Mais, d’après les auteurs, elle n’est pas immuable. Le chemin vers plus d’égalité demande une prise de conscience collective . "La société patriarcale inégalitaire est brutale d’abord pour les femmes et aussi pour les hommes, qui sont dans un costume pas très agréable quand on a un enfant qui arrive. Il faut que ça change, que ça change plus vite".

Les auteurs proposent quelques pistes pour soulager les mères et avancer sur le chemin de l'égalité : se mettre en parent n°1 à l'école pour répondre en premier aux sollicitations de l'école, faire un listing exhaustif de toutes les tâches à réaliser au sein du foyer et s'astreindre à en compléter le plus possible...

Pour les auteurs, le seul moyen de prétendre à une égalité entre les parents réside dans l’intervention du politique. "C’est un effort financier d’avoir un congé paternel qui soit l’équivalent de celui des femmes, mais des efforts financiers, on en fait tous les jours donc c’est vraiment une question de choix."