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Stérilité féminine : "Quand une femme ne peut pas avoir d'enfant, la société te considère comme cassée"

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Stérilité féminine : "Quand une femme ne peut pas avoir d'enfant, la société te considère comme cassée". © Getty Images

En 2023, la pression pèse toujours sur les épaules des femmes pour qu'elles fondent une famille. En témoignent les mesures prises aux États-Unis pour interdire l'avortement dans plusieurs États. Mais quid des femmes qui ne peuvent pas avoir d'enfant ? Outre la pitié, dont elles font généralement l'objet, bon nombre d'entre elles dénoncent une véritable stigmatisation.

ll y a quelques mois, Jennifer Aniston a évoqué avec franchise ses problèmes de fertilité. Dans une interview accordée au magazine Allure, en novembre 2022, la star de la série "Friends" avait évoqué son parcours de procréation médicale assistée (PMA) qui avait été un échec : "Toutes ces années, années et années de spéculation... C'était vraiment difficile. Je faisais des FIV, je buvais des thés chinois, tout ce que vous voulez. Je jetais tout sur mon passage. J'aurais donné n'importe quoi pour qu’on me dise : 'Congèle tes ovules. Fais-toi une faveur.' Et me voilà aujourd'hui. Le bateau est parti." Dans les colonnes du dernier numéro de Télé 7 jours, en kiosque ce lundi 27 mars 2023, elle revient sur cette période en pointant du doigt les commentaires dont elle a été victime.

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L'infertilité féminine, un sujet encore tabou

"Je me suis souvent sentie scrutée, comparée, jugée, condamnée, notamment sur les réseaux sociaux où la parole anonyme est cruelle et sans limites", affirme-t-elle dans le magazine. "J'ai ressenti le besoin de dire la vérité, une fois pour toutes. Je trouve sincèrement – cela va peut-être vous surprendre – que les femmes ne sont pas bienveillantes les unes envers les autres. Je ne comprends pas pourquoi. Sans mes amis, je ne sais pas ce que je serais devenue. Elles sont tout pour moi et me rendent meilleure."

Jennifer Aniston n'est pas la première à dénoncer les commentaires adressés aux femmes concernant le fait de fonder une famille. Dans son livre "Le bébé, c'est pour quand ?", Laetitia Millot pointait déjà du doigt à quel point cette question peut être violente pour les personnes confrontées à des problèmes de fertilité. Contrairement à ce que semble penser la chercheuse en philosophie Anna Smajdor, de l'université d'Oslo, qui propose dans un rapport d'utiliser comme mères porteuses des femmes en état de mort cérébrale, les femmes ne sont pas toutes faites pour enfanter. Certaines ne le veulent pas. D'autres, ne le peuvent pas. Et ces dernières ont bien conscience du regard que la société porte sur elles.

"J'en ai marre qu'on me regarde comme si j'étais cassée"

Julie, 32 ans, a entamé un parcours de PMA il y a maintenant quatre ans avec son compagnon de longue date. "Cela fait six ans que j'essaye d'avoir un bébé. On a tout essayé. Notre première fécondation in vitro (FIV), réalisée en 2022, a échoué. On prépare la prochaine. Mais j'en suis arrivée à un stade où je n'ose plus en parler à mes proches, car je ne supporte plus la tristesse dans leur regard. Ou plutôt, la pitié." La trentenaire l'affirme : "Quand une femme dit qu'elle ne veut pas d'enfant, c'est une posture féministe. Elle jouit de sa liberté à disposer de son corps, et c'est essentiel. D'ailleurs, ça commence à être mieux accepté par la société. Par contre, quand une femme ne peut pas avoir d'enfant, le regard des gens changent. Et moi, j'en ai marre qu'on me regarde comme si j'étais cassée."

Fille unique, Julie a toujours voulu fonder une famille, mais à cause de son endométriose, c'est compliqué. "Au début, j'étais reconnaissante du soutien de mes proches. Mais je n'en peux plus qu'on me recommande telle ou telle procédure, l'acupuncture, le thé de je ne sais quel pays ou même des statuettes de fertilité. Qu'on me parle d'adoption, de mère porteuse à l'étranger. Comme si je n'avais pas déjà tout envisagé ! J'aimerais parfois que le reste de mon entourage sorte de mon utérus, et que mon infertilité ne soit pas tout le temps remise sur la table. Parce qu'à force de me voir proposer des "solutions", j'ai l'impression qu'on me reproche de ne pas avoir assez essayé."

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"Ma mère a affirmé que mon mari aurait raison de me quitter"

Le cri du cœur de Julie est partagé par de nombreuses femmes qui ont entamé un parcours de PMA. D'autant que ce parcours reste encore compliqué, en dépit de la loi permettant la PMA pour toutes, votée le 29 septembre 2021. "À partir du moment où tu dis à quelqu'un que tu as des difficultés pour concevoir, cette personne semble estimer qu'elle a le droit de te poser des questions sur ta vie intime et sexuelle", regrette Héloïse, 43 ans. "Je me rappelle avoir été prise entre quatre yeux par mon beau-père, qui se permettait de me demander à quelle fréquence son fils et moi avions des rapports sexuels, si j'avais des orgasmes parce que 'ça facilite la conception', et autres questions crues." Mais le pire reste encore les commentaires des femmes, selon cette enseignante.

"Ma mère m'a dit que mon mari risquait de me quitter si je ne pouvais pas lui donner des enfants, et qu'il aurait raison. Je crois n'avoir jamais rien entendu d'aussi violent. Elle sous-entendait que mon époux ne voyait en moi qu'un incubateur sur pattes, et que les enfants portés par une femme étaient un don, un cadeau pour son mari, et non des petites personnes créées par amour pour fonder une famille." La quadragénaire utilise, sans le savoir, les mêmes mots que Julie. "La société voit les femmes stériles comme des femmes cassées, car elles ne peuvent pas remplir le premier rôle encore socialement attribué aux femmes, à savoir enfanter." À 43 ans, Héloïse sait aujourd'hui qu'elle n'aura pas d'enfant. "Après trois FIV, j'ai dit stop. Pour mon corps, pour ma santé mentale et pour mon couple. Avec mon mari, nous sommes tous deux enseignants. Notre famille, aujourd'hui, c'est aussi nos élèves."

"La filiation biologique est encore trop considérée comme la norme"

Depuis la loi sur la PMA pour toutes, les personnes transidentitaires ont elles aussi accès aux démarches, mais le parcours est long et compliqué. Le 19 février 2023, à Bourges, un couple composé d'une femme trans et d'un homme trans a accueilli un enfant : une première en France, selon Le Berry républicain, qui rapporte l'information. Pour tomber enceint, Mattéo (qui a porté l'enfant) et Victoire ont interrompu leurs traitements hormonaux, “qui réduisent la fertilité de manière peut-être irréversible”, ainsi que le rappelle la Haute autorité sanitaire.

Juliette, femme trans de 33 ans, n'a pas franchi l'étape vaginoplastie, mais n'est plus pour autant en capacité de concevoir. "Avec ma compagne, Maya, on envisage de commencer un parcours de PMA, car on sait que ça va être compliqué. Mais si nos proches nous ont soutenues dès le début dans ma transition, ils ne cessent de nous demander pourquoi nous n'essayons pas d'avoir un enfant 'naturellement'. Sauf qu'on ne pratique pas la pénétration, et que de toute façon, je suis devenu stérile à cause des hormones."

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Le couple pourra toujours avoir un enfant biologique grâce à la préservation de gamètes réalisées au début de la transition de Juliette, mais l'hésitation est encore présente. "On pense faire comme beaucoup de lesbiennes et de couples queer : faire appel à un donneur anonyme et faire une insémination à la maison, avec les moyens du bord. Moi, je m'en fous de transmettre mes gènes ou non à un bébé. Mais pour nos parents, on sait que cet enfant ne sera pas considéré comme le mien, car je ne serai pas son parent biologique. La filiation biologique est encore trop considérée comme la norme", regrette-t-elle. Avant de conclure, avec amertume : "Mais de toute façon, la stérilité des femmes trans, tout le monde s'en fout."

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