UFC Paris: A la découverte de Rose Namajunas, une légende face à Manon Fiorot
Elle a profité de ses premiers jours à Paris pour faire quelques visites. Le calme avant la tempête. Et le travail allié au plaisir. Adversaire de la Française Manon Fiorot ce samedi soir dans le co-combat principal de la deuxième édition de l’UFC Paris, un choc qui pourrait mener à une chance pour la ceinture des -57 kilos pour celle qui sortira victorieuse, Rose Namajunas est une combattante à part. Dans son monde, entre piano et jardinage, dont elle sort pour aller casser des bouches dans l’octogone. Il faut connaître son histoire pour comprendre.
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Légende de l’UFC, ancienne double championne chez les -52 kilos (catégorie où elle détient le record de combats terminés avant la limite à égalité avec Jessica Andrade et Amanda Lemos), considérée par beaucoup comme l’une des cinq meilleures combattantes de l’histoire, l’Américaine porte les stigmates d’une enfance dont on ne se défait jamais. Quand la Lituanie déclare son indépendance de l’URSS, son père réclame le statut de réfugiés et la famille fait ses valises pour Milwaukee, aux Etats-Unis. Le père a refusé d’intégrer l’armée soviétique.
Emprisonné dans un hôpital psychiatrique, torturé psychologiquement, il ne sera "plus jamais le même" (dixit sa fille). Rose naît dans le Wisconsin. Loin de la Lituanie. Mais vite proche de l’horreur. Ses parents divorcent. Son père, qui souffre de schizophrénie, disparaît de sa vie – "C’était trop difficile pour lui, et il a fini par mourir" d’une pneumonie en 2008 – et sa mère, une pianiste, se remarie. "Tout a basculé à ce moment-là, il a abusé de moi", raconte la combattante dans le documentaire Thug Rose: Mixed Martial Artist sorti en 2022 et qui lui est consacré. Les abus sont multiples.
Il y a cette vidéo où on voit son beau-père lui lancer un "Tu n’es pas drôle!" qui lui fait instantanément perdre son sourire enfantin. Il y a tout le reste… "Je m’enfermais dans ma chambre et je bloquais la porte. J’ai vécu des moments horribles." Nojus, le frère de Rose, met des mots sur les maux: "Je mourrais d’envie de l’étrangler et de ne pas desserrer l’étau. Ce sont les pires choses que l’on peut subir dans la vie, être abusé sexuellement. C’est impardonnable, surtout sur une personne aussi jeune et innocente."
Son échappatoire va se trouver dans les arts martiaux. "J’ai commencé vers quatre-cinq ans, avec le taekwondo. Je suis tombée amoureuse des arts martiaux. Ils m’ont permis de me canaliser plus facilement. C’était comme une thérapie. Ils m’ont permis d’évacuer ma frustration." Le karaté, le jiu-jitsu brésilien (elle a fait des compétitions de grappling récemment), le kickboxing et la lutte suivront. Elevée dans un quartier difficile de Milwaukee, avec une mère qui travaillait beaucoup, Namajunas est témoin de beaucoup de violence dans sa jeunesse. Elle hérite de son surnom, "Thug Rose" (Gangster Rose), donné par des amis car elle était la plus petite du quartier mais jouait plus à la dure que les autres.
Mais l’adolescente veut quitter tout ça. S’éloigner du pire. "Je me disais qu’on avait tous des problèmes. J’ai pris sur moi autant que j’ai pu pour que la situation ne soit pas pire. J’ai tout enfoui en moi jusqu’au jour où je suis enfin partie pour Minnesota pour poursuivre une carrière de combattante." Direction la Minnesota Martial Arts Academy où elle s’entraîne sous les ordres de Greg Nelson et va retrouver le combattant Pat Barry, son futur fiancé et partenaire d’entraînement rencontré quelques années auparavant quand les deux se sont croisés dans la salle de Duke Roufus à Milwaukee.
"J’ai rencontré Pat très tôt dans ma carrière et il m’a beaucoup soutenue sur mes problèmes. C’est le premier à qui j’en ai parlé… Il a sacrifié sa propre carrière. Il a vu quelque chose en moi qu’il n’avait peut-être pas en lui. Au départ, notre relation était coach-élève puis nous nous sommes rapprochés. C’est mon âme sœur, mon fiancé, mon roc, et il sera à mes côtés quoi qu’il arrive." "Rencontrer Rose a donné un sens à ma vie", appuie son compagnon. La jeune femme débute les compétitions de MMA amateur à l’été 2010, à 18 ans. Les victoires s’enchaînent jusqu’aux débuts chez les pros en janvier 2013, dans l’organisation 100% féminine Invicta. Deux victoires en trois combats lui ouvrent en 2014 les portes de l’émission The Ultimate Fighter, qui offre un contrat UFC à son vainqueur.
Avec une cerise sur le gâteau: la compétition va désigner la première championne des -52 kilos de l’histoire de l’UFC. Arrivée jusqu’en finale, elle ne met pas la main sur la ceinture, soumise par Carla Esparza (on en reparlera) sur étranglement arrière. Mais elle a mis le pied dans la porte de la plus grande organisation de MMA à travers la planète. Quatre victoires en cinq combats lui offrent une nouvelle chance pour le titre en novembre 2017, contre une Joanna Jedrezjczyk alors considérée intouchable dans la catégorie. Entretemps, en 2015, elle s’est rasé la tête. Boule à zéro ou presque. Qui lui donne un côté gangster dans la cage qui va bien avec son surnom. "Ce n’est pas un concours de beauté, mes cheveux me gênent à l’entraînement, je les coupe", explique-t-elle alors.
Pas favorite contre la Polonaise, elle choque le monde en mettant KO cette dernière dès le premier round. Namajunas est championne de l’UFC, statut confirmé en dominant Jedrezjczyk lors de la revanche remportée sur décision unanime quelques mois plus tard. La suite sera moins drôle. Une grosse année plus tard, l’Américaine revient défendre son titre contre la Brésilienne Jessica Andrade. Qui la termine sur un KO ultra spectaculaire, un slam qui voit sa tête fracasser le sol et se tordre. Elle a perdu sa ceinture. Mais ce slam aurait pu lui coûter beaucoup, beaucoup plus cher. "Là, tout de suite, j’aspire à faire autre chose de ma vie, réagit-elle sur l’instant. La retraite? Je ne sais pas. On verra."
Elle retournera dans la cage plus d’un an plus tard, en juillet 2020, pour prendre sa revanche sur Andrade sur décision partagée. Dans un style qui semble plus prudent, comme si ce slam l’avait vacciné sur les risques de son métier. "Nous avons fait les ajustements nécessaires", résume Barry, devenu son coach. Sous les ordres de Trevor Wittman, également entraîneur de Justin Gaethje et Kamaru Usman, elle récupère la ceinture en avril 2021 en explosant Zhang Weili d’un coup de pied à la tête inoubliable. Avant de lâcher un discours qui lui ressemble: "J’utilise mon don pour les arts martiaux pour devenir une meilleure personne. Cette ceinture ne signifie rien. Soyons de bonnes personnes!"
Elle défend sa couronne quelques mois plus tard contre la Chinoise avant de la perdre en mai 2022 sur décision partagée contre… Esparza à l’issue d’un combat parmi les pires de l’histoire de l’UFC pour un titre après lequel elle avait expliqué de façon un peu lunaire vouloir montrer "la supériorité de (s)on striking défensif". Depuis, elle n’est plus remontée dans la cage. Mais elle n’a pas été inactive. Il y a eu un peu de grappling mais surtout une vie privée qui continue à se construire. Elle a ramené sa grand-mère de Lituanie et lui a obtenu la carte verte pour pouvoir rester aux Etats-Unis. Elle a trouvé sa maison de rêve, où elle peut s’occuper de son potager, et l’a rénovée jusqu’à y installer une salle de sport pour pouvoir s’entraîner à la maison sans subir les aléas du trafic routier.
"Elle a toujours rêvé de vivre dans une ferme et de cultiver sa propre nourriture, explique Barry. C’est la vie qu’elle voulait. Elle a créé un cadre propice pour retrouver l’étincelle et s’entraîner durement, enchaîner avec un bain glacé, un sauna et un message, puis aller directement dans le jardin pour prendre des légumes et les cuisiner. Ça la rend incroyablement sereine. C’est notre oasis, un endroit magique, et Rose s’est battue pour qu’on y soit. (…) Et quand elle est en paix avec elle-même, elle peut soulever des montagnes." "Avant, j’essayais toujours de m’échapper, d’aller le plus loin possible de mes problèmes, complète-t-elle au micro de RMC Sport. Aujourd’hui, je peux être dans ma bulle et me rapprocher de Dieu."
Fiorot est prévenue. Sur la route du titre, une légende à l’esprit apaisé se dresse face à la Niçoise. Avec 2,3 millions de followers, celle qui se lance un nouveau défi car elle veut "se faire peur" en montant chez les -57 kilos sera la combattante la plus suivie de l’UFC Paris hommes et femmes confondus. La voir combattre en France est une chance. Et les amoureux de MMA en profiteront à sa juste valeur. "Rose a tout vécu, lance Dana White, le patron exécutif de l’UFC. Elle n’a jamais évité personne. C’est pour ça que les gens l’aiment. C’est une vraie combattante. Elle est un des visages les plus populaires de l’organisation."
Emotive, capable de pleurer avant comme après un combat, Namajunas ne se cache pas: "Mon passé m’a rendue émotive et colérique. (…) Mais je suis faite pour ça." "S’autoriser à pleurer devant les gens rend plus fort, conclut Pat Barry. Les gens ont peur de montrer leurs émotions. Ils pensent que c’est un signe de faiblesse. Mais pas pour elle. Impossible de faire ça en étant douce. Cette fille est un monstre ! Les légendes ont un truc en plus. Et ce truc, Rose l’a." Pour conquérir le Graal, Manon Fiorot va d’abord devoir escalader une montagne nommée Rose Namajunas.