Une orpheline de Singapour élevée par des nonnes : « je ne pensais pas que les autres comprendraient »

YOUR LIFE : tous les êtres humains ont une histoire à raconter. La collection Your Life présente des histoires personnelles de singapouriens, en revenant sur les épreuves de leur vie et le courage dont ils ont fait preuve pour les affronter.

Photo : Fam Jun Yong
Photo : Fam Jun Yong

Je m’appelle Fam Jun Yong et j’ai 23 ans. J’ai été confiée à deux nonnes bouddhistes par mes parents biologiques dès ma naissance en 1994.

Les nonnes avaient déjà la cinquantaine quand elles m’ont adoptée, et elles se comportaient plus comme des gardiennes que des mères adoptives. Il n’y avait donc que très peu d’affection dans cette relation. Le fossé entre les générations a également sûrement contribué à cette distance que je ressens.

La communication n’était pas facile, car elles ne parlaient pas anglais. Nous avons donc fini par utiliser des dialectes la plupart du temps. Cependant, nous avons tout de même eu du mal à nous entendre, vu que nos mentalités différaient tant.

Les nonnes avaient également accepté mes deux autres sœurs aujourd’hui âgées de 24 et 26 ans. Nous étions peut-être les dernières orphelines adoptées par les nonnes, pratiquement âgées de 70 ans aujourd’hui. Elles avaient déjà pris soin d’autres orphelins avant nous.

Les nonnes ont fait en sorte de bien nous élever, sans jamais être strictes avec nous. Nous étions libres de faire ce que nous voulions et nous n’avons pas été forcées d’adopter le même régime végétarien qu’elles.

Elles ont été capables de nous élever grâce aux revenus qu’elles obtenaient en réalisant des rituels et des rites lors d’évènements divers, comme des funérailles ou des pendaisons de crémaillère. Elles avaient elles-mêmes été élevées par des nonnes pour devenir nonnes, et leur monde tournait donc autour de ça. Nous n’avons heureusement jamais été forcées d’exercer la même profession.

À l’époque, très peu de gens, y compris mes professeurs et mes camarades de classe, ne savaient que j’étais élevée par des nonnes. J’avais alors tendance à garder les choses pour moi. Je confiais uniquement aux gens autour de moi que j’avais été adoptée, car je considérais qu’ils n’avaient pas besoin d’en savoir plus. Je pense aussi que mon cas était un peu trop complexe pour eux. Je ne pensais pas qu’ils seraient capables de comprendre, malgré mes tentatives.

Photo : Fam Jun Yong
Photo : Fam Jun Yong

Vers 11-12 ans, une enseignante m’a appelée au tableau pour critiquer mon travail scolaire et me traiter de mauvaise élève. Elle a même dit que l’absence de supervision parentale était probablement responsable de mon statut de mauvaise élève. « Regardez cette étudiante, ni père ni mère, voilà le résultat », a-t-elle dit en mandarin. Cet incident restera toujours gravé dans mon esprit. Tout le monde semblait penser que les enfants sans parents ne pouvaient jamais aller bien loin dans la vie, et cela tout au long de mes études primaires et secondaires. J’ai malheureusement décidé de les croire. Ils pensaient que j’étais une mauvaise élève, alors j’allais être une mauvaise élève. Je suis consciente aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’une décision idéale. L’un de mes professeurs au secondaire est parvenu à me faire changer d’avis, en me confiant le rôle de leader dans un travail de groupe. Ce rôle m’a permis de ressentir cette responsabilité d’aider les autres.

Photo : Fam Jun Yong
Photo : Fam Jun Yong

Je suis reconnaissante que l’un de mes enseignants ait été capable de réorienter ma vie. Michelle Teo, que j’ai rencontrée à l’école primaire, m’a aidé à m’ouvrir et à partager davantage. Je suis devenue consultante en recrutement et j’aide les gens à trouver un emploi. Je vis avec mes sœurs dans un logement social de quatre pièces, et nous rendons visite aux nonnes du temple pour les grandes occasions : comme le Nouvel An chinois. Nous célébrons également Hari Raya, car la sœur d’une des nonnes est devenue musulmane. La gentillesse et la bonté de l’enseignante m’ont permis de voir que tous ne me considéraient pas comme une mauvaise personne. Et que je n’ai pas à croire ceux qui le pensent quand c’est le cas. Je ne me laisse pas influencer par cela, même si je ne connais pas mes parents biologiques et que j’ai été élevée par des nonnes. Je pense que nous devrions tous croire en nous-mêmes et ne pas trop écouter ce que les autres racontent. Ils ne seront pas là pour vous quand vous aurez besoin d’aide. Si des gens autour de vous offrent de bons conseils, écoutez bien et travaillez dur. Mais, rappelez-vous que vous n’avez pas à changer.

Photo: Fam Jun Yong
Photo: Fam Jun Yong

Photo : Fam Jun Yong

Entrevue menée par Kerene Ng

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