Ventes multi-niveaux et arnaque : "On était des femmes précaires, c'est pour ça qu'on a été visées"

Ventes multi-niveaux et arnaque : "On était des femmes précaires, c'est pour ça qu'on a été visées" - Getty
Ventes multi-niveaux et arnaque : "On était des femmes précaires, c'est pour ça qu'on a été visées" - Getty

Depuis quelques jours, sur Prime Video, les téléspectateurs peuvent découvrir le documentaire "LuLaRich", consacré à la célèbre marque américaine LuLaRoe, accusée d'être une arnaque de vente multiniveau. Ces systèmes existent encore aujourd'hui un peu partout dans le monde, et la France n'est pas épargnée. Des personnes qui se sont fait avoir ont accepté de témoigner.

Depuis plusieurs semaines, le monde des influenceurs est secoué par des accusations d'arnaques, de ventes de contrefaçons ou de produits de mauvaise qualité, le tout via des plateformes de dropshipping qui leur permettent de faire d'énormes profits. La pratique a notamment été dénoncée par le rappeur Booba, qui s'en est pris à Magalie Berdah, et a même fait l'objet d'un reportage dans l'émission "Complément d'enquête". Mais avant que les influenceurs ne se mettent à vendre du thé minceur et des montres connectées, vous avez sans doute croisé des personnes sur Facebook, Instagram ou encore Twitter, qui faisaient la promotion de la vente multi-niveaux.

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Wraps minceur, thé miracle et compléments alimentaires

À une époque, particulièrement à la fin des années 2010, ces profils pullulaient sur les réseaux sociaux. Des femmes, souvent mères au foyer ou au chômage, qui proposaient à leurs connaissances des "produits miracle" dont les résultats étaient "prouvés" par des avant-après impressionnants et des commentaires de clientes élogieux. "Du pipeau", affirme Caroline*, mère de deux enfants qui s'est retrouvée dans un système qui s’est révélé être de la vente pyramidale sans rien voir venir. "À la base, une de mes amies était devenue revendeuse pour l'une de ces nombreuses marques. Je ne citerai pas laquelle car je suis actuellement en procès contre eux, mais leurs méthodes sont les mêmes que pour toutes les autres."

Mère célibataire, elle peine à l'époque à joindre les deux bouts. Son amie lui vante alors les mérites de la compagnie pour laquelle elle est revendeuse, et lui dresse un portrait qui laisse rêveur : "Elle me disait qu'on pouvait choisir nos horaires, vendre les produits, recruter des vendeurs et des vendeuses pour notre équipe, et surtout faire un max de bénéfice. En quelques mois, elle s'était fait plusieurs milliers d'euros. Avec mon compte en banque dans le rouge, ça m'a fait rêver." Son amie lui explique alors qu'elle peut la parrainer pour qu'elle rejoigne l'équipe de vendeuses par correspondance, et que par la suite, elle-même pourra recruter sa propre team pour décrocher des bonus. "J'ai vidé mon compte épargne pour réunir l'investissement nécessaire pour me lancer, en ayant conscience de prendre un risque, mais j'étais désespérée. Et au début, ça a cartonné." Car oui, pour débuter, il faut investir. Les sommes vont de quelques dizaines à plusieurs milliers d’euros.

Des primes qui encouragent, jusqu'à ce que tout s'écroule

Il faut moins de deux mois à Caroline pour récupérer son investissement de départ. "Toutes les semaines, je touchais des bonus, en plus des ventes que je réalisais. J'ai embarqué toutes mes copines dans l'aventure, je me suis créé un Instagram dédié sur lequel je reprenais les éléments de communication de la marque, j'ai rapidement gagné des abonnés... Comme je vendais des produits minceur, forcément, ça plaisait." En six mois, elle empoche 20 000 euros. "Une somme énorme, je n'en revenais pas, et ça me motivait encore plus. Surtout que plus j'arrivais à convaincre des gens de me rejoindre dans l'aventure, plus je gagnais de l'argent."

Tel est le fonctionnement de la vente multiniveau comme de la vente pyramidale : de nouvelles personnes injectent du capital pour se lancer, sous la houlette d'une marraine ou d'un parrain, et ces petits nouveaux démarchent ensuite d'autres potentiels intéressés afin de se rembourser de leur investissement. Les chaînons grandissent, se multiplient... Jusqu'à ce que tout finisse par s'effondrer. "Du jour au lendemain, le système de rémunération de l'entreprise pour laquelle j'étais revendeuse a changé, et tout l'argent que je devais toucher a été bloqué", regrette-t-elle. Depuis, la jeune femme lutte pour récupérer les 17 000 euros que la plateforme lui doit, et paye les pots cassés. "On est nombreuses dans ce cas. Ma marraine a 30 000 euros qui se baladent dans la nature, d'autres évoquent des sommes à six chiffres... On n'imaginait pas l'ampleur que tout ça avait pris, on pensait juste vendre des compléments alimentaires. On était toutes des femmes précaires quand on a commencé, et je pense que c'est pour ça qu'on a été visées..."

Vrais produits, fausses promesses

Le système de la marque LuLaRoe, évoquée dans le documentaire "LuLaRich" de Prime Video, fonctionne sur le même principe. Des vendeuses qui engagent d'autres vendeuses, dans l'espoir de devenir des mentors, et ainsi de suite. L'argent afflue, très vite. Mais les problèmes également, lorsque ces dernières se rendent compte que les produits sont en réalité de très mauvaise qualité. "On recevait des leggings moisis, déchirés, tâchés..." raconte l'une des personnes qui témoigne pour le documentaire. "Et la faute était toujours renvoyée sur nous. Résultat, on se retrouvait avec plusieurs milliers d'euros de marchandise invendable, et donc dans l'incapacité de récupérer notre mise de départ."

Iris*, qui a été revendeuse pour une marque qui officie notamment en France, est partie lorsqu'elle a réalisé les mensonges derrière les promesses des produits qu'elle vendait. "Au début, tout semblait tout beau tout rose", raconte-t-elle. "Puis petit à petit, on se rend compte des retouches grossières, du fait que ce ne sont pas les mêmes personnes sur les avant-après. La marque nous donnait même des astuces pour faire de fausses photos de résultats sur nous, puisqu'on devait tester les produits pour mieux les vendre. Ils m'ont envoyé des extensions pour promouvoir un produit qui faisait pousser les cheveux..." Pas question pour elle de continuer à mentir sur les produits qu'elle vend, mais son départ n'a pas été facile : "Forcément, ils ont essayé de faire jouer la moindre petite clause de contrat pour m'empêcher de partir." Ces méthodes ont d'ailleurs dépassé le cadre des témoignages pour inspirer la fiction, puisqu'un épisode de la série "Brooklyn Nine-Nine" est consacré à "Nutri-Boom", une arnaque pyramidale dans laquelle des policiers se retrouvent bloqués.

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Vente pyramidale : que dit la loi ?

Aujourd'hui encore, les systèmes de ventes pyramidales sont nombreux à apparaître sur les réseaux sociaux, mais ne sont évidemment jamais présentés comme tels. Pour cause, ils sont interdits en France... Depuis 1953. En effet, selon l'article L121-15 du Code de la consommation, il est "interdit de proposer à une personne de collecter des adhésions ou de s'inscrire sur une liste en exigeant d'elle le versement d'une contrepartie quelconque et en lui faisant espérer des gains financiers résultant d'une progression géométrique du nombre de personnes recrutées ou inscrites."

Toutefois, en France, la plupart de ces entreprises ne sont pas considérées comme des systèmes pyramidaux, affirme Jacques Cosnefroy, délégué général de la Fédération de la vente directe (FVD) dans les colonnes de Korii. "Le système de vente multiniveau est tout à fait légal", affirme-t-il, et ce alors que le sujet avait fait l'objet de débats à l'Assemblée nationale en 2016. La députée socialiste Marie Récalde affirmait alors : "Les sociétés se livrant à ce type de pratiques redoublent d'efforts pour dissimuler ce système." Un système souvent qualifié de "sectaire" par ceux qui ont réussi à s'en éloigner, à l'instar de Caroline : "C'est exactement comme dans l'épisode de Brooklyn Nine-Nine, tout est fait pour ériger les fondateurs de ces entreprises, qui sont souvent des personnes assez charismatiques, comme des personnes à qui tout réussit, et qui paraissent donc à l'abri de tout soupçon." Et comme souvent avec le capitalisme, dans ce genre de système, ce sont toujours les bases de la pyramide qui payent les pots cassés.

* Pour des raisons d’anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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