« Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry met en lumière la justice restaurative, un dispositif méconnu

Miou-Miou et Leïla Bekhti, ici dans « Je verrai toujours vos visages ».
Miou-Miou et Leïla Bekhti, ici dans « Je verrai toujours vos visages ».

CINÉMA - Alerte : film poignant. Ce mercredi 29 mars, le nouveau long-métrage de Jeanne Herry, précédemment auréolée par la critique pour Pupille (2018), arrive dans les salles de cinéma. À la limite entre la fiction et le documentaire, celui-ci s’intitule Je verrai toujours vos visages. Le sujet : la justice restaurative.

Son histoire nous donne deux rendez-vous. Le premier, en prison dans un cercle de parole composé de trois hommes condamnés pour vols avec violence (Dali Benssalah, Birane Ba, Fred Testot) et trois victimes de ces actes. Le personnage joué par Gilles Lellouche a été victime d’un home-jacking. Celui interprété par Miou-Miou, d’un vol à l’arraché. Et Leïla Bekhti, d’un braquage. Ils ne se connaissent pas et ne se sont jamais croisés.

En présence de deux professionnels formés pour accueillir et encadrer les discussions (Jean-Pierre Darroussin, Suliane Brahim), victimes et condamnés vont échanger dans le but d’aider les uns à se reconstruire, les autres à saisir ce que leurs actes ont eu comme conséquences.

Découvrez ci-dessous la bande-annonce :

De l’autre côté des murs, il y a Chloé (Adèle Exarchopoulos). Depuis qu’elle a appris que son frère, celui qui l’a violée pendant toute son enfance, était de retour dans la ville où elle vit, plus rien ne va. Elle ne veut pas le croiser, pas même par hasard. Pour ce faire, elle prend rendez-vous avec Judith (Élodie Bouchez) pour organiser une médiation, se partager le quotidien et les lieux. Cela va durer plusieurs mois.

« J’ai vraiment éprouvé la première scène de l’intérieur »

Les deux cas de figure donnent lieu à des face-à-face sous tension, troublants par leur approche de la vérité et éclairants sur le fonctionnement de la justice restaurative, pan de la justice méconnu mis en place en 2014 à l’initiative de Christiane Taubira. « Comme tout le monde, je n’y connaissais rien et j’ai appris énormément », explique Adèle Exarchopoulos à l’AFP.

Jeanne Herry, elle, s’est penchée dessus en faisant des recherches sur le fonctionnement du cerveau et de la justice. « Le fond me touche, mais c’est d’abord le cinéma qui m’importe, explique la cinéaste dans les notes de production. Ce sujet, je le choisis car je pressens que je vais pouvoir y planter des graines de romanesque et qu’il va m’offrir la possibilité de faire un bon film. » L’objectif de la justice restaurative, c’est la libération des émotions par la parole, lui a-t-on dit.

La réalisatrice n’a pas participé à des groupes de discussion, mais elle a suivi plusieurs formations, dont celle de médiatrice. « J’ai vraiment éprouvé de l’intérieur la première scène du film en jouant tour à tour des auteurs et des victimes face à des apprentis animateurs », indique-t-elle.

Des témoignages marquants

Jeanne Herry a pensé son film comme une enquête : elle a recueilli une quantité impressionnante de témoignages en collaboration avec Noémie Micoulet, qui travaille à l’Institut français de justice restaurative. L’un d’eux l’a marquée. Il concernait un couple de parents dont l’enfant a été assassiné dans des circonstances dramatiques.

« Compte tenu des charges très lourdes qui pesaient sur lui, le coupable avait été arrêté et condamné malgré ses dénégations. Or, ce couple avait besoin de savoir si c’était vraiment lui. Ils ont demandé à le rencontrer, le type a accepté. Ils se sont longuement préparés et, lors de l’entrevue, la seule question qu’ils lui ont posée c’était : ’On veut savoir si c’est vous’. Il a répondu : ’Oui, c’est moi’. Merci, au revoir. C’était ça la rencontre, mais c’était tellement intense », raconte la cinéaste, toujours dans les notes de production.

Comme dans son film, les victimes expriment leur détresse et leur colère. De là naissent des échanges avec les agresseurs, dont ils découvrent la dimension humaine leur permettant parfois d’interroger leurs parcours de vie. La peur des deux côtés s’exprime et contribue à apaiser tout le monde.

« Ça fait trois ans que je suis suivie par un psy et là, en trois heures, tu m’as débloquée », souffle une Leïla Bekhti en caissière abattue à l’adresse d’un des braqueurs condamnés joué par Dali Benssalah. Depuis qu’il lui a dit n’avoir aucun souvenir du visage des personnes qu’il a braquées, elle est rassurée.

83 mesures en cours

« L’idée est de dire : ce que l’auteur a commis est un acte inacceptable. Mais il reste d’abord un être humain. Pour qu’il puisse réintégrer la société dont son acte l’a exclu, comment faire preuve de responsabilisation envers son crime et aider à la réparation de celui ou celle qui en a été victime ?  » explique Noémie Micoulet, là aussi dans les notes de production.

Les individus condamnés pour leur acte « doivent avoir une reconnaissance au moins partielle de leur culpabilité, complète Jeanne Herry. Et c’est parce qu’ils ont déjà cette reconnaissance que la confrontation avec les victimes peut potentiellement achever de les responsabiliser. »

Noémie Micoulet précise que 83 mesures concernant 131 bénéficiaires sont en cours de réalisation cette année. « Ce n’est pas assez, indique la spécialiste. Trop peu de personnes connaissent encore l’existence des mesures de justice restaurative. » Je verrai toujours vos visages ne fait pas seulement passer l’information, il raconte le dispositif avec brio.

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