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Voyager seul, une expérience qui n’est pas faite pour tous

Beautiful warm nature and sunset in sky. Melancholic feeling concept. Vector illustration.
Overearth / Getty Images/iStockphoto Beautiful warm nature and sunset in sky. Melancholic feeling concept. Vector illustration.

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Voyager en solitaire peut s’avérer être une souffrance, en particulier à cause de la solitude et du mal du pays.

VOYAGE - Quand Romain passe la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, il craque. Une quinzaine d’heures de bus inconfortables, des files d’attente interminables, des policiers qui lui hurlent dessus dans une langue qu’il ne comprend pas… Il en vient à pleurer : « J’étais complètement perdu face à l’autorité. J’avais l’impression d’aller en prison alors que je n’avais rien fait. » Resté seul pendant une semaine, il rejoint ensuite une équipe de bénévoles sur une île cambodgienne. Là-bas, la présence d’autres Français l’a beaucoup aidé. Mais voyager en solitaire, il ne le refera jamais.

À 20 ans, le jeune homme, originaire de Nîmes, a des choses à se prouver. Il se soumet à l’injonction qui dit : « Voyager seul, il faut le faire une fois dans sa vie. » Sur les réseaux sociaux, à la télé ou dans les journaux, dans notre entourage, on nous rappelle régulièrement les vertus d’un tel périple : rencontrer des gens, se connaître soi-même, se mettre au défi, mieux s’imprégner d’une culture locale… En omettant souvent les mauvais côtés. Seuls, à l’étranger, certains souffrent du mal du pays, de la solitude, parfois exacerbée, d’un ennui profond ou encore d’un manque de partage.

À l’heure où le fait de voyager seul est de plus en plus populaire, beaucoup de personnes ne semblent pas prêtes, pas faites ou n’ont tout simplement pas l’envie d’entreprendre ce que les réseaux sociaux et les agences de voyages nous vendent bien souvent comme un rite initiatique. Car, bien qu’il ait beaucoup de bienfaits pour certains, le voyage en solitaire peut aussi s’avérer être un désastre émotionnel.

La construction du fantasme

« J’étais très grand, blanc et tout le monde me regardait. Les gens m’accostaient dans la rue et je ne parlais pas la langue », se souvient Romain qui souffrait des différences culturelles. Il confie pleurer chaque soir, à l’auberge, dans un état de « solitude extrême et d’inconfort total. » Difficile à vivre pour lui qui « ne peut pas passer une soirée seul.  » Fort heureusement, sa situation évolue et il garde quand même un souvenir très positif de ses 5 mois au Cambodge où il fait finalement de très belles rencontres.

Le fantasme du voyage solo s’est construit sur les bases du mythe de l’aventurier solitaire, de l’explorateur qui part en bateau avec juste une radio. À l’époque, il se voulait en rupture avec la société. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. « Il y a un anticonformisme de masse dans le fait de voyager seul », analyse Rodolphe Christin, sociologue et essayiste critique du tourisme de masse. Le fantasme, lui, perdure et se répand, alimenté par les réseaux sociaux et l’industrie du tourisme qui vend le voyage solitaire comme un moyen de sortir des sentiers battus.

Si bien que selon une étude du site de réservations en ligne Hostelworld, les réservations pour voyageur solo ont augmenté de 42 % entre 2015 et 2017. Si l’on s’intéresse uniquement aux femmes, leur nombre est passé de 59 millions à 138 millions entre 2014 et 2017 selon l’Organisation mondiale du tourisme. Les confinements ont évidemment diminué ces chiffres. Mais pas la soif de voyage. Selon une enquête eDreams menée auprès de 1 000 internautes ayant l’intention de voyager, 42,8 % d’entre eux envisageaient de le faire en solo en 2020 contre 10,4 % en 2019.

Le voyage en solitaire fait partie intégrante du tourisme de masse. « On est en plein cœur d’un système qui fait de la promotion pour faire partir 100 personnes en individuel. En groupe ou en solitaire, ça reste 100 personnes. Le voyage est devenu une espèce de pratique conventionnelle et les prestataires qui veulent nous faire partir se servent de toutes les formes », critique Rodolphe Christin. Selon lui, « la dimension d’apprentissage et d’initiation est significative si l’on ne se laisse pas guider par les réseaux sociaux et les sentiers touristiques. Les influenceurs servent à la promotion de certaines destinations et sont payés pour ça. C’est un problème dans le sens ou ils n’apportent pas de critiques. »

La déception sur place

Les paysages sont toujours magnifiques, les gens toujours ouverts et les lieux toujours déserts. Pas étonnant que certains soient déçus quand le fantasme est constamment alimenté de cette façon. Alphonse* l’a été lors d’un voyage d’une semaine en Chine. La barrière de la langue, les arnaques, certains comportements… « Quasiment tout m’a déplu. (...) Moi qui suis un maniaque de la propreté, je devenais dingue. Je n’étais pas bien dans ma peau, angoissé, je ressentais une oppression et je n’avais qu’une envie : rentrer.  » Il erre plusieurs jours dans ce pays où il n’apprécie même pas les visites : « Je pleurais en marchant, mon cerveau débloquait complètement. »

Des personnes dans ce genre de situation, Charline Janvier en rencontre chaque semaine. Elle-même expatriée, elle est psychologue spécialisée pour les gens qui voyagent. La plupart de ses patients la contactent pour cette sensation de mal-être : « Il y a des pays qui sont très déstabilisants. On n’a plus de repères linguistiques. C’est tellement intense que la personne va se retrouver complètement figée et sidérée ». Pour elle, les gens doivent être prêts à accepter une dose d’inconfort, de « chaos. »

« Les réseaux sociaux nous montrent une petite partie figée à un instant T sans l’envers du décor », constate-t-elle. Beaucoup de ses patients sont déçus : « Le voyage peut ne pas se passer comme on le souhaitait. On a un sentiment de frustration, de déprime et de tristesse. » Ses conseils ? S’écarter du fantasme lorsqu’on imagine le voyage en anticipant les moments où l’on se sentira mal. Puis faire le deuil de ce qu’on pensait réaliser mais qui ne se passe pas.

Karyne Vachon, une Québécoise de 25 ans, a été influencée par ses amis : « Tout le monde me disait que c’était bénéfique. Je m’attendais à rencontrer beaucoup de gens, à vivre beaucoup d’aventures, un peu comme ce qu’on voit dans les blogs de voyage. » Au final, elle estime être restée seule 75 % du temps lors de ce voyage en sac à dos de trois mois en Espagne.

La détresse de la solitude

Voyager seul n’est pas forcément synonyme de belles rencontres à foison. Karyne tisse des liens qu’elle juge superficiels avec d’autres filles. Il lui manque une réelle connexion amicale car « les bases ne sont pas solides quand on se rencontre en soirée. » Elle dénonce le côté égoïste que peut avoir un voyage en solitaire : « Le matin, on partait parfois sans certaines personnes. On m’a aussi laissé solo. Je comprends qu’on voyage chacun pour soit mais c’est important pour moi d’avoir confiance en des gens. » S’installe chez elle un sentiment de tristesse et de solitude.

Après coup, elle estime qu’un tel voyage n’est tout simplement pas fait pour elle. « Je suis plutôt introvertie », relève-t-elle avant de développer : « C’est difficile de faire le premier pas. Surtout vers des groupes. Je ressens plutôt le besoin d’avoir des relations profondes. »

Laïla souffre aussi de solitude en Nouvelle-Zélande, où elle est partie en tant que fille au pair sur les conseils d’une amie. « Je suis excentré de la ville, avec des contraintes. Je suis très souvent avec ma famille et je n’ai pas vraiment de moyens de me faire des potes », confie-t-elle. Elle essaye, jusqu’à sortir toute seule en boîte de nuit. Mais Laïla avoue avoir beaucoup cogité et avoir eu envie de rentrer. Elle porte quand même un regard positif sur ce qu’elle a fait : « Je suis assez fière. J’ai plus de mental qu’avant et je me sens plus ouverte. »

Pour Charline Janvier, la solitude n’est pas forcément liée au voyage. « Ceux qui partent seuls se retrouvent rarement seuls. Quand la solitude devient un enjeu, c’est souvent parce que le voyageur n’était pas prêt à se confronter à lui-même ou qu’il n’allait pas bien avant de partir », analyse-t-elle. Ou tout simplement la faute à pas de chance. « La solitude peut s’expérimenter », continue la psychologue qui conseille : « On peut se prendre quatre jours dans une ville à 200 kilomètres de chez soi » avant de sauter le pas à 2 000 kilomètres. Ou pas.

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