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La crise sanitaire, révélatrice des inégalités de genre dans les carrières académiques

Durant la crise sanitaire liée au Covid-19, quelques voix se sont levées pour alerter l’opinion publique sur une amplification des inégalités entre les hommes et les femmes. En France une enquête de l’INED (Institut National d’Études Démographiques) a montré que le télétravail était un révélateur de profonds écarts au sein du foyer. Le Comité Économique et Social Européen a également émis un avis pour que « le télétravail n’exacerbe pas la répartition inégale des tâches domestiques et de soins non rémunérés entre les femmes et les hommes ».

Ces questions ont également touché le monde universitaire, tant du point de vue de l’enseignement que de la production scientifique, qui s’avèrent être les deux principaux piliers de l’évaluation académique et donc de l’avancement de carrière. Dans un article récent, Malisch et al. (2020) examinent comment la crise sanitaire amplifie les barrières à l’avancement de carrière des femmes académiques et appellent les universités à revoir leurs processus d’évaluation.

Elles soulignent des signes déjà existants de la baisse de productivité scientifique des académiques de sexe féminin au profit de leurs collègues masculins durant la crise sanitaire. De plus, dans le monde universitaire, les femmes occupent plus souvent des postes temporaires et ont une charge d’enseignement supérieure à la moyenne, avec des effectifs plus nombreux.


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L’enseignement en ligne prend plus de temps pour ceux qui ont des classes plus nombreuses et plus d’heures de contact avec les étudiants. Les impacts du Covid-19 sur le monde universitaire vont donc accroître l’inégalité de sexes dans l’enseignement et les services. Cette crise risque de renforcer un déséquilibre de genre déjà existant dans la communauté scientifique.

Les enseignants-chercheurs, comme leur nom l’indique, consacrent une grande partie de leur temps à enseigner et ces enseignements sont évalués par les étudiants, or là aussi, des biais genrés existent qui peuvent amener à des discriminations. Mais ces biais ne sont toujours pas pris en compte, ni par les directions universitaires, ni par les recherches étudiant l’impact de la crise sanitaire sur les inégalités de genre.

Nouvelles études

Pourquoi n’y a-t-il aucune considération de genre dans l’évaluation des performances des enseignants en classe alors qu’existent différents prix d’interprétation pour les actrices et les acteurs ? Il a été pourtant démontré depuis de nombreuses années qu’il existe un préjugé sexiste dans les évaluations des étudiants, c’est-à-dire la manière dont les étudiants jugent leurs professeurs à travers des notations. Un préjugé sexiste existe si les professeurs de sexe féminin et masculin obtiennent des évaluations différentes qui ne peuvent pas être expliquées par des différences objectives de la qualité de l’enseignement. La recherche a montré que ce préjugé sexiste dépend de trois caractéristiques principales :

  • des différences liées aux caractéristiques propres de la discipline (plus de discrimination à l’égard des femmes enseignant l’ingénierie que de celles enseignant l’anglais, par exemple) ;

  • des différences liées au sexe de l’évaluateur (plus de discrimination à l’égard des femmes provenant d’étudiants masculins) ;

  • et des différences liées au statut du professeur évalué (professeur non titulaire ou titulaire).

Trois études récentes, menées par MacNell, Driscoll et Hunt, en 2015, Mengel, Sauermann et Zölitz, en 2017, et Mitchell et Martin, en 2018, ont tenté de surmonter cette difficulté méthodologique, afin d’établir l’effet du genre sur les évaluations indépendamment des autres caractéristiques. Les notations des étudiants sont donc subjectives et biaisées au profit des professeurs de sexe masculin.

MacNell et ses co-auteurs (2015) utilisent un design expérimental fondé sur des cours de sciences sociales en ligne. Cette expérience de cours en ligne permet de changer le sexe perçu d’un professeur masculin et d’un professeur féminin. Le même professeur se faisant passer alternativement pour une femme ou pour un homme, il est donc possible d’observer l’impact du genre uniquement. L’expérience vérifie en fait si les différences dans les évaluations des étudiants résultent d’une différence de style d’enseignement ou d’attentes inégales des étudiants pour les professeurs masculins et féminins.


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Une identité masculine perçue (même s’il s’agit d’un véritable professeur féminin) reçoit des notes nettement plus élevées en termes d’enthousiasme, de connaissances, de professionnalisme ou de rapidité, tandis que l’étudiant évalue le professeur féminin perçu (quel que soit le sexe réel du professeur) en moyenne 0,54 point de moins (en utilisant une échelle de Likert de 5 points). Cette expérience indique que le biais d’évaluation n’est pas le résultat d’un comportement sexué de la part des professeurs, mais d’un biais réel de la part des étudiants (nombre égal d’étudiants masculins et féminins).

Biais cognitifs

Afin de compléter et renforcer les résultats de cette étude, Mengel et ses co-auteurs ont développé un design de recherche quasi expérimental à l’université de Maastricht. Par rapport à MacNell et al. (2015), ils utilisent des données provenant d’une classe plus traditionnelle et disposent d’un échantillon plus important (19 952), le leur ne comportant qu’un échantillon de 43 étudiants affectés à 4 identités d’instructeurs différentes.

Dans chaque cours, les étudiants sont assignés de manière aléatoire à un professeur de sexe féminin ou masculin, une caractéristique institutionnelle permettant d’identifier les effets causaux. Là encore, les professeurs de sexe féminin reçoivent systématiquement des évaluations d’enseignement inférieures à celles de leurs collègues masculins.

Les évaluations les plus faibles proviennent principalement des étudiants masculins (21 % d’écart type inférieur aux professeurs masculins contre 8 % d’écart type plus faible pour les étudiantes). L’effet est particulièrement prononcé pour les jeunes professeurs, et il est nettement plus important pour les cours dont le contenu est lié aux mathématiques. Il est frappant de constater qu’en dépit d’un matériel pédagogique identique, les étudiants de sexe masculin évaluent moins bien le matériel pédagogique lorsque le professeur est une femme…

Ces biais cognitifs peuvent également avoir leur importance dans d’autres professions intellectuelles, où les processus d’évaluation sont très codifiés et reposent sur les pairs, comme l’audit financier. Ce domaine est également connu pour son phénomène de plafond de verre où la recherche comptable a établi que les femmes sont rarement promues à la tête des grands cabinets d’audit.

Dans l’article « New avenues of research to explain the rarity of females at the top of the accountancy profession », nous proposons une approche émergente qui utilise les distinctions de genre dans le langage pour mesurer les attitudes culturelles envers les rôles genrés et les biais cognitifs ainsi engendrés. L’idée selon laquelle le langage peut saisir les rôles genrés et même influencer leur formation et leur persistance a fait l’objet de nouvelles recherches en linguistique et en économie. Nos résultats suggèrent que l’utilisation de la langue comme mesure de la culture et des biais cognitifs est une approche nouvelle qui peut expliquer la rareté des femmes à la tête des cabinets d’audit.

Les préjugés sexistes dans l’évaluation de l’enseignement sont un sujet qui met mal à l’aise. Néanmoins, il doit être mieux compris et reconnu.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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