EN IMAGES - Adèle Haenel fête ses 32 ans : retour sur le parcours engagé de l’actrice
Après l’émergence du mouvement #MeToo aux États-Unis, Adèle Haenel devient en novembre 2019 la première comédienne française à briser le tabou sur les violences sexuelles dans le septième art. Elle assume depuis un statut politique et sociétal auquel elle ne s’attendait probablement pas, et qui a trouvé son point d’orgue à travers son geste puissant lors de la 45e cérémonie des César. À l’occasion de son 32e anniversaire ce jeudi 11 février, retour sur ses engagements et ses accusations à l’encontre de Christophe Ruggia.
Un coming out passé inaperçu
Le 28 février 2014, Adèle Haenel est récompensée par le César du Meilleur second rôle pour sa performance dans le drame Suzanne. Sur la scène du théâtre du Châtelet, elle fait son coming out en clamant son amour pour la réalisatrice Céline Sciamma. "Je voulais remercier Céline... Parce que je l'aime", déclare-t-elle. "Ce qui est drôle, c'est qu'après la cérémonie des César, c'est comme si personne n'avait entendu. Je me suis dit : ‘Tant mieux, j'ai pas envie d'en parler...’", confie-t-elle à Têtu en juin 2014.
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L’actrice ajoute auprès du magazine : "Je n’ai pas envie d'être un porte-drapeau, moi, j'ai envie de faire des films et du cinéma plus que de faire de la politique, mais c'est quand même mélangé". "C'était aussi sincère", conclut-elle. Pour la comédienne récompensé par un deuxième César en 2015 pour Les Combattants, la frontière entre politique et septième art devient encore plus mince par la suite, puisqu’elle est à l’origine d’une libération de la parole en France.
Un témoignage glaçant
En 2002, la future vedette apparaît dans son premier long-métrage, le drame Les Diables de Christophe Ruggia. 17 ans plus tard, en novembre 2019, elle accuse le cinéaste de harcèlement et d’attouchements durant la préparation du film. Les faits se seraient déroulés entre 2001 et 2004, entre ses 12 et ses 15 ans. Dans une longue enquête menée par Mediapart, la jeune femme raconte ses visites au domicile du réalisateur : "Je m’asseyais toujours sur le canapé et lui en face dans le fauteuil, puis il venait sur le canapé, me collait, m’embrassait dans le cou, sentait mes cheveux, me caressait la cuisse en descendant vers mon sexe, commençait à passer sa main sous mon tee-shirt vers la poitrine. Il était excité, je le repoussais mais ça ne suffisait pas, il fallait toujours que je change de place". Le site évoque également des lettres du metteur en scène à la comédienne, écrites en 2006 et 2007, où il fait part de son "amour" qui "a parfois été trop lourd à porter". Des proches et des membres de la famille de l’actrice assurent que le cinéaste "tout puissant" avait une emprise sur l’adolescente.
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"Un regard de peur"
Pour les besoins de son enquête publiée en novembre 2019, Mediapart interroge Mona Achache, ancienne compagne de Christophe Ruggia. Cette dernière revient sur une scène que lui aurait racontée son ex. "Il regardait un film avec Adèle, elle était allongée, la tête sur ses genoux à lui. Il avait remonté sa main du ventre d’Adèle à sa poitrine, sous le tee-shirt. Il m’a dit avoir vu un regard de peur chez elle, des yeux écarquillés, et avoir pris peur lui aussi et retiré sa main", se souvient-elle. D’après la réalisatrice, "il ne remettait pas en question le principe même de cette relation avec Adèle ni la genèse d’une relation qui rende possible qu’une enfant puisse être alanguie sur ses genoux en regardant un film".
Un "engagement politique"
Adèle Haenel décide de témoigner contre Christophe Ruggia par "engagement politique". "Dans ma situation actuelle – mon confort matériel, la certitude du travail, mon statut social –, je ne peux pas accepter le silence, explique-t-elle à Mediapart. Et s’il faut que cela me colle à la peau toute ma vie, si ma carrière au cinéma doit s’arrêter après cela, tant pis. Mon engagement militant est d’assumer, de dire : 'Voilà, j’ai vécu cela'. Et ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on doit porter la honte, qu’on doit accepter l’impunité des bourreaux. On doit leur montrer l’image d’eux qu’ils ne veulent pas voir."
"Tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer"
Dans son témoignage publié par Mediapart, la star affirme qu’elle n’a pas souhaité porter plainte contre Christophe Ruggia. "La justice nous ignore, on ignore la justice", assure-t-elle, ajoutant que l’institution "condamne si peu les agresseurs". Le 6 novembre, le parquet de Paris ouvre néanmoins une enquête préliminaire pour "agressions sexuelles" et "harcèlement sexuel". L’artiste déplore la "violence systémique faite aux femmes dans le système judiciaire" français, lors de son témoignage contre Christophe Ruggia. "Il y a tellement de femmes qu’on envoie se faire broyer, soit dans les façons dont on va récupérer leurs plaintes, soit dans la façon dont on va disséquer leur vie et puis porter le regard sur elles, la faute c’est elle : 'Comment elle s’est habillée ? Qu’est-ce qu’elle a fait ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Qu’est-ce qu’elle a bu ?' Mais arrêtons, quoi", assure-t-elle dans une conversation organisée par Mediapart le 4 novembre 2019.
La réponse de la ministre de la Justice
Au micro de France Inter le 6 novembre 2019, Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, répond à la comédienne qu’elle "a tort de penser que la justice ne peut pas répondre à ce type de situations". Tout en saluant l’acte "très courageux" de l’actrice, la garde des Sceaux ajoute : "Je pense au contraire, surtout avec ce qu'elle a dit, qu'elle devrait saisir la justice, qui me semble être en capacité de prendre en compte ce type de situations". "Elle en sortira renforcée et la situation de la personne qui est mise en cause également", affirme-t-elle. La ministre assure que le gouvernement œuvre pour faciliter les dépôts de plainte pour violences sexuelles, "notamment en permettant aux femmes de déposer plainte dans les hôpitaux et en permettant la plainte en ligne".
Des dénégations qui entraînent un dépôt de plainte
Dans un communiqué publié le 6 novembre 2019, Christophe Ruggia réfute les accusations de l’artiste. "Je n’ai jamais eu à son égard, je le redis, les gestes physiques et le comportement de harcèlement sexuel dont elle m’accuse, mais j’ai commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite, déclare-t-il. À l’époque, je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut, je lui demande de me pardonner." Après la publication du démenti du metteur en scène, Adèle Haenel dépose finalement plainte, lorsqu’elle est entendue par les enquêteurs de l’Office central de la répression des violences aux personnes. Elle affirme ne pas vouloir "se dérober" et assumer sa "responsabilité de justiciable et de personnalité publique".
Une confrontation suivie d’une mise en examen
Le 15 janvier 2020, une confrontation entre Adèle Haenel et Christophe Ruggia est organisée durant la garde à vue du cinéaste, révèle une source proche du dossier à l’AFP. Chacun maintient alors sa version des faits. Le réalisateur est par la suite mis en examen pour "agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime", et placé sous contrôle judiciaire. Il a également interdiction de rencontrer la comédienne.
#MeToo : "La France a complètement raté le coche"
En février 2020, trois mois après ses accusations à l’encontre de Christophe Ruggia, Adèle Haenel s’exprime publiquement pour la première fois auprès du New York Times. Elle évoque alors le "paradoxe #MeToo en France". "C’est l’un des pays où le mouvement a été le plus suivi, du point de vue des réseaux sociaux, mais d’un point de vue politique et médiatique, la France a complètement raté le coche", estime-t-elle. Pour la star, "beaucoup d’artistes ont confondu, ou voulu confondre le jeu sexuel et l’agression". Néanmoins, "dans les discussions, #MeToo s’est imprimé dans les esprits".
Une libération de la parole progressive
Au cours de son interview pour le New York Times, la star explique comment le mouvement #MeToo l’a influencée dans son témoignage contre Christophe Ruggia. "#MeToo m’a aidée à réaliser que mon histoire n’était pas juste personnelle, que c’était une histoire de femmes, d’enfants, qu’on porte toutes, déclare-t-elle. Mais je ne me sentais pas prête à la partager au moment où #MeToo a émergé. J’ai mis du temps à faire le parcours personnel qui m’a permis de me placer comme victime. Je crois que je n’ai pas été plus vite que la société française."
"C’est une honte !"
Le 28 février 2020, Adèle Haenel quitte précipitamment la 45e cérémonie des César lorsque Roman Polanski est récompensé par le trophée du Meilleur réalisateur pour J’accuse. "C’est une honte", clame-t-elle en quittant la Salle Pleyel. "Vive la pédophilie, bravo la pédophilie !", ajoute-t-elle dans le hall. Quatre jours plus tôt, l’actrice déclare dans les colonnes du New York Times : "Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire : 'Ce n’est pas si grave de violer des femmes'".
"L’élément déclencheur"
Après la 45e cérémonie des César, l’actrice revient sur sa décision de quitter la soirée et ses propos auprès de Paris Match. "J’étais énervée mais je n’aurais pas pété les plombs s’il n’y avait eu ce mec derrière moi qui a crié 'Bravo Roman !' quand Polanski a gagné. Ça a été l’élément déclencheur, raconte-t-elle. J’ai dit 'C’est la honte', Céline [Sciamma, ndlr.] m’a répondu 'Viens on se casse', et je me suis levée." Le geste de la comédienne est salué par de nombreuses personnalités, dont Virginie Despentes. Dans une tribune publiée dans Libération, l’écrivaine déclare : "La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie : Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit m*rde".
"Une nouvelle vision du désir"
Lors de son entretien pour le New York Times réalisé en février 2020, Adèle Haenel est interrogée sur Portrait de la jeune fille en feu. Le long-métrage marque ses retrouvailles cinématographiques avec la réalisatrice Céline Sciamma après Naissance des pieuvres et concrétise leur envie de présenter "une nouvelle vision du désir" dans le septième art. "On n’applique pas un programme pré-écrit, qui est 'tomber amoureux sans comprendre pourquoi on tombe amoureux', qui inclut une situation de domination, un rapport de pouvoir inégal qui sont considérés comme moteurs de l’érotisme, explique la jeune femme. Le film s’affranchit de cela. On propose quelque chose qui, politiquement, artistiquement, nous asservit moins."
De passage sur France Inter en septembre 2019, Adèle Haenel déclare déjà à ce sujet : "On a une représentation hyper stéréotypée de la sexualité au cinéma. […] Le regard masculin a été associé à un regard neutre pendant très longtemps parce que l’immense majorité des films est produite par des hommes qui regardent des femmes. Ce regard a une origine et a un rapport avec la domination masculine. Et nous on propose un regard féminin qui n’est pas ontologiquement différent, mais qui est hybride".
Et la suite ?
Au cours de son interview réalisée avec l’actrice en février 2020, le New York Times demande à cette dernière si ses projets sont "affectés par l’impact de [son] histoire". "Il est trop tôt pour le dire, mais peu importe si cela nuit à ma carrière. Je crois que j’ai fait quelque chose de bien pour le monde et pour mon intégrité", répond l’intéressée.