Les aliments transmettent des messages à nos gènes

<span class="caption">L’alimentation peut influencer le programme génétique qui nous façonne.</span> <span class="attribution"><a class="link " href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/cropped-image-of-hands-preparing-food-on-table-royalty-free-image/664647131?adppopup=true" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Maskot via Getty Images;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">Maskot via Getty Images</a></span>

On considère généralement les aliments du point de vue des calories, de l’énergie et de la subsistance. Cependant, de nouvelles données indiquent que les aliments « parlent » à notre génome, c’est-à-dire au programme génétique qui régit le fonctionnement de l’organisme jusqu’au niveau cellulaire.

Cette communication entre la nourriture et les gènes peut avoir une incidence sur la santé, la physiologie et la longévité. L’idée que les aliments transmettent des messages importants au génome d’un animal est à la base d’une science appelée nutrigénomique. Cette discipline n’en est qu’à ses débuts, et de nombreuses questions demeurent entourées de mystère. Les chercheurs ont néanmoins déjà beaucoup appris sur la façon dont les composants alimentaires agissent sur le génome.

Je travaille en biologie moléculaire et j’étudie les interactions entre la nourriture, les gènes et le cerveau afin de mieux comprendre comment les messages alimentaires influencent notre biologie. Les efforts des scientifiques pour déchiffrer cette transmission d’informations pourraient un jour permettre à chacun d’entre nous d’avoir une vie plus saine et heureuse.

Mais d’ici là, la nutrigénomique a mis en lumière au moins un fait important : notre relation avec ce que nous mangeons est bien plus intime que nous l’aurions cru.

Interaction entre la nourriture et les gènes

Si l’idée que la nourriture puisse commander des processus biologiques en interagissant avec le génome semble étonnante, il suffit de regarder une ruche pour trouver un exemple parfait et reconnu de la façon dont cela se produit. Les abeilles ouvrières travaillent sans relâche, sont stériles et ne vivent que quelques semaines. La reine, assise au fond de la ruche, a une durée de vie de plusieurs années et une si grande fécondité qu’elle donne naissance à une colonie entière.

Or, les abeilles ouvrières et les reines sont des organismes identiques sur le plan génétique. Elles deviennent deux formes de vie différentes à cause de la nourriture qu’elles consomment. La reine se régale de gelée royale, tandis que les ouvrières mangent du nectar et du pollen. Les deux fournissent de l’énergie, mais la gelée royale présente une caractéristique supplémentaire : ses nutriments peuvent déverrouiller les instructions géniques qui permettent de créer l’anatomie et la physiologie d’une reine.

Comment la nourriture se traduit-elle en instructions ? Les aliments sont constitués de macronutriments, notamment les glucides — ou sucres —, les protéines et les matières grasses. Les aliments contiennent également des micronutriments, tels que les vitamines et les minéraux. Ces composés et leurs produits de dégradation peuvent activer des interrupteurs géniques qui se trouvent dans le génome.

<span class="caption">Le domaine de la nutrigénomique cherche à comprendre comment divers types d’aliments transmettent des messages différents — et importants — à nos cellules.</span> <span class="attribution"><a class="link " href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/healthy-vs-unhealthy-shopping-trolleys-royalty-free-image/108821364?adppopup=true" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Peter Dazeley/The Image Bank via Getty Images;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">Peter Dazeley/The Image Bank via Getty Images</a></span>

Tout comme les interrupteurs qui régulent l’intensité de la lumière dans les maisons, les interrupteurs géniques déterminent la quantité d’un produit qui sera fabriqué. Ainsi, la gelée royale contient des composés qui activent les régulateurs géniques permettant de former les organes de la reine et de maintenir sa capacité de reproduction.

Chez l’homme et la souris, on sait que les sous-produits de l’acide aminé méthionine, que l’on trouve en bonne quantité dans la viande et le poisson, agissent sur des boutons géniques importants pour la croissance et la division cellulaires. La vitamine C joue un rôle bénéfique pour notre santé en protégeant le génome des dommages oxydatifs ; elle soutient également le fonctionnement de circuits cellulaires capables de réparer le génome s’il est endommagé.

Selon le type d’informations nutritionnelles, les régulateurs géniques activés et la cellule qui les reçoit, les messages contenus dans les aliments peuvent avoir un effet sur le bien-être, les risques de maladie et même la durée de vie. Il est important de préciser qu’à ce jour, la plupart des études sur le sujet ont été menées sur des modèles animaux, comme les abeilles.

Fait intéressant, la capacité des nutriments à modifier le flux d’informations géniques peut s’étendre sur plusieurs générations. Des études montrent que chez les humains et les animaux, l’alimentation des grands-parents influencera l’activité des interrupteurs géniques ainsi que le risque de maladie et la mortalité des petits-enfants.

Causes et effets

Considérer la nourriture en tant qu’information biologique peut changer notre vision de la chaîne alimentaire. En effet, si le corps est influencé par ce que l’on a mangé — jusqu’au niveau moléculaire —, alors ce que les aliments que nous consommons ont « mangé » pourrait également affecter notre génome. À titre d’exemple, le lait de vaches nourries à l’herbe et celui de vaches nourries au grain ne contiennent pas la même quantité ni le même type d’acides gras et de vitamines C et A. Ainsi, les cellules reçoivent des messages différents en fonction du lait que l’on boit.

De même, l’alimentation d’une mère humaine modifie les niveaux d’acides gras ainsi que de vitamines telles que la B-6, la B-12 et l’acide folique qui se trouvent dans son lait maternel. Cela pourrait changer le type de messages nutritionnels qui atteignent les interrupteurs géniques du bébé, bien que l’on ignore pour l’instant si cela a un effet sur son développement.

<span class="caption">Les informations des aliments d’origine animale — comme le lait de vache — sont transférées à la personne qui en consomme.</span> <span class="attribution"><a class="link " href="https://www.gettyimages.com/detail/photo/girl-drinking-milk-royalty-free-image/75939350?adppopup=true" rel="nofollow noopener" target="_blank" data-ylk="slk:Image Source/DigitalVision via Getty Images;elm:context_link;itc:0;sec:content-canvas">Image Source/DigitalVision via Getty Images</a></span>

Et, à leur insu peut-être, les humains font aussi partie de cette chaîne alimentaire. Les aliments que l’on mange n’influencent pas seulement les interrupteurs géniques des cellules, mais aussi ceux des micro-organismes qui vivent dans les intestins, les muqueuses et sur la peau. Un exemple frappant : chez les souris, la dégradation des acides gras à chaîne courte par les bactéries intestinales modifie les niveaux de sérotonine, un messager chimique du cerveau qui régule l’humeur, l’anxiété et la dépression, entre autres.

Additifs alimentaires et emballage

Les ingrédients ajoutés aux aliments peuvent également modifier le flux d’informations géniques à l’intérieur des cellules. On enrichit le pain et les céréales en acide folique pour prévenir les malformations congénitales causées par une carence en ce nutriment. Certains scientifiques émettent toutefois l’hypothèse que des niveaux élevés d’acide folique en l’absence d’autres micronutriments naturels, tels que la vitamine B-12, pourraient contribuer à une incidence plus élevée du cancer du côlon dans les pays occidentaux, et ce, peut-être en affectant les circuits géniques qui régulent la croissance.

Cela pourrait également être le cas des substances chimiques présentes dans les emballages des aliments. Le bisphénol A, ou BPA, un composé présent dans le plastique, active chez les mammifères des interrupteurs géniques essentiels au développement, à la croissance et à la fertilité. Ainsi, certains chercheurs soupçonnent que, tant chez les humains que chez les modèles animaux, le BPA influence l’âge de la différenciation sexuelle et diminue la fertilité en rendant certains interrupteurs plus susceptibles de s’activer.

Tous ces exemples montrent que l’information génique contenue dans les aliments peut dépendre non seulement de leur composition moléculaire — acides aminés, vitamines, etc. —, mais aussi des politiques agricoles, environnementales et économiques d’un pays, ou de l’absence de celles-ci.

Ce n’est que récemment que les scientifiques ont commencé à décoder les messages géniques des aliments et à comprendre leur rôle dans la santé et la maladie. Nous, chercheurs, ne savons toujours pas précisément comment les nutriments agissent sur les interrupteurs géniques, quelles sont leurs règles de communication et comment les habitudes alimentaires des générations passées influencent leur descendance. Beaucoup de ces études n’ont été jusqu’ici réalisées que sur des modèles animaux, et il reste encore bien des choses à découvrir sur les effets sur les humains des interactions entre les aliments et les gènes.

Ce qui est clair, en revanche, c’est qu’en perçant les mystères de la nutrigénomique, on donnera des moyens d’agir aux sociétés et aux générations actuelles et futures.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.

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