EN IMAGES - Anniversaire de Marguerite Duras : retour sur ses amours et ses engagements

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Photo by Jacques Haillot/Sygma/Sygma via Getty Images
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Disparue le 3 mars 1996, l'écrivaine Marguerite Duras aurait eu 107 ans ce 4 avril 2021. À l'occasion de l'anniversaire de sa naissance, retour les multiples amours, la vie et les engagements de la femme de lettres dont l'œuvre traduite dans le monde entier, et aussi parfois portée à l'écran, continue encore aujourd'hui d'inspirer.

Frédéric Max, l'amant de Saint-Germain-des-Prés

Née à Saigon en 1914, quand la ville faisait encore partie de l'Indochine française, Marguerite Duras débarque à Paris dans les années 1930 pour y poursuivre de brillantes études à la faculté de droit. Établie dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, la jeune femme de 19 ans à l'époque, à la fois belle et intelligente, fait rapidement sensation auprès de la gent masculine qui ne la laisse pas non plus indifférente. Celle qui s'appelle encore en ce temps Marguerite Donnadieu (elle prendra le pseudonyme de Duras au début de sa carrière d'écrivaine) fait la rencontre d'un certain Frédéric Max, qui deviendra par la suite vice-consul de France à Bombay et lui inspirera plus tard son roman Le Vice-Consul. Avant ce premier amant, Marguerite tombe enceinte l'année de ses 18 ans d'un dénommé Lecoq, mais se fera rapidement avorter sur les recommandations de sa famille qui s'attachera, pour rester dans la discrétion, à faire passer cette interruption volontaire de grossesse pour une appendicite. Des années plus tard, Marguerite Duras saura se souvenir de ce moment de sa vie en devenant l'une des célèbres signataires du manifeste des "343 Salopes" pour demander la légalisation de l'avortement.

Robert Antelme, son âme sœur

En 1936, un ami commun, Jean Lagrolet, présente Robert Antelme à Marguerite qui ne tarde pas à s'éprendre de ce fils de sous-préfet de Bayonne. Persuadée d'avoir rencontré l'homme de sa vie, elle épousera celui-ci en 1939 et tentera de fonder une famille. Mais le destin voudra hélas que ce fils tant attendu vienne au monde mort-né. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marguerite Duras s'engagera ensuite dans la Résistance aux côtés de son mari qui se verra déporté en 1944 vers le camp de Dachau. Pour tenter de sauver son époux, Duras - qui racontera plus tard cet épisode de sa vie dans son livre La Douleur - entreprendra alors de séduire Charles Delval, l'agent de la Gestapo qui avait fait arrêter son époux, afin de lui extorquer des informations pour connaitre le lieu de détention de celui-ci. Revenu de déportation en 1945, Robert Antelme et Marguerite divorceront en 1947, mais ils habiteront toujours ensemble quand elle accouchera de son fils Jean, fruit de ses amours avec un autre homme.

VIDÉO : "L’homme sera littéralement noyé dans l’information" : En 1985, Marguerite Duras imaginait les années 2000 :

Un triangle amoureux avec Dionys Mascolo

En même temps qu'elle est mariée à Robert Antelme, l'auteure de L'Amant fait la rencontre en 1942 de Dionys Mascolo, un jeune homme de vingt-six ans alors coursier, standardiste et lecteur aux éditions Gallimard. Rapidement, elle ne tarde pas à tomber amoureuse de ce dernier. Mais loin de cacher cette idylle à son mari, l'écrivaine va au contraire vivre avec les deux hommes qui partagent sa vie, un véritable triangle amoureux sous le même toit. "Entre ces trois êtres d’exception existent des rapports de profonde amitié, de respect mutuel et de totale liberté sexuelle. Marguerite est au centre, naturellement, mais le vocabulaire fait cruellement défaut pour caractériser ce trio non-conformiste", témoignera des années plus tard son ami, l'écrivain Maurice Nadeau. Lors de la déportation de Robert Antelme, Marguerite continuera à entretenir un lien avec étroit avec Dionys avec qui elle finira par avoir un enfant, Jean Mascolo, né en 1947. À la suite de cette naissance, elle divorcera de Robert Antelme pour épouser le père de son enfant, avec qui elle restera mariée jusqu'en 1956.

Son aventure avec Jacques-Laurent Bost, l'ex-amant de Simone de Beauvoir

En 1952, Marguerite Duras aura une courte aventure d’un an avec Jacques-Laurent Bost, ex-amant de Simone de Beauvoir. C'est la vie commune avec Dyonis, faite de hauts mais surtout de bas à cette époque, qui précipite l'écrivaine dans les bras de cet autre homme un soir de réveillon trop arrosé. Pour rendre Dyonis jaloux (elle soupçonne de la tromper), Marguerite s’offre alors sans retenue au journaliste Jacques-Laurent Bost. Mais l'attachement au père de son enfant est trop fort, et Dyonis, qui lui assure tenir à elle et souffrir, l'enjoint à mettre fin à sa liaison. L'écrivaine acceptera dès lors de rompre avec son nouvel amant et pour guérir de cette nouvelle histoire destructrice, publiera coup sur coup plusieurs ouvrages (Le Marin de Gibraltar, les Petits Chevaux de Tarquinia, et un recueil de nouvelles) dans lesquels elle mettra ses souffrances en scène.

Photo by STF / AFP
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Sa passion destructrice pour l'écrivain Gérard Jarlot

En 1957, Marguerite Duras, âgée de 43 ans, fait la rencontre du journaliste Gérard Jarlot, un homme plus jeune qu’elle, marié et grand séducteur. Avec lui, l'écrivaine va vivre une passion destructrice aux accents sado-masochistes. Jarlot l'initie ainsi à la boisson et à des pratiques sexuelles brutales. Marguerite Duras sombre peu à peu avec lui dans l'alcool (jusqu’à deux litres de vin par jour) et change à la fois de physique (elle adopte à partir de là ses légendaires cols roulés) et de style littéraire. "C’était un amour violent, très érotique, plus fort que moi, pour la première fois. J’ai même eu envie de me tuer, et ça a changé ma façon même de faire de la littérature : la femme de Moderato Cantabile et celle de Hiroshima mon amour, c’était moi […]", confiera-t-elle un jour. L'histoire entre l'auteure de India Song et son compagnon s'achèvera en 1966, lorsque la police recevra un appel anonyme passé depuis une cabine par une jeune femme leur annonçant que Jarlot avait été trouvé mort, victime d’une crise cardiaque, dans un hôtel de Saint-Germain-des-Prés, à 43 ans.

Son amitié engagée aux côtés de François Mitterrand

En 1943, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Marguerite Duras - avec son mari Robert Antelme et son amant Dionys Mascolo - se met au service de la Résistance et se rapproche d'un certain François Mitterrand alors lui aussi engagé pour la libération de la France. Dès cette époque se nouera entre eux une solide amitié qui perdurera au fil des années. C'est notamment grâce à l'ancien Président de la République que la romancière parviendra au sortir de la guerre à retrouver son mari déporté à Dachau. Elle lui rendra d'ailleurs hommage dans son célèbre roman La Douleur, dans lequel elle baptisera un de ses personnage du nom de "Morland" - nom de résistant que François Mitterrand s'était choisi dans la clandestinité. Plus tard, c'est notamment la passion des livres qui continuera à unir l’écrivaine et l’homme politique qui réussiront à se suivre jusque dans la mort, puisqu'ils mourront tous les deux la même année en 1996, à trois mois d'intervalle.

Photo by Patrick HERTZOG and STAFF / AFP
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Une complicité artistique avec Gérard Depardieu

On le sait peu, mais Marguerite Duras a été une des premières personnalités à mettre le pied à l'étrier à Gérard Depardieu, alors jeune acteur débutant dans les années 1970. Car avant d'exploser dans le film Les Valseuses de Bertrand Blier, en 1974, le comédien fût d'abord repéré par la romancière. Elle le fera ainsi tourner dans son film Nathalie Granger en 1972, avant de tourner trois autres longs-métrages en sa compagnie en tant que réalisatrice. "C'est comme ça que j'ai connu Marguerite, et après on ne s'est plus quittés", avait confié il y a quelques années le père de Julie Depardieu dans son autobiographie Ça s'est fait comme ça. De sa première rencontre avec Duras, l'acteur de Cyrano se remémorera toujours le moment où celle-ci lui avait fait face la première fois. "J'arrive. Une petite femme m'ouvre la porte avec une robe à carreaux et pas de cou. Elle recule dans l'appartement jusque dans un angle et, là, elle me dit : avancez sur moi. J'y vais, et elle ne me dit pas stop. Maintenant, je suis au bord de l'écraser et, là, elle me dit: Ça y est, vous me faites peur, c'est bien", avait un jour raconté celui qui est rapidement devenu l'ami, le confident ainsi que l'homme à tout faire de Marguerite Duras. "J'ai réparé ses chiottes, débouché son évier, repeint ses chambres de bonne", confiera un jour avec humour la star au sujet de sa grande amie.

 Photo by THIERRY ORBAN/Sygma via Getty Images
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Yann Andrea, le dernier homme de sa vie

C'est au soir de sa vie et après 16 ans de solitude que Marguerite Duras fait la rencontre en 1980 de celui qui sera le tout dernier homme à vivre à ses côtés. Après lui avoir écrit en vain pendant cinq ans des lettres enamourées et pleines d'admiration, Yann Lemée, qui a à ce moment-là 38 ans, est invité par la romancière de 66 ans à la rencontrer. Rapidement, Marguerite Duras s'entiche de cet homme qu'elle s'empresse de rebaptiser Yann Andréa. Si elle n'a avec lui aucune relation charnelle (Yann Andréa est en réalité homosexuel), la femme de lettres n'en demeure pas moins attachée à ce nouveau compagnon qui lui deviendra bientôt indispensable. Elle lui écrit: "Je t’aime, Yann, c’est terrible, mais je préfère encore être à t’aimer qu’à ne pas aimer". C'est par ailleurs à ce dernier qu'elle dictera son roman L’Amant qui sera publié l'année suivante en 1981. Retrouvé sans vie le 10 juillet 2014 dans son appartement parisien à l'âge de 61 ans, Yann Andréa sera resté le fidèle compagnon de vie de Marguerite Duras jusqu'à sa mort en 1996.

Photo by GERARD FOUET / AFP
Photo by GERARD FOUET / AFP

La polémique liée à l'affaire Grégory

Missionnée en 1985 par le journal Libération pour se rendre à Lépanges-sur-Vologne afin de relater l'affaire Grégory, Marguerite Duras prendra sa plume pour donner son avis très personnel au sujet du terrible fait divers. Inspirée par les lieux et l'atmosphère qui se dégage de ce coin perdu des Vosges, la romancière ne tardera pas à imaginer un drame à l'Antique dans lequel elle fera sans scrupule de Christine Villemin la meurtrière du petit garçon. "La maison, je l’ai vue (…) C’est au gré des tours et des détours qu’elle nous est apparue, tout à coup. Seule, sur le sommet d’une colline nue. Le crime a existé ! (...) L'enfant a dû être tué à l'intérieur", scénarisera celle qui fantasmait à ce moment-là le passage à l'acte d'une femme infanticide. "Sublime, forcément sublime Christine V", écrira encore Marguerite Duras faisant ainsi de la mère du petit Grégory une nouvelle héroïne durasienne, cherchant à se défaire d'un supposé pouvoir masculin en renonçant à la maternité. "Les gens ont pensé qu'elle se prononçait sur la culpabilité de Christine Villemin. Ce n'est pas du tout ce qu'elle écrit. Son propos est que si Christine Villemin est coupable, elle a raison de tuer cet enfant, au nom de toutes les femmes écrasées par le patriarcat", commentera pour sa part Jean Cleder, maître de conférences à l'université de Rennes 2. Très controversé à l'époque, le récit délirant que Marguerite Duras fera de l'affaire Grégory ne sera au final qu'un élément supplémentaire venant s'ajouter à ce fiasco médiatico-judiciaire.

Féministe malgré elle ?

Bien qu'elle ait été tout au long de sa vie une fervente défenseuse du droit des femmes, Marguerite Duras ne s'est jamais pour autant revendiquée comme véritablement féministe. Un terme qui à ses yeux ne la définissait pas du tout et qu'elle semblait même au contraire réprouver. "Une féministe, c'est à fuir. Ce n'est pas le bon moyen si l'on veut changer les choses", avait un jour clamé la romancière lors d'une émission diffusée sur France Inter en 1987. Une déclaration pour le moins étonnante de la part de celle que bon nombre aujourd'hui, en raison de son œuvre ne cessant de pointer le machisme de son siècle, considèrent comme une écrivaine féministe. Bien que celle-ci a signé en 1971 le "manifeste des 343 salopes" pour le droit à l'avortement, Marguerite Duras ne se reconnaissait en fait pas dans ce féminisme plus radical apparu au début des années 1970.