Ces personnes souffrent d'éco-anxiété, un trouble psychique dû aux problèmes environnementaux
Difficile de rester insensible devant les images d’ours polaires désorientés, de feux de forêts, de déchets dans les océans et autres désastres écologiques. Pour certaines personnes, ces visions sont même insupportables. A tel point qu’elles développent des pensées obsessionnelles et d’importants troubles d’ordre nerveux ou émotionnel. Rencontre avec trois personnes atteintes d’éco-anxiété.
En 2003, le philosophe Glenn Albretch de l’Université de Newcastle en Australie inventait le mot “solastologie”, issu de l’anglais “solace”, qui signifie “réconfort”, et du grec “algie”, “douleur”. Un terme servant à désigner la détresse existentielle face aux dérèglements climatiques, que les francophones ont préféré traduire par “éco-anxiété”. De plus en plus, l’angoisse de voir les catastrophes naturelles se multiplier et l’environnement se détériorer est un motif de consultation médicale à part entière. Et les jeunes seraient les premiers touchés.
De l’angoisse pouvant mener à la dépression, surtout chez les jeunes
Selon une étude de 2018, 70% des Américains de de 18 à 34 ans nourriraient des inquiétudes, contre seulement 56% des 55 ans et plus. Comment vivre normalement et rester serein face à l’avenir quand la destruction est imminente et qu’il n’existe pas de “planète B” ?
Depuis 4 ans environ, Maïa ressent régulièrement “une grande fatigue morale et beaucoup de tristesse” face au désastre environnemental. Elle traverse même des “phases dépressives”, qui semblent être fonction de l’actualité et des grands événements. A l’approche des élections européennes, Maïa espère des changements, tout en se préparant à être frustrée, comme souvent. Il faut dire que les effets de la pollution et de la surconsommation, sont chez elle devenue une obsession. “J’y pense dans ma voiture quand je suis consternée du nombre de déchets sur le bord des routes, quand je marche sur le trottoir et que je compte les mégots, quand je promène mon chien car même dans les bois on trouve des dépôts sauvages. J’y pense en rageant intérieurement sur les parents qui laissent tourner leur moteur à l’entrée de l’école […] au boulot quand on insiste pour imprimer sur du papier alors qu’un mail suffirait…”
“Je suis envahie de mauvaises nouvelles, c’est comme un harcèlement”
Une fois rentrée chez elle, l’esprit de la jeune femme ne s’apaise pas, bien au contraire. Il suffit qu’elle se connecte sur internet et les réseaux sociaux pour se sentir de nouveau écorchée par les mauvaises nouvelles : “je suis envahie de news sur des animaux maltraités, massacrés, sur les derniers rapports alarmants concernant telle ou telle espèce en danger […] et en parallèle le manque d’initiatives affligeant du monde économique et politique”. Un flot “épuisant moralement” dont l’effet est comparable à ses yeux à celui d’un harcèlement. Devant cette situation, Maïa avoue qu’une partie d’elle se résigne et nourrit de profondes angoisses au sujet de l’avenir : “je suis bien consciente qu’il faudra assister à une très grande quantité de souffrances humaines, animales et végétales d’ici très peu de temps. C’est une pensée qui donne le vertige…”.
“C’est absurde…et décourageant”, clame de son côté Inès, elle aussi atteinte d’éco-anxiété. Face à l’inaction de la grande majorité des décideurs, cette quadragénaire avoue elle sombrer souvent dans le désespoir. “Je n’ai plus le goût de m’investir. Je me demande à quoi sert mon compost, mon recyclage, mon cheminement vers le végétalisme, mes efforts pour le zéro déchet. À quoi bon, quand les plus gros pollueurs continuent à déverser des tonnes de CO2, de pesticides, d’insecticides, dans l’air, les sols, les cours d’eau…”. Celle qui a toujours été fascinée par le monde animal ressent physiquement les effets de cette désillusion, à travers des sensations de “boules dans le ventre”, de gorge qui se serre ou de larmes qui montent. Son sentiment d’impuissance finit même parfois par se transformer en véritables colères.
“J’ai beaucoup intériorisé, ce qui m’a causé des problèmes digestifs”
Siham, sensible aux problématiques environnementales depuis près de 15 ans, ressent aussi cette colère, qu’elle qualifie même de “rage” dans son cas. “Tout me touche et j’ai envie de hurler quand je vois la bêtise, l’indifférence et le manque de respect”. La jeune femme qui tient à ne bousculer personne et à conserver auprès d’elle ses rares amis, tente tant bien que mal de contenir ses réactions épidermiques. Mais à force de se taire, son corps s’exprime à sa manière. “J’ai beaucoup intériorisé ce qui me vaut des soucis aujourd’hui de santé, et notamment beaucoup de problèmes digestifs”, confie Siham. Elle trouve heureusement un espace d’expression salvateur dans les groupes de discussions bio et écologiques où son hypersensibilité aux catastrophes environnementales trouvent un écho. “Au moins, Je ne m’y sens pas comme une extraterrestre”, avoue-t-elle.
Inès, elle tente de calmer ses angoisses en se concentrant sur l’ici et maintenant et les petites victoires, comme les nombreuses initiatives citoyennes collectives. Quant aux nouvelles un peu moins réjouissantes, elle tache de n’en prendre qu’‘une bouchée à la fois’ pour éviter autant que possible d’y laisser sa santé…