Pendant très longtemps, cette agression sexuelle "n’a choqué absolument personne" : l’histoire vraie derrière le film qui a fait basculer la vie de Maria Schneider

Le biopic "Maria" consacré à la vie de l’actrice Maria Schneider sort en France ce mercredi 19 juin. Il raconte le destin tragique d’une actrice dont la carrière a été fauchée en plein vol par la perversion de Bernardo Bertolucci, le réalisateur du Dernier Tango à Paris. Le film est inspiré du livre "Tu t’appelais Maria", écrit par la cousine de l’actrice, la journaliste Vanessa Schneider. Entretien.

Cinquante ans après la sortie du film Le Dernier Tango à Paris, "Maria", le film de Jessica Palud revient sur l'histoire de l'actrice principale du long-métrage de Bernardo Bertolucci, Maria Schneider. Ce film rend hommage à une victime d'un monstre idôlatré du cinéma. Le long-métrage de Jessica Palud s'inspire librement du livre biographique "Tu t'appelais Maria" de la journaliste Vanessa Schneider, la cousine de Maria Schneider.

En 1972, Maria Schneider n’a que 19 ans lorsqu’elle donne la réplique à Marlon Brando, âgé lui de 48 ans, dans "Le Dernier Tango à Paris". Ce film, pensait-elle, devait être un tremplin pour sa carrière. Maria Schneider est la fille illégitime de l'acteur Daniel Gélin et vit dans l'ombre de ce père qui ne l'a pas reconnue.

Lorsqu'elle décroche le rôle principal du "Dernier Tango à Paris", elle espère la reconnaissance du public et de son père. Mais ce long-métrage va la faucher en plein vol. La jeune fille de 19 ans, mineure au moment du tournage ( la majorité était alors de 21 ans à l'époque, ndlr), est aspirée par la brutalité du metteur en scène, Bernardo Bertolucci, qui lui fera subir une agression sexuelle sur les lieux du tournage.

Au moment de sa sortie en 1972, post mai-68 donc, "Le Dernier Tango à Paris" souffle un vent de scandale sur l’industrie cinématographique. Adulé par certains pour ses nombreuses scènes de sexe et son caractère débridé, le film est répudié par ceux qui ne voient en cette oeuvre que provocation et indécence. Bertolucci savait que son film serait clivant. Il a d’ailleurs eu du mal à faire incarner son héros principal, comme l’explique Vanessa Schneider dans son livre "Tu t'appelais Maria". Après avoir essuyé les refus des acteurs stars de l’époque, Jean-Pierre Belmondo, Jean-Louis Trintignant,... Bertolucci tente sa chance auprès d’un acteur en déclin, Marlon Brando. Criblé de dettes, l’acteur américain accepte de jouer le rôle masculin principal contre un cachet de 250 000 dollars et 10 % sur les recettes, une somme colossale pour l’époque.

Ce film relate la passion dévorante et surtout charnelle d’un couple qui se connaît à peine. Maria Schneider apparaît souvent nue aux côtés d'un homme de presque trente ans son aîné, qui lui, est systématiquement habillé. C'était d'ailleurs l'une des conditions sine qua non de Marlon Brando. Parmi les nombreuses scènes de sexe, un moment très particulier a marqué les spectateurs. Celui où Marlon Brando glisse de force du beurre dans les fesses de la jeune Maria Schneider avant de simuler une sodomie. Derrière cette scène, que certains n’hésitent pas à qualifier d’"anthologie", il y a une infinie détresse, celle de son interprète, pour qui l’acte a représenté ni plus ni moins qu’une agression sexuelle. C’est ce que démontre le film de Jessica Palud, "Maria", qui sort en salles ce 19 juin dans une période charnière pour le cinéma français. Une période dans laquelle les représentants de l'industrie tentent de s’affranchir de l’influence des monstres sacrés et de l’omerta qu’ils insufflaient.

Cinquante ans plus tard, la scène du beurre est racontée dans les moindres détails pour mettre en exergue toute la violence qu'elle comporte. "Cette scène n’était pas écrite dans le scénario. La réalisatrice Jessica Palud a retrouvé le scénario original et on voit que la scène n’existe pas et que c’est la scripte qui a annoté en marge du scénario les ajouts du metteur en scène au dernier moment" explique Vanessa Schneider avant de poursuivre : "C’est là toute la gravité de la situation. Il n’y avait absolument pas de consentement de la part de Maria pour tourner cette scène".

Une découverte qui a toute son importance au regard de l’impunité dont a joui Bertolucci, et ce, malgré les incriminations de Maria Schneider. L'actrice n'avait pas attendu l'avènement de #metoo pour dénoncer "le viol" dont elle a été victime en 1972. Une scène du film de Jessica Palud montre que Maria Schneider confie à un journaliste que cette séquence lui a été imposée avant de se faire reprendre et menacée par son agent. "Elle a évidemment raconté ce qu’il s’était passé sur cette fameuse scène du Tango. Elle a employé le mot "viol" parce que c’est effectivement le ressentiment qu’elle a eu, de se faire abuser par un metteur en scène et par un acteur" explique Vanessa Schneider.

Dans un premier temps, Bernardo Bertolucci se défendra d’avoir dissimulé ses intentions à son actrice. Peu avant sa mort, le cinéaste italien concède pourtant avoir caché le projet de cette scène à son personnage principal. "Il voulait que ses cris soient des vrais cris, que ses pleurs soient des vrais pleurs, et que cette humiliation soit une vraie humiliation".

Une humiliation réellement ressentie par son actrice qui, comme insiste la journaliste, est "ressortie totalement brisée.". "Pendant très longtemps, ça n’a choqué absolument personne. Il a fallu l’émergence du mouvement #metoo aux États-Unis pour que l’actrice Jessica Chastain poste un tweet en disant : "Si vous voulez voir ce que c’est un abus et un viol au cinéma, regardez ce qui s’est passé autour de Maria Schneider".

Maria Schneider a vécu son drame seule, dans une société qui n'a pas voulu l’écouter et dans une industrie cinématographique vampirisée par les hommes qui objectifient la femme. Un discours qu’elle ne cessera de porter, comme dans cette interview accordée à Cinéma Cinémas, un magazine de cinéma diffusé sur Antenne 2 de 1982 à 1991, et dont les extraits sont retranscrits dans le livre de Vanessa Schneider. Dans cette entrevue diffusée en 1983, les mots de Maria Schneider retentissent, dans un contexte peu propice à cette prise de parole. "Des rôles, j’en refuse beaucoup. Il n’y a pas beaucoup de rôles de femmes dignes. On fait toujours exister une femme par rapport à un homme, par rapport à un couple." Elle ajoute : "Comme partout, ce sont les hommes qui ont le pouvoir au cinéma."

L’agression dont a été victime Maria Schneider et l’indifférence qui en découlé la feront plonger dans les abîmes les plus profonds. L’actrice deviendra héroïnomane. Elle commencera à se droguer à la sortie du film. Elle décède en 2011 à l’âge de 58 ans des suites d’une maladie. Si la société d’alors est restée sourde à son drame, elle n'aura jamais cesser de réveiller les démons en la renvoyant systématiquement à son rôle dans le tango "qui lui a collé aux baskets jusqu’à la fin de sa vie".

À l'annonce de la mort de Maria Schneider en 2011, Bertolucci avait déclaré à l'agence italienne Ansa qu'il aurait "voulu demander pardon". "Sa mort est arrivée trop tôt. Avant que je ne puisse l'embrasser tendrement, lui dire que je me sentais liée à elle comme au premier jour, et, au moins pour une fois, lui demander pardon". Et de poursuivre : "Maria m'accusait d'avoir volé sa jeunesse et aujourd'hui seulement, je me demande si ce n'était pas en partie vrai".

Le film de Jessica Palud sur l'histoire de Maria Schneider s'appelle "Maria", tout simplement, volonté de la réalisatrice d'insister sur la "portée universelle du drame vécu par l'actrice".

Vidéo. "Il y a beaucoup de scène de nu dans ce film dont elle n’avait pas anticipé la portée" : Vanessa Schneider raconte la triste histoire de Maria Schneider

À LIRE AUSSI