#MeTooInceste - Christine Angot : "L'inceste, c'est une manifestation de pouvoir. Tant qu'il y aura une fascination de la société pour le pouvoir et ses manifestations, il y aura forcément des abus de pouvoir"

PARIS, FRANCE - NOVEMBER 05:  Christine Angot attends  "Un Amour Impossible" Paris Premiere at UGC Cine Cite des Halles on November 5, 2018 in Paris, France.  (Photo by Dominique Charriau/WireImage)
(Photo by Dominique Charriau/WireImage)

La sortie du livre de Camille Kouchner La familia grande a rouvert le débat sur l'imprescriptibilité des faits d'inceste. Violée dans sa jeunesse par son père, Christine Angot a accepté, après plusieurs sollicitations, de s'exprimer à l'antenne de France Inter sur ce sujet profondément intime.

En 1999, alors qu'elle était âgée de 40 ans, Christine Angot évoquait publiquement les viols dont elle avait été victime de ses 13 ans à ses 16 ans par son père, dans un livre intitulé L'inceste. L'autrice, aussi bien connue pour ses oeuvres que pour son rôle de chroniqueuse dans On n'est pas couché, n'a jamais hésité à parler publiquement de ce sujet. Et alors que le débat autour de l'imprescriptibilité des faits d'inceste est de retour sur le devant de la scène, grâce au livre de Camille Kouchner et au hashtag #MeTooInceste, elle a pris la parole à l'antenne de France Inter pour évoquer à quel point il est difficile de libérer la parole sur l'inceste.

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"Les victimes d'inceste veulent parler, mais ne peuvent pas parler"

L'autrice a évoqué différents passages d'émissions de débat consacrées à l'inceste, et sa colère des dernières semaines face aux propos tenus par les intervenants : "J'étais mal, en rage, même. C'est très angoissant, parce que vous voyez des gens, sur les réseaux sociaux, et d'un coup tout le monde sait quoi dire et comment dire. Tout le monde y va, donne son avis. Tout un tas de gens ont l'air d'avoir su depuis une éternité de quoi il est question, proposent tout un tas de solution. Et tout d'un coup, vous êtes plongés dans le silence, et vous dites : moi si j'étais sur ce plateau, je n'y arriverai pas", avoue-t-elle.

Car si elle estime que toutes les victimes d'incestes ont envie de prendre la parole pour dénoncer ces actes, elle considère que ce n'est pas si facile. "C'est difficile de parler, c'est difficile d'écrire... Toute chose qui est de l'ordre de ce mélange entre intime et social est super compliqué à exprimer, parce que comme ça a avoir avec le social, tout le monde pense savoir de quoi il est question, mais comme ça a avoir ô combien avec l'intime, il y a quelque chose de difficilement partageable." Christine Angot précise en effet : "N'y-a-t-il pas une distinction à faire entre ne pas vouloir et ne pas pouvoir parler ? Moi, dans mon cas, je voulais parler. Pendant 3 ans, de 13 ans à 16 ans, j'ai essayé par tous les moyens. Je voulais parler. Vous avez les mots pour dire ça ? À quel moment ? Comment il vient, le sujet ? Pour parler, il faut quelqu'un qui comprenne au premier souffle, au premier moment où vous prenez la parole pour parler. Je rappelle qu'en cas d’inceste votre bouche est mise à mal, au plan sexuel, et aussi parce que vous n’avez pas confiance dans votre parole parce que ça veut dire que vous n’avez pas réussi à expliquer et à convaincre le père que non, que non. Vous n'avez pas réussi à le convaincre, donc vous avez une difficulté face à votre parole."

Sa colère contre les figures d'autorité

Lorsqu'elle évoque les viols incestueux dont elle a été victime, Christine Angot l'affirme, elle n'avait pas peur de briser sa famille. "On ne parle pas d'une petite chose fragile. Le père, c'est une manifestation de pouvoir, c'est un abus de pouvoir. Vous ne le considérez pas comme une petite chose fragile. Vous savez très bien que la petite chose fragile, c'est vous, et vous savez très bien que c'est vous qui êtes en difficulté. Vous savez très bien que vous êtes en danger, à la seconde où le premier geste a lieu. Vous comprenez très bien ce qu'il se passe, vous comprenez à la seconde ce que c'est. Vous savez très bien ce qui est, ce qui doit être et ce qui ne doit pas être."

L'autrice et chroniqueuse dénonce un véritable abus de pouvoir, qui trouve son origine dans la société : "La personne qui s'autorise à abuser de son pouvoir sur vous, c'est qu'elle en a un. C'est quelqu'un que vous aimez. Et si c'est votre père, ce n'est pas n'importe quelle personne. Et donc, vous gardez l'espoir. C'est pour ça aussi que vous attendez. Vous avez honte pour lui. Vous n'avez pas honte de vous, vous savez très bien que vous n'avez rien fait de mal. Vous gardez espoir de le convaincre d'arrêter. Et puis il y a toujours une blessure. Ça introduit l'idée que vous n'êtes plus qu'un enfant de seconde zone. Le père établit des gradations, des hiérarchies entre ses enfants. Vous savez très bien que ce n'est pas honorable, et les enfants sont attachés à leur honneur. (...) Vous avez peur de le dire, parce que vous savez, vous sentez que, n'ayant pas été protégée par votre père, à partir du moment où vous allez révéler ça, à partir du moment où il vous a humilié, les vannes sont ouvertes pour une humiliation sociale. Il faut que le père protège, et quand il est défaillant, il y a une souffrance, un risque, un danger."

Et de conclure : "L'inceste, c'est une manifestation de pouvoir. On entend des gens qui disent "A force d'en parler, on en viendra à bout." J'y crois tout à fait dès lors qu'il n'y aura plus dans cette société de manifestations du pouvoir et donc que les abus de pouvoir n'auront plus lieu d'être. Tant qu'il y aura une fascination de la société pour le pouvoir et ses manifestations, il y aura forcément des abus de pouvoir. Ça opère dans tous les clans sociaux."

La question de l'imprescriptibilité

Toutes les discussions, le débat public qui ont eu lieu autour de l'imprescriptibilité des faits d'inceste inspirent une réaction à la principale intéressée : "En ce moment, il y a un projet pour dire que le consentement ne serait pas recevable en dessous de l'âge de 15 ans, et pour l'inceste en dessous de l'âge de 18 ans. Le législateur a une intention très louable, mais il faut qu'il pense que quand il dit ça, il ne donne pas un signal comme quoi au-dessus de 18 ans, il y a un consentement." Pour elle : "C'est très simple : vous ne pouvez pas vous marier avec qui vous voulez, il y a des personnes interdites. Il y a une loi qui dit qu'on ne peut pas se marier avec son père, avec son enfant. Il faut ajouter qu'il n'y a pas de consentement pour les personnes [dont les unions sont] interdites par les lois du mariage. La libération de la parole pourrait bien aboutir, à l'insu du législateur, à une autorisation de l'inceste dans ces cas-là, ce qui serait très problématique."

D'autant que Christine Angot l'affirme : "Ceux qui ne savent pas ne peuvent pas voir. On peut comprendre les choses, mais vous ne pouvez pas ressentir. C'est une chose vivante. C'est quelque chose dont vous savez à l'instant où ça arrive que vous êtes en danger, que votre vie est en danger. Vous n'avez que 13 ans, ou que 9 ans, et vous savez que ça ne va pas ce qu'il se passe, vous savez que vous êtes en danger, donc vous vous battez tout le temps, vous contrôler votre main, vos gestes, parce que vous êtes dans une surveillance permanente."

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