Glyphosate : pourquoi la question des dangers de cet herbicide fait l’objet de controverses scientifiques

Les vingt-sept membres de l’Union européenne ont échoué à s’entendre ce vendredi 13 octobre sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l’autorisation du glyphosate.
Scott Olson via Getty Images Les vingt-sept membres de l’Union européenne ont échoué à s’entendre ce vendredi 13 octobre sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l’autorisation du glyphosate.

ENVIRONNEMENT - Cancérigène ou non ? Les vingt-sept membres de l’Union européenne ont échoué à s’entendre ce vendredi 13 octobre sur la proposition de Bruxelles de reconduire pour dix ans l’autorisation du glyphosate. La question de la toxicité de cet herbicide controversé divise l’Europe, mais aussi la sphère scientifique.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé a classé en 2015 comme « cancérogène probable » cet herbicide. De même, l’Institut national de recherche médicale (Inserm) a réalisé une étude en juin 2021 sur les effets du glyphosate sur la santé pointant « la présomption de lien entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien (cancer du sang NDLR) ».

À l’inverse en juillet dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a indiqué n’avoir identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l’environnement susceptible d’empêcher l’autorisation du glyphosate. C’est cet avis de l’EFSA qui a poussé la Commission européenne à proposer en septembre de prolonger de dix ans l’autorisation du glyphosate sur le sol européen. Une proposition rejetée, donc, par la majorité des Vingts-Sept ce vendredi.

Évaluation incomplète ?

« Il y a une controverse sur la cancérogénicité du glyphosate, parce que c’est l’un des critères principaux qui détermine l’interdiction ou non sur le marché d’un produit », explique Laurence Huc, directrice de recherche à l’Inrae et toxicologue, contactée par Le HuffPost.

Mais pourquoi les scientifiques ne tombent-ils pas d’accord ? L’une des raisons est que le CIRC ou l’Inserm ne se basent pas sur les mêmes données que les agences réglementaires, comme l’EFSA, pour évaluer la dangerosité d’un produit. D’un côté, le CIRC considère des études publiées par des chercheurs du monde académique pour identifier les substances cancérigènes. De l’autre, l’EFSA s’appuie aussi sur la littérature scientifique, mais surtout sur des études fournies par des industriels.

Par ailleurs, dans son évaluation, l’agence de réglementation européenne ignore de nombreux critères, dont l’« effet cocktail », soit la toxicité du mélange du glyphosate avec d’autres substances actives présentes dans un produit. D’après une étude publiée dans la revue Toxicology en 2013 et citée par le média Basta, des formulations du Roundup se sont montrées 10 à 1000 fois plus toxique que le glyphosate seul.

L’EFSA ne prend pas non plus en compte les effets des perturbateurs endocriniens, ces substances dangereuses qui altèrent le système hormonal. Ou encore la toxicité du glyphosate pour les plus vulnérables, comme les enfants ou les femmes enceintes.

Cancers et Parkinson

S’il existe des divergences entre instituts scientifiques indépendants et agences réglementaires, Laurence Huc est formelle : « du côté des toxicologues, tous sont d’accord pour dire que le glyphosate est cancérigène, génotoxique (capacité d’une substance à altérer l’ADN NDLR), perturbateur endocrinien, toxique pendant la grossesse... »

Ce sont bien évidemment les professionnels, « les personnes qui fabriquent ces substances chimiques, et les personnes qui les utilisent, comme les agriculteurs », qui sont les plus exposés aux maladies liées aux pesticides, précise la chercheuse. Au cours de sa carrière, un agriculteur est exposé à plus de « 900 substances actives différentes » augmentant les risques de survenue de cancer du sang, de la prostate ou encore de la maladie de Parkinson.

« Il existe aujourd’hui un faisceau de preuves scientifiques indiquant que le glyphosate est une cause possible de Parkinson », ont également alerté deux médecins néerlandais dans une tribune publiée ce mercredi dans Le Monde. Ils ont par ailleurs appelé les pouvoirs publics à concevoir un nouveau cadre d’évaluation des pesticides « ciblant les risques de développer des pathologies neurodégénératives ».

Europe contaminée

Et malheureusement, les professionnels ne sont pas les seuls à être touchés par les effets collatéraux du glyphosate. « Les pesticides se déplacent et contaminent les milieux que ce soit l’air, l’eau, ou le sol », rappelle Laurence Huc, qui affirme que « des familles peuvent ainsi être exposées en habitant à proximité de zones d’agriculture intensive ».

Enfin, la toxicologue explique que les produits issus de l’agriculture agrochimique « peuvent contaminer toute la chaîne alimentaire ». Pour preuve, une étude internationale Sprint, menée auprès de 700 Européens, a révélé que des résidus de glyphosate étaient présents dans les matières fécales de 70 % des participants.

Malgré de très nombreuses alertes émises par des scientifiques, l’Union européenne patine à restreindre l’utilisation du glyphosate sur son territoire. « L’inertie politique est liée à une croyance historiquement ancrée, et alimentée par les producteurs de pesticides, qu’on ne peut pas nourrir le monde sans pesticide », déplore Eve Fouilleux directrice de recherche en science politique au CNRS, auprès du HuffPost.

La scientifique rappelle pourtant que de nombreux scénarios, dont celui développé par l’Iddri, montrent qu’une Europe agroécologique, affranchie d’intrants et d’engrais de synthèses, pourrait nourrir « durablement » ses 530 millions d’habitants en 2050.

À voir également sur Le HuffPost :

La planification écologique de Macron critiquée par toutes les oppositions (mais pas pour les mêmes raisons)

Glyphosate, loup : Ursula von der Leyen se met à dos les écolos pour la fin de son mandat