Pourquoi ces personnes préfèrent cacher leur homosexualité au travail

Ces personnes ont fait le choix de taire leur homosexualité dans leur milieu professionnel. Elles nous expliquent ce qui a motivé cette décision et comment elles parviennent au quotidien à l'assumer.

Crédit Getty
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Son attirance pour les hommes, Fabien la garde secrète au sein du bureau dans lequel il travaille depuis deux ans. Et ce, malgré les puissants liens d'amitié qu'il a noués avec ses collègues. Sa méthode pour protéger son jardin secret ? Leur dire qu'il est en couple certes... mais avec une femme.

"Au bureau, je parle de mon conjoint au féminin"

"D'un côté je voulais préserver mon intimité et ne pas dévoiler mon orientation sexuelle et de l'autre je voulais être vrai avec mes collègues et montrer qui j'étais. Alors j'ai décidé de dire la vérité sur ce que je vis au quotidien, à la seule différence que je parle de mon conjoint au féminin".

Depuis quelques mois cependant, il lui est de plus en plus difficile d'assumer cette situation. Notamment à cause de la curiosité grandissante de ses collègues, qui lui demandent fréquemment de leur montrer "une photo de la femme qui partage [s]a vie". Mais aussi car ce mensonge nécessite une grande concentration et donc beaucoup d'énergie au quotidien. "Je crois que je me suis lancé dans une méthode qui a forcément ses limites, il y a des zones d'ombre flagrantes dans ma vie et ça commence à être suspect", reconnaît le trentenaire, pris à son propre piège.

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Si Fabien a opté pour cette solution, ce n'est pourtant pas sans raison. Une mauvaise expérience survenue il y a dix ans lui a en effet enseigné que son homosexualité pouvait lui causer du tort dans le milieu professionnel, voire le transformer en "indésirable". Alors qu'il avait un "très bon feeling" avec son responsable de l’époque qui n'avait de cesse de le mettre en valeur, le jeune homme s'est senti "tellement en confiance" qu'il lui a révélé son homosexualité. Bien mal lui en a pris.

De “l’humour” déplacé au harcèlement

Son responsable a alors radicalement changé de visage, n'hésitant pas à l'humilier publiquement : “une fois, lors de la fermeture du magasin, nous avons accueilli deux clients dont l'un tenant une bouteille de rosé à la main. Sur le ton de l'humour, mon responsable leur a demandé s'ils venaient pour nous payer un petit coup derrière le comptoir, puis s'est tourné vers moi et a dit "en plus je crois que tu aimes ça, les petits coups par derrière". Derrière cette note d'humour déplacée, Fabien a vite senti que les limites de l'acceptable allaient être franchies : "par la suite, j'ai subi un réel harcèlement", confie-t-il. "Mon responsable me demandait ouvertement de faire un abandon de poste. Il me convoquait régulièrement dans une coursive privée du centre commercial, loin des cameras ou d'éventuels témoins et me parlait à 5 cm du visage. Finalement j'ai fini par craquer, j'ai simulé un malaise pour sortir de la galerie et déposé plainte". Il avait alors 21 ans et faisait ses premiers pas dans le monde du travail...

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S'il est aujourd'hui président d'une association de lutte pour les droits des LGBT au sein de la police et la gendarmerie, Mickaël Bucheron se souvient aussi de premiers pas difficiles dans la vie professionnelle. Avant d'assumer complètement sa sexualité, l'homme est d'abord passé par une phase durant laquelle il a préféré la taire. Alors même qu'il était en couple, il se faisait passer aux yeux de ses collègues pour célibataire : "les générations d'avant s'inventaient une vie hétéro pour être tranquilles. Moi je disais que je vivais seul". Pas simple pourtant de devoir cacher un pan complet de sa vie au quotidien. "On ne peut pas raconter à ses collègues qu'on est parti en vacances avec son conjoint, au parc Astérix, ou au cinéma. Je disais que je ne faisais rien, que je ne sortais pas", détaille celui qui en a été très frustré.

Se taire par instinct de survie

Les repas de brigade étaient aussi difficiles à vivre pour Mickaël, qui s'y rendait seul alors que la plupart de ses collègues venaient avec leur conjoint ou conjointe. "Cela semble anecdotique, mais cela marque la différence", explique-t-il. Tout comme le fait de devoir indiquer le nom de l'un de ses parents, et non de son conjoint, lorsqu'il devait désigner la personne à prévenir en cas d'accident.

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Aujourd'hui, Mickaël Bucheron aide ses collègues, par le biais de l'association Flag, à mieux vivre leur homosexualité dans la police. Un milieu réputé complexe, notamment pour les hommes homosexuels.

Le plus gros fléau pour eux selon Mickaël ? "Le vocabulaire employé dans les commissariats, pas forcément très gay friendly", qui les pousse à choisir la prudence. Tantôt à raison comme en témoignent les cas de harcèlement, tantôt à tort selon le président d'association qui affirme que ce vocabulaire ne reflète pas toujours une réelle homophobie. Mais beaucoup préfèrent ne prendre aucun risque. "Ils veulent pouvoir monter en grade, faire carrière, changer de poste, aller dans des services spécialisés, donc ils se taisent par ‘instinct de survie’". Rappelons que selon un sondage réalisé par l'Ifop et diligenté par l’agence Tell me the truffe fin 2018, seules 48% des personnes LGBT ont parlé de leur orientation sexuelle à au moins un de leurs collègues, et 39% à leur supérieur hiérarchique. Et pour cause, un quart estime avoir déjà été victime de discrimination dans le milieu professionnel en raison de leur orientation sexuelle...