"J'ai choisi un accident d'avion", Lucie a déterminé elle-même sa "mort" : ils sont les premiers à avoir testé la Cercueil thérapie en France

Toute nouvelle en France, la Cercueil thérapie consiste à préparer et assister à ses propres obsèques, dans le but paradoxal de renaître à la vie. Très en vogue en Corée du Sud, la pratique suscite ici rejet épidermique ou curiosité. Qu'en pensent ceux qui l'ont (déjà) testée ?

"J'ai choisi un accident d'avion", Lucie a déterminé elle-même sa "mort" : ils sont les premiers à avoir testé la Cercueil thérapie en France. Crédit : Getty
"J'ai choisi un accident d'avion", Lucie a déterminé elle-même sa "mort" : ils sont les premiers à avoir testé la Cercueil thérapie en France. Crédit : Getty

6, place du marché aux fleurs à Montpellier... L'adresse à la sonorité bucolique ne laisse rien imaginer de l'activité qu'elle abrite. Depuis quelques semaines, se trouve-là la première et seule société de Cercueil thérapie en France. Écrire son éloge funèbre, des lettres d'adieu à ses proches puis symboliser sa propre mort en se glissant dans un cercueil, c'est ce que propose cette pratique née en Corée du Sud. Ancienne designeuse à Paris, Jessica Djaout a tout quitté pour monter sa société, après une prise de conscience personnelle. Engluée dans une situation toxique, la jeune femme a confié à sa psychologue imaginer souvent son enterrement. Celle-ci lui a alors suggéré de pousser l'expérience jusque dans les détails. "Seule chez moi, j'ai tout imaginé : ma tenue, mon portrait funéraire, les visages etc... Et là, il y a eu un déclic : je n'avais pas du tout envie que ça finisse comme ça !".

"J'ai choisi de mourir dans un accident d'avion"

"Rencontrer sa fausse mort pour célébrer sa vie", c'est le slogan choisi par la quadragénaire pour définir sa nouvelle activité. Car en dépit des apparences, la Cercueil thérapie servirait avant tout à provoquer un sursaut de vie. Fleurs, musique, vrai cercueil etc... Pour y parvenir, l'expérience doit être la plus concrète possible. La plus introspective aussi.

Comme chaque participant, c'est seule que Lucie s'est présentée dans le cabinet de Jessica, une journée d'hiver. En pleine "remise en question", l'étudiante en polytechnique espérait trouver "plus de paix avec elle-même", en s'offrant une séance. Pour ses "obsèques", elle a opté pour des roses rouges, ses "préférées", ainsi qu'une mélodie douce plutôt qu'une chanson qu'elle aurait pu "associer à des périodes de [s]a vie ou des personnes" : "Je voulais que cela ne soit que pour moi, pour pouvoir avoir l’esprit reposé".

Comme prévu dans le déroulé de la séance, Lucie a pu déterminer elle-même la cause de sa "mort". "J'ai choisi un accident d'avion car c'est ma plus grande peur, alors que je suis quelqu'un qui adore voyager", poursuit celle qui avait choisi de s'habiller tout en noir pour ce crash annoncé. Alors vraie démarche thérapeutique ou simple occasion de s'offrir un shoot de sensations fortes ? Dans l'esprit de la jeune femme, il s'agissait avant tout d'exorciser sa plus grande angoisse.

Une chose est sûre, ceux qui s'adonnent à la Cercueil thérapie sont souvent accusés de "jouer avec la mort". Une "incompréhension", selon Jordan, un vingtenaire qui a testé la pratique. "On est en train de parler de créer un électrochoc, et d'avoir un moment de rétrospection. C'est très philosophique au final de faire ça !", explique celui pour qui le cercueil en lui-même est avant tout "symbolique". Après avoir passé 8 ans à travailler sur un projet qu'il a mené à terme, cet ingénieur développeur s'est retrouvé face à un gros vide. Pour lui, la Cercueil thérapie était une occasion de faire le point, notamment grâce à la partie questionnaire. "Quand on te demande 'qu'aurais-tu aimé faire avant de mourir ?', forcément les pensées vont vers la famille. […] Une fois dans le cercueil, tu t'es conditionné à y penser", explique-t-il. En sortant, celui qui travaillait jusqu'à 70 heures par semaine, a tout de suite eu l'envie d'appeler sa mère pour aller manger avec elle.

"Je ne vais pas dire que j'ai pris les décisions quand j'étais dans le cercueil, mais ça m'a aidé énormément à en prendre", affirme de son côté Nicolas. Le quadragénaire qui sortait d'une "relation de 12 ans qui avait mal tourné" et hésitait à se lancer dans l'entrepreneuriat, a pu s'offrir des conditions idéales pour réfléchir : "J'ai réussi à être cadré dans mes pensées, ce que je n'arrive jamais à faire dans la vie de tous les jours. Le calme que j'ai ressenti à ce moment-là vaut des semaines de réflexion !".

Mais avant ce "calme extrême", le père de famille est passé par d'autres émotions plus étonnantes lors de sa mise en bière : "Quand j'ai entendu mon discours funéraire, d'entendre parler de ma mort, de ma famille [...] cela a été un sentiment partagé de tristesse et de bonheur bizarrement !", explique-t-il. Une sensation qu'il attribue à la joie de constater qu'il n'était pas aussi "dur" que ce qu'il croyait. Car lors de la rédaction des lettres d'adieu à ses proches, l'homme a pleuré "toutes les larmes de son corps" : "À mes jumeaux de 15 ans, j'ai écrit un sacré pavé, et j'ai dit des choses que je ne savais même pas que je pensais". Grâce à sa séance, l'homme estime aujourd'hui ne plus être "un handicapé des sentiments".

Ce cocktail d'émotions paradoxales, Jordan l'a lui aussi rencontré dans son cercueil. Dans la crainte de faire "une grosse crise d'angoisse", il avait demandé à ce qu'il soit refermé petit à petit. "Les deux-trois premières minutes étaient assez stressantes mais passé ce cap-là, on se sent bien", se souvient celui qui a été rassuré par le fait que l'on puisse "soulever le couvercle facilement, juste avec les mains". En sortant de la séance, lui aussi a eu l'impression de "relâcher un grand coup de pression". "La sensation est indescriptible. Je ne peux pas expliquer le fait de pleurer à moitié tout en étant content". Quelques jours plus tard, le bourreau de travail a décidé d'arrêter la collaboration avec l'un de ses clients "pour prendre le temps de vivre un peu".

Depuis son ouverture à Montpellier, le cabinet de Cercueil thérapie de Jessica Djaout attire principalement des "gens d'une quarantaine d'années qui se posent des questions sur leur vie professionnelle ou de couple". Prenant le sujet au sérieux, la jeune femme s'est enrichie entre autres d'une formation de psycho-praticienne ainsi que de maître de cérémonie funéraire.

La pratique étant toute nouvelle en France et s'appuyant sur des sujets tabous, les débuts sont cependant plutôt timides. "Je me suis fait attaquer beaucoup sur le fait de profiter de la misère des gens", explique celle qui rappelle que la Cercueil thérapie n'est en rien "ludique". En Corée du Sud, l'un des pays avec le plus haut taux de suicides au monde, elle est considérée comme une solution crédible depuis les années 2000. Souvent organisées de façon collective, ces obsèques sont même traditionnellement offertes par des entreprises reconnues à leurs salariés.

Plus qu'une simple tendance, la Cercueil thérapie rappelle les rites de passage pratiqués notamment dans la Grèce Antique, ou les initiations chez les jeunes chamans de Sibérie au 17ème siècle. La pratique va-t-elle "se démocratiser" en France ? Une simple question de temps pour Nicolas, emballé par sa découverte : "Quand il y aura plus de retours d'expérience, les gens changeront d'avis !".