Jane Birkin dépeint Gainsbourg, ses folies, son "ivrognerie", ses odeurs, dans Munkey Diaries
A 71 ans, Jane Birkin ouvre son journal intime. Pas pour en noircir une nouvelle page, mais pour le partager avec le public, le sien, celui de Serge Gainsbourg, et tous ceux que leur idylle a fascinés. Car si elle a commencé à s’y épancher à l’âge de 11 ans, ce sont bien les pages qu’elle a consacrées plus tard à son histoire d’amour avec le chanteur que les futurs lecteurs se languissent de découvrir. En voici quelques extraits, révélés par L’Obs le 19 septembre dernier.
25 années de confidences consignées dans un journal intime, voilà le cadeau que livre la chanteuse Jane Birkin dans Munkey Diaries, à paraître le 3 octobre 2018 aux éditions Fayard. Une fenêtre ouverte sur l’intimité du couple mythique qu’elle formait avec Gainsbourg, aussi lumineux que sombre.
La première rencontre : “il m’a regardée d’un œil sarcastique et méprisant”
L’Obs a révélé en exclusivité quelques passages, qui permettent de palper la complexité de cette relation en perpétuel déséquilibre. Un amour entamé en 1968, lors de leur rencontre sur le tournage du film Slogan, du réalisateur Pierre Grimblat, qui ne commença pas sous les meilleurs auspices : “quand mon tour est venu de descendre l’escalier et de démarrer la scène devant mon partenaire, Serge Gainsbourg, il m’a regardée avec un œil sarcastique et méprisant, qui est donc cette petite Anglaise avec sa robe ridicule, bafouillant son texte dans un français très approximatif, pleurant en mélangeant sa vie personnelle et son rôle d’actrice, chose qu’il trouvait dégoûtante ?“, écrit en effet Jane Birkin en janvier 1968 dans son journal.
Avant de quelques mois plus tard, en août 1968, changer complètement de version, telle une femme éprise : “Tellement de choses se sont passées depuis que j’ai rompu avec John [ndlr John Barry, son premier mari]. Je viens tout juste de terminer un film appelé “Slogan” en France. Il y a un homme que j’aime dedans et son nom est Serge Gainsbourg. Il a une allure très bizarre, mais je l’aime, il est si différent de tout ce que je connais, assez dégénéré mais pur en même temps.”
En 1970, l’amour “dévotion” de la chanteuse pour son compagnon semble à son comble. En janvier de cette année-là, elle écrit : “On dit qu’au moment de sa mort on a le prénom d’un seul homme gravé dans le cœur. John est effacé, éradiqué, recouvert par l’excentricité et la totalité de mon amour pour Serge. Il n’est pas possible d’aimer autrement, pas avec cette perfection-là. Je prie pour son amour“, évoquant même l’idée de se convertir pour lui au judaïsme. Un an et demi plus tard, Charlotte, le fruit de leur amour, naissait à Londres.
“Je ne lui ai jamais connu la moindre odeur”
Qualifié de “bouleversant” par l’Obs, Munkey Diaries est aussi riche des commentaires laissés par Jane Birkin sur ses propres confidences passées, sorte de retour dans le temps à la lueur de l’expérience. C’est ainsi qu’elle revient sur son souvenir olfactif de Gainsbourg, en annotant une petite anecdote du 14 août 1973 débutant par “L’événement de l’année ! Serge a pris un bain !” : “Serge était la personne la plus impeccable que j’aie jamais connue. Il se lavait par petits bouts, en discrétion, grâce à un bidet, il ne transpirait pas, je ne lui ai jamais connu la moindre odeur“.
Une levée de rideau sur l’intimité physique du couple, parfois-même sexuelle, comme lorsqu’elle raconte avoir joué “la pute sordide” avec Serge dans un hôtel “cradingue“. “Je m’étais toujours languie de faire une expérience comme ça et ça me paraissait le bon moment. (…) Alors dix minutes plus tard, on était à Pigalle. On a traversé une rue glauque, mon coeur bondissait, la théorie devenait pratique et c’était très excitant d’être là en minirobe robe noire et cuissarde kinky”.
Mais aussi et surtout une plongée dans l’intimité émotionnelle d’un couple sur le fil dès les années 1974, année où Jane confiait son impression d’être devenue “sa poupée” : “parfois j’ai l’impression qu’il me fait croire, par ce qu’il dit ou ce qu’il ne dit pas, que six ans c’est rien du tout, que je suis juste de passage au milieu de ses aventures nombreuses. Il a le droit d’en être fier, de s’en vanter, et je ne suis pas au niveau de Dalida, Gréco ou Bardot ni de sa précieuse femme puisqu’elle, il l’a épousée“.
Puis, ce furent les problèmes d’alcool de l’Homme à la tête de chou qui vinrent ternir leur couple : “L’alcool est mon cauchemar. Ça le transforme en quelqu’un de si différent et effrayant. Et parfois il dit que maintenant qu’il a la gloire, l’argent, la célébrité, la seule chose qu’il ne connaît pas est de tuer, il ne parlait jamais comme ça avant. Je me demande comment ça va finir“, confiait-elle à son journal en mai 1980, alors qu’au même moment, Jacques Doillon la demandait en mariage. “Jacques veut m’épouser et il ne me lâche pas. Et je lui dis “je ne peux rien promettre” ou “on verra ce qui arrivera demain”. Je ne sais pas, mais ce n’est pas facile et je ne peux pas quitter Serge, je n’en serai probablement jamais capable, sauf s’il me fait trop peur. Il est trop nécessaire ! Trop essentiel ! Il est ma vie depuis si longtemps…“.
Un amour inconditionnel
Tiraillée, Jane commence par rêver d’une vie impossible à trois : “Je ne sais pas et d’une certaine façon je sens que Serge serait incapable de me partager, même par l’esprit, pas plus que je n’en suis moi-même capable. Nous avons parlé de ça hier soir. Nous avons dîné ensemble et j’étais si heureuse avec Jacques (Doillon) et Serge. Il me semblait que si c’était possible, ce serait le moment le plus heureux de ma vie” confiait-elle à ce sujet.
Pourtant, elle finit par quitter l’homme auquel elle se sentait si “émotionnellement liée“, ou plutôt quitter son “ivrognerie, son égoïsme“, et sa tendance à la traiter comme “sa marionnette“. Mais malgré ces griefs et sa nouvelle histoire d’amour avec Jacques Doillon, son cœur semblait irrémédiablement attaché à lui, encore en 1981 : “La vie est trop courte, et parfois j’ai peur de mourir sans que tu saches l’immensité de mon amour. Tout cela semble ambigu puisque je suis avec Jacques, et la vie continue, mais toi, est-ce que je serai exceptionnelle pour toi un jour ? Est-ce que tu diras : “Oui, mais Jane est différente, on a quelque chose d’autre. ça ne ressemble à rien d’autre“”.
Munkey, qui a inspiré le titre du livre, était le singe en peluche de Jane Birkin. Sorte de témoin de ses amours et de ses nuits passées à l’internat, dans les avions ou encore dans les chambres d’hôpitaux. Un prolongement d’elle-même qu’elle abandonna dans le cercueil de Serge, pour le protéger dans la mort. Un moment qu’elle choisira peut être de raconter avec autant de sincérité, dans le deuxième tome de Munkey Diaries, déjà prévu pour 2019.