Jeanne Balibar, soutien du #MeTooThéâtre : "J'ai subi un harcèlement moral insoutenable"
Candidate de l'émission "Game of Talents" ce samedi 16 juillet 2022 sur TF1, Jeanne Balibar est une actrice émérite qui s'est aussi bien illustrée à l'écran que dans le monde du théâtre. Un univers dans lequel elle a malheureusement assisté à des actes révoltants en matière de violences faites aux femmes, et qu'elle n'a pas hésité à dénoncer.
Il y a quelques semaines de cela, le mouvement #MeTooThéâtre se rappelait au bon souvenir du public en s'invitant sur la scène des Molières. Isabelle Carré, maîtresse de cérémonie de l'événement, a souhaité se placer en tant que soutien de toutes les femmes qui ont pu être victimes d'agressions dans son domaine : "Moi, qui crois aux livres et qui crois au pouvoir des mots, je voulais simplement vous montrer ce livre, Me Too Théâtre, qui va bientôt sortir et qui, je crois, est un outil important pour faire avancer les choses. Et ainsi, de cette manière, en parlant d’elles, ces femmes courageuses sont un peu parmi nous ce soir."
Une prise de position franche, mais qui avait été ternie par les révélations du collectif #MeTooThéâtre, qui a affirmé que la prise de parole de deux membres du collectif, qui devaient dénoncer en direct devant des millions de téléspectateurs les violences sexuelles et physiques commises dans le milieu, a été décommandée. Marie Coquille-Chambel, critique de théâtre et militante féministe au sein du collectif, avait notamment affirmé : "Nous avons préparé un texte qu'on leur a transmis et on m'a rappelée pour me dire que ça n'allait pas être possible, que je devais réécrire quelque chose. Pour nous c'était impossible de réécrire, d'être censurées, de ne pas pouvoir avoir une parole libre sur des violences."
Vidéo. #Metoothéâtre : un acteur de la Comédie-Française accusé de viol par la YouTubeuse Marie-Coquille Chambel
Jeanne Balibar, un soutien de la première heure
La déception de nombreuses actrices s'était fait entendre sur les réseaux sociaux à la suite de ce qui a été vu comme une censure pure et simple. Il faut dire que la version théâtre du mouvement #MeToo a eu du mal à se faire entendre, contrairement à celle qui a touché le milieu du cinéma et de la télévision. Pourtant, de nombreuses personnalités avaient soutenu cette prise de parole, à commencer par Jeanne Balibar. Connue pour avoir reçu le César de la meilleure actrice en 2018, pour son rôle dans "Barbara", la chanteuse, réalisatrice et comédienne a longtemps fait carrière au théâtre, et elle n'en garde pas que de bons souvenirs.
"Depuis le mouvement #MeToo au cinéma, comme beaucoup d’actrices de ma génération, je ressens une grande gratitude à l’égard des jeunes femmes qui ont mis toutes ces questions sur la place publique. Cela nous a toutes aidées à comprendre ce qui nous était parfois arrivé. À le mettre en mots, à le réfléchir, à le décrypter – à retirer de la "crypte" un certain nombre de souvenirs plus ou moins refoulés dans lesquels on avait quelquefois enfermé toutes ces violences. Mes propres débuts au théâtre, de ce point de vue, ont été catastrophiques", affirmait-elle en 2021 dans les colonnes de Télérama, se remémorant ses jeunes années.
Elle a été victime de harcèlement
Avec son franc-parler habituel, Jeanne Balibar est revenue sur le traitement auquel elle a eu droit au début de sa carrière, notamment de la part de Jacques Lassalle, alors administrateur de la Comédie-Française : "Pendant toute la durée du travail sur Dom Juan, présenté l’été suivant dans la Cour d’honneur d’Avignon, où je jouais le rôle d’Elvire, il a exercé à mon égard un harcèlement moral insoutenable. Répétant à l’envi que j’étais "nulle", qu’il n’y avait rien à faire pour que je sorte quelque chose de valable. À toutes les séances. À tel point qu’Éric (Ruf, son compagnon de l'époque, ndlr), également dans la distribution, et Olivier Dautrey, autre acteur de ma génération, ont décidé d’assister à toutes mes répétitions, dans l’espoir que cela me protégerait de cette violence. Roland Bertin, acteur phare distribué dans Sganarelle, essayait lui aussi de jouer les pare-feux, sans succès."
Vidéo. #metoo: la parole se libère dans le monde du théâtre
Elle précise toutefois que "ces maltraitances n’étaient pas ouvertement sexuelles de la part de ce vieux monsieur sur la toute jeune femme de 23 ans que j’étais, mais enfin, c’était des insultes et des humiliations constantes. Des choses qui m’empêchaient de travailler, tellement j’étais apeurée… Et pour compléter ce joyeux tableau, Andrzej Seweryn, qui tenait le rôle de Dom Juan, me cognait vraiment dans la première scène une fois sur dix, au lieu de faire semblant. La situation de l’actrice confrontée à un acteur qui "oublie" de se maîtriser dans les scènes de bagarre est assez répandue." Et de rappeler avec tristesse à quel point tout cela a pu être minimisé par ses pairs : "Dans la maison, on me disait régulièrement : 'Ne le prends pas personnellement, c’est comme ça avec toutes les actrices qui ont le premier rôle'."
Elle dénonce l'omerta dans les coulisses du théâtre
Pour elle, il existe un vrai problème dans le traitement des femmes sur les planches comme dans les coulisses. "Omerta, ce mot n’est pas trop fort. Il ne vaut pas seulement pour les harcèlements sexuels ou moraux mais pour toutes les maltraitances liées aux hiérarchies de pouvoir s’exerçant sur un plateau. Nous sommes de temps à autre témoins de comportements qui terrorisent tout le monde. Très peu d’entre nous sont en position de les dénoncer, car nous craignons de ne plus travailler." Une triste constatation qui revient malheureusement souvent lorsque des victimes expliquent pourquoi elles n'ont rien dit à l'époque des faits...
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