JoeyStarr dans La Face Katché : "Ma mère ? Mon père la rouait de coups. Moi il me disait que j’étais parti pour ne rien foutre"

Rappeur, producteur, acteur, JoeyStarr est connu pour être un artiste qui n'a pas sa langue dans sa poche. Mais au-delà de son sens de la punchline, il possède une vision très particulière du monde qui l'entoure, forgée par les épreuves qui ont marqué sa vie. Face à Manu Katché dans La Face Katché, il se dévoile sans fard, et plus touchant qu'on ne pourrait l'imaginer.

Né à Paris dans un hôpital du Xe arrondissement, JoeyStarr a grandi en Seine-Saint-Denis. À l'époque, il s'appelait encore Didier, et son enfance est loin d'avoir été facile. Un père peu présent, violent envers sa mère, une famille "éclatée"... L'artiste a mis du temps à retrouver ses racines, et c'est la musique qui lui a permis de reconstituer une bonne partie de son arbre généalogique.

Une enfance ennuyeuse et un père volage

Interviewé par Manu Katché dans son émission La Face Katché, il raconte :"En faisant de la musique, j'ai rencontré ma fratrie. Si je n'avais pas fait ce que je fais aujourd'hui, on aurait tous été éparpillés. On sait pas combien on est. J'ai rencontré mon grand frère, mon aîné sur un quai de RER. Un mec me disait : "Je connais un mec qui te ressemble...", et un jour il me l'a ramené. Un autre de mes frères, pareil..." Des rencontres faites un peu au gré du hasard, puisque son père était un coureur, qui a eu des enfants avec de nombreuses femmes : "La liste est longue, parce que le type était dans la conquête, tu vois. Il est allé mettre son biscuit un peu partout, dans plein de ballons. Mon enfance, je me suis fait chier la bite à mort. Moi j'avais un père qui vivait pour lui. Tu sais, j'ai passé beaucoup de temps à attendre dans une voiture que le mec finisse de mettre son biscuit dans le ballon."

À l'époque, JoeyStarr était un petit garçon timide, timoré, loin de l'image que l'on se fait de lui aujourd'hui. "Je dirais que le monde m'a ouvert ses bras quand j'ai commencé à sortir par la fenêtre la nuit. Pour te donner des repères, comme ça : moi, je ne savais pas ce qu'était un homosexuel, à l'âge de 13, 14 ans. J'ai quitté ma banlieue, je me suis télescopé avec Paris et ses lumières et tout son truc, et je me suis dit : "Putain, le monde est vaste." Et moi, pendant tout ce temps-là, j'étais dans l'inertie."

Paris, la ville qui a tout changé

Si l'artiste reste encore très attaché à sa Seine-Saint-Denis, il l'affirme : "C'est vraiment quand je suis sorti, quand j'ai commencé à aller sur Paris, comme on disait, que ça a changé. Là d'un seul coup, tu arrives et tu es un peu neuf. Tu rencontres des gens, et tu te rends compte déjà que t'es pas le seul à être un peu dans ce cas-là. Puis finalement, tu sors un peu de tout ça, et tu te rends compte qu'il y a des gens qui te parlent normalement." Une vraie surprise pour le jeune Didier, qui a eu du mal à croire qu'on ne se moquait pas de lui. "Moi, quand je suis sortie de cette strate-là, quand je suis arrivé à Paris, je pensais que tout le monde se foutait de ma gueule. Je me disais : "Pourquoi les gens sont gentils ? Pourquoi ils me prêtent ça ?" Ce n'était pas naturel."

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Ses débuts dans le monde de la musique, la célébrité, les concerts, les interviews... Tout ça s'est presque présenté comme une surprise pour JoeyStarr : "Quand j'ai commencé à faire de la musique et qu'on a commencé à faire des interviews, les gens disaient : "Il est comme ça". Mais les gars, vous ne savez pas d'où on arrive. Et puis surtout, je ne comprends pas où je suis, moi. J'ai signé en maison de disques, je pensais prendre le chèque et puis salut quoi. Je pense que l'éducation que j'ai eu fait que, encore aujourd'hui, j'ai ce truc de vivre au jour le jour."

Au jour le jour et sans fard, car s'il y a une valeur qui tient à coeur à l'artiste, c'est la sincérité. "À partir du moment où on a commencé à danser, à faire du graff ou à rapper, tout était d'une sincérité. Tu occultes quelque chose, et tu as la tête dans le guidon. Là, tu es en train de faire un truc. Et puis surtout, moi je me rappelle que ce que j'adorais, quand j'allais faire du graff, c'était pas juste écrire sur un mur. C'était avoir les clés du métro, tout ça. D'un seul coup, tu es au centre de quelque chose, les gens t'entourent, et ils te disent : "Bravo ! Wahou !""

Des compliments pour ne pas répéter les épreuves de son père

Ces premiers compliments, comme tous les suivants, ont marqué l'artiste, qui n'en a pas reçu beaucoup pendant sa jeunesse. Eloigné de sa mère, "chassée" par son père, il affirme aujourd'hui : "Il peut m'arriver de dire à mes fils "Bravo" ou que je suis fier d'eux pour pas grand-chose, parce que c'est quelque chose que je n'ai pas eu." Ce manque de soutien, de tendresse aussi, aurait pu l'impacter gravement. Mais grâce à la musique, il a gagné l'amour inconditionnel de son public, qui le suit depuis de nombreuses années maintenant.

"En arrivant sur Paris, j'avais l'impression d'exister. Moi, j'arrive d'un endroit où je suis séquestré avec une personne, et d'un seul coup, je fais le show. Je pense que le mec qui a inventé la musique, c'est le premier à avoir inventé la téléportation pour moi. Sensorielle ou quoi, appelle ça comme tu veux. Mais ça m'a éteint de la détresse. Quand mon père mettait un disque, d'un seul coup, je n'avais plus mal, là."

Aujourd'hui, son père ne fait plus du tout partie de sa vie. Les enfants de JoeyStarr ne connaissent pas leur grand-père. Et le rappeur l'avoue, il ne comprend toujours pas pourquoi cet homme l'a rejeté de la sorte : "On se demande ce qu'on lui a fait à ce mec. Ou qu'est-ce que je lui ai fait, moi. Même mes frères se posent la question, ceux qui n'ont pas été élevés par lui, ni grandi avec lui. L'idée, c'est : "Qu'est-ce qu'on t'a fait, mec ?" Le mec m'a quand même dit dans mon enfance : "Moi j'ai fait ça, toi t'es parti pour ne rien foutre"." Heureusement, il a réussi à renouer avec sa mère, qui ne cache pas sa fierté devant l'homme et l'artiste qu'il est devenu : "Ma mère, j'avais disparu de son champ de vision. J'ai du terriblement lui manquer. Mais quand je vois des étoiles dans ses yeux... Mes premiers concerts, je me rappelle là première fois qu'on a joué au Zénith. Ma mère est arrivée, très apprêtée, mise en pli chez le coiffeur... On a réussi à recréer le pôle, alors que ma famille aux Antilles, elle est complètement éclatée."

"Aujourd'hui, je m'entends super bien avec moi-même"

Bien des années plus tard, et loin de l'image du rappeur constamment énervé que certains voudraient lui donner, JoeyStarr est un homme apaisé. "Ça a pris le temps, mais je suis bien dans ma maison. Je sens qu'il y a de l'amour autour de moi. Je ne suis plus tout seul. L'important, c'est d'avoir son chez-soi pour affronter le monde. Et le truc, c'est que je m'entends super bien avec moi-même. Alors c'est peut-être qu'avec le temps, je me suis apaisé sur plein de trucs. Mais j'ai toujours cette sensation d'être seul contre le monde entier, mais de jamais en vouloir au monde entier. J'ai autre chose à foutre, putain !"

Car contrairement à l'image qu'il a pu avoir avec le groupe NTM, le rappeur n'a jamais eu le sentiment d'être dans la provocation. "Nous, on est juste des clébards qui pissent dans les coins pour marquer leur territoire. C'est quand on s'est retrouvés face aux médias qu'on a compris le mot "provocation". "Ah non mais nous on ne fait pas ça. Ce n'est pas ça, en fait." Nous, on a ce besoin d'exister." Même chose face au racisme : "On était un rouleur compresseur, par rapport à ça", affirme-t-il. "Tu sais ces histoires de contrôle au faciès qui existent depuis toujours... Moi c'était pas comme ça. J'étais tacheté. Quand je faisais du graffiti, j'étais couvert de peinture dans le métro. Moi je savais pourquoi je me faisais serrer. Du coup, je ne l'ai pas vécu de la même manière."

VIDÉO - La Face Katché - Joey Starr : "Moi, je savais pourquoi je me faisais serrer. J’avais besoin d’exister"

Aujourd'hui, il revendique le fait d'être "vachement occupé" à "imposer (son) diktat d'une autre manière." "La perfection n'étant pas de ce monde, j'y ai ma place", affirme-t-il, n'en déplaise aux racistes qui lui crient de "rentrer dans son pays." Lui préfère apprendre des différentes cultures qui l'entourent depuis toujours. "Ne pas être blanc aujourd'hui, quelque part, c'est être un vrai citoyen du monde, parce qu'on se frotte à plein de choses qui n'existent pas de l'autre côté. Moi, je viens d'un département d'outre-mer, et quand j'avais 5 ans, j'ai demandé à ma mère : "Ça veut dire quoi espèce de sale arabe ?" Je lui ai dit que quelqu'un m'avait dit ça. Alors que j'avais 5 ans ! C'est pour ça que je dis "non blanc". Il y a un truc qui est interdit chez moi, c'est que le communautarisme n'existe pas. Je veux dire que c'est quelque chose que je ne comprends pas et qui ne m'intéresse pas. Moi, j'ai appris de tout le monde."

Article : Laetitia Reboulleau

Interview : Manu Katché

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