La précarité menstruelle, le problème tabou lié aux règles
Peu connue, la précarité menstruelle touche de nombreuses femmes, sans abris, étudiantes ou travailleuses précaires, qui n’ont pas les moyens de s’acheter des protections périodiques quand elles ont leurs règles. Et si ce problème est resté longtemps invisible, c’est peut-être parce qu’il touche à un sujet tabou : les menstruations.
Le 1er février dernier, Iréné, étudiante en art a eu ses règles et a décidé de ne pas porter de protections périodiques. Vêtue de leggings gris – sacrifiés au cours de l’opération – elle a exposé toute une journée son entre-jambe maculé de sang menstruel dans Paris. L’objectif de son action ? Dénoncer la précarité menstruelle, c’est-à-dire, la difficulté financière que certaines femmes et personnes menstruées ont pour se payer des protections hygiéniques. “On ne choisit pas d’avoir ses règles, mais pourtant l’État ne veut pas nous rembourser les protections périodiques, s’insurge la jeune femme. Les personnes non menstruées pensent que ça ne les concerne pas, mais si je tache les sièges dans le métro et dans les cafés ça ne les concerne toujours pas ?”
Choisir entre manger et se payer des protections hygiéniques
S’il n’existe pas d’étude chiffrée sur la précarité menstruelle en France, on sait que les plus touchées sont les femmes SDF, précaires et les étudiantes. Car avoir ses règles coûte cher. On estime le coût des protections périodiques à 24,6 euros par an (à raison d’un paquet de 20 tampons par mois coûtant 2,05 euros d’après la newsletter féministe Les Petites Glo), ou à 8 000 euros au cours d’une vie (selon l’association Règles Élémentaires). Toutefois, il est possible que ces chiffres soient sous-évalués car ils ne prennent en compte ni les antidouleurs, ni les besoins de protections supplémentaires liés à un flux abondants, ni le rachat de sous-vêtements tâchés. Alors pour certaines femmes, il faut choisir entre manger et se payer des protections hygiéniques.
Alors pour certaines femmes, il faut choisir entre manger et se payer des protections hygiéniques.
Lou a connu cette galère. Etudiante de 19 ans en BTS dans l’animation, la jeune femme est en rupture familiale et indépendante financièrement. “En début d’année, j’ai dû faire réparer ma voiture. Ça m’a coûté exactement ce que j’ai dans un mois hormis le loyer”, raconte la jeune femme. Je me nourrissais exclusivement de pâtes, je faisais un repas par jour. Je voyais le jour de mes règles arriver à grands pas alors qu’il me restait seulement un tampon. J’étais totalement démunie face à cette situation”. Quand ses règles arrivent, elle n’ose pas aller voir l’infirmière de peur qu’elle contacte ses parents. Alors elle adopte des techniques “maison” : papier toilette dans le fond de sa culotte, vêtements noirs et t-shirt qui tombe bas. “Le plus embêtant, c’était la nuit. J’avais peur de tacher mes draps et je dormais avec une couche de vieilles serviettes sous les fesses. Je me réveillais plusieurs fois par nuit pour m’assurer qu’elles n’avaient pas bougé”, nous confie-t-elle.
Un problème invisible ?
Depuis août, l’Écosse met à disposition gratuitement les protections périodiques aux lycéennes et étudiantes. En France, des initiatives existent, comme la mutuelle étudiante LMDE qui depuis quelques mois rembourse jusqu’à 25 euros par an de protections périodiques ou l’Université de Lille qui a organisé en janvier une opération de distribution de protections périodiques pour ses étudiantes. Néanmoins, le gouvernement n’a pas encore amorcé de mesure concrète dans ce sens. C’est justement le cheval de bataille de l’association Règles Élémentaires, qui organise depuis 2015 la collecte de serviettes et tampons partout en France et depuis peu en Belgique et en Suisse, pour ensuite les donner à des associations qui les distribuent à des femmes dans le besoin. Marine Creuzet, communicante bénévole de l’association se rappelle notamment du combat mené par les associations féministes en 2015 pour supprimer la “Taxe Tampon”. Cette proposition de loi, qui consistait à faire baisser la TVA sur les protections hygiéniques, à 5,5% a d’abord été refusé par les députés avant d’être finalement voté par le Sénat.
“Nous essayons de sensibiliser pour que la précarité menstruelle soit reconnue comme un enjeu de santé public important.”
“Il a fallu se battre pour que les protections périodiques, qui étaient taxées à 20% comme des produits de luxe, soient considérées comme des produits de première nécessité. Depuis, les distributeurs ont impacté la baisse de la TVA dans leur marge, donc pour les consommatrices, c’est toujours le même prix, déplore-t-elle. Aujourd’hui, nous essayons de sensibiliser pour que la précarité menstruelle soit reconnue comme un enjeu de santé public important”.
Avec Règles Élémentaires, elle a pu observer le mépris des questions liées aux menstruations. Elle se souvient d’un exemple révélateur : “Nous étions en contact avec un centre d’hébergement qui mettait à disposition des préservatifs, mais pas des protections hygiéniques. Ces coûts n’avaient simplement pas été prévus dans leur budget”, finit-elle.
Briser un tabou sexiste
“Soyons honnêtes, si du sang coulait du pénis six jours par mois, ça ferait longtemps que les protections seraient remboursées. D’ailleurs, on aurait probablement inventé un super héros qui saigne du zizi et la licence Marvel qui va avec”, plaisante Klaire fait Grr, journaliste et comédienne.
La trentenaire, devenue experte en matière de règles, joue depuis plus d’un an le seul en scène « Chattologie », où elle s’attaque avec pédagogie et humour au tabou des menstrues. Elle voit dans le désintérêt porté à la précarité menstruelle, un mépris de tout ce qui touche aux règles et plus généralement, au corps des femmes. “On a banalisé longtemps les douleurs et les galères liées aux règles”, explique-t-elle, au prétexte que c’était “comme ça”, que les femmes étaient faites pour enfanter, donc conditionnées à souffrir, serrer les dents et les cuisses, et en silence de préférence. La plupart d’entre nous ont fini par intégrer les souffrances et la loi du silence comme une fatalité”.
“Soyons honnêtes, si du sang coulait du pénis six jours par mois, ça ferait longtemps que les protections seraient remboursées. D’ailleurs, on aurait probablement inventé un super héros qui saigne du zizi et la licence Marvel qui va avec.”
Malgré tout, Marine Creuzet reste optimiste : “La prise de parole des femmes avec les mouvements #metoo et #balancetonporc a permis une libération de la parole sur les règles qui font bouger les lignes”, nous rassure-t-elle. Cet automne, nous avons été invitées à faire une présentation sur la précarité menstruelle devant les députés dans le cadre de la préparation du budget de la sécurité sociale. C’est la preuve que peu à peu, l’institutionnel prend conscience du chemin qu’il reste à parcourir !”
Et d’ailleurs, pour la journée internationale des droits des femmes, plusieurs associations se mobilisent pour lutter contre la précarité menstruelle. C’est le cas d’Entourage qui organise des collectes de produits d’hygiène à destination des femmes SDF, mais aussi de la newsletter pour adolescentes Les Petites Glo (petite sœur de la newsletter les Glorieuses), qui lance une pétition à l’attention du Ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer. Leur demande : “Mettre en place des distributeurs de protections périodiques bio dans les toilettes des collèges et lycées de France métropolitaine.” C’est plus malin que les promos pour le rouge à lèvre et les lave-linges.
Belinda Mathieu