Le consentement sexuel dans le couple, une notion à (ré)interroger d'urgence
Biberonné.es à la notion de devoir conjugal, beaucoup de femmes et d'hommes en couple pensent qu'ils “doivent” des relations sexuelles fréquentes à leur partenaire et qu'ils n'ont plus le droit de dire non. Une idée qui fait des dégâts et qu'il est urgent pour le bien de tous de réactualiser.
Lorsqu'Amélie a rencontré le père de son fils, elle n'avait encore jamais eu d'expérience sentimentale et découvrait à peine la sexualité. C'est donc sans aucun repère qu'elle a dû apprendre à composer avec cet homme à la libido très développée, pour qui le sexe comptait pour “90% dans le couple”. Je ne savais pas ce qui était normal ou pas”, se souvient la trentenaire, qui avait alors tendance à trop se remettre en question. Il m'avait mis dans la tête que j'avais un problème d’hypo-activité sexuelle. Je suis même allée voir une sexologue, qui m’a expliqué qu’avoir envie deux ou trois fois par semaine n’est pas du tout de l’hypo-activité, mais que c’était plutôt lui qui était hyperactif, avec ses envies plusieurs fois par jour”.
Le consentement sexuel dans le couple ne va pas de soi
Loin de s'améliorer avec le temps, cette situation est même devenue au fil des mois très toxique. De plus en plus insatisfait, l'homme a commencé à la menacer d'aller voir ailleurs, pendant qu'Amélie, elle, développait des angoisses insupportables. “Je me souviens être partie en vacances une semaine sans lui, et à mon retour avoir fait une crise d’angoisse parce que je savais qu’il faudrait obligatoirement qu’on couche ensemble”. C'est finalement après avoir obtenu un diplôme en 2016 que son déclic a eu lieu : elle comprit que son compagnon était de façon générale dans le contrôle et la manipulation. “Toute ma famille a organisé un repas et a trinqué avec moi, sauf lui qui a refusé de boire à ma santé. C’est ce jour là que j'ai ouvert les yeux. Dès lors, dès qu'il se passait quelque chose d'anormal au lit, je m'en rendais beaucoup plus compte”.
Même avec un partenaire sérieux et régulier, le consentement sexuel ne va pas de soi. Pourtant, rares sont ceux qui osent le réinterroger. “Chez beaucoup de mes patientes, la question ne se pose pas, car elles jugent normal d'accepter les rapports sexuels au sein de leur couple. La notion de devoir conjugal reste ancrée”, explique Alexia Bacouël, sexothérapeute et fondatrice du Cabinet de curiosité féminine. Être ensemble et/ou avoir déjà effectué des actes sexuels à deux, n'engage pourtant en rien les deux parties à débuter ou poursuivre des relations intimes. Mieux encore, le consentement mutuel doit être reconsidéré à chaque instant : “Quand on a donné son consentement, ça ne vaut pas pour tout un acte sexuel. C'est seulement sur un moment T, pour une pratique donnée. On peut même accepter d'avoir un cunnilingus et au bout de quelques secondes ne plus avoir envie”, explique à ce sujet Léonor, militante de Nous Toutes !.
9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel
La récente enquête de ce collectif féministe au sujet du consentement a fait grand bruit, le nombre de participantes, - près de 100 000 en dix jours –, traduisant l'urgence ressentie par les femmes de dénoncer des dérives. “Les répondantes ont montré que la sexualité reste un lieu d'inégalité”, explique Léonor. Et pour cause, 9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. Et près de la moitié déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu'elles n'avaient pas envie d'avoir des rapports sexuels ("frigide", "coincée", "pas normale", "chiante"). “Les résultats montrent aussi que la sexualité reste un lieu d'extrême violence”, relaie la militante. 81,2% des femmes rapportent des faits de violences psychologiques, physiques ou sexuelles au cours de rapports sexuels avec un ou plusieurs partenaires. Et plus d'une répondante sur 2 affirme avoir eu un rapport avec pénétration non consentie.
Autre enseignement étonnant de l'enquête : les femmes s'auto-contraignent à répondre à une norme illusoire. “70% des femmes disent ainsi avoir participé à un rapport sexuel sans pression de la part de leur partenaire, alors qu'elle n'en avait pas envie”, détaille la militante. Ce fut le cas de Karine, à l'aube de sa vie sexuelle. Influencée par “la culture pornographique qui suggère que nous devons toujours être performants et disponibles”, elle s'imposait le rythme d'un rapport sexuel par jour. À 18 ans à peine, difficile pour elle d'ignorer standards et idées reçues pour explorer son propre fonctionnement. Au fil des rencontres et des prises de conscience, Karine a heureusement réussi à retrouver une sexualité alignée avec ses envies. Aujourd'hui en couple avec un autre homme, elle ne s'impose plus rien : “Cela fait 2 mois qu'on a rien fait en raison de notre rythme professionnel, mais les moments passés ensemble restent très agréables”, raconte celle qui se dit très heureuse d'être avec un partenaire aussi éveillé qu'elle sur ce sujet.
Le respect du consentement sexuel est un apprentissage
De plus en plus de femmes font entendre leur voix sur les réseaux sociaux. Encouragées par des influenceuses ou des associations, elles racontent ce qu’elles ont vécu et n’accepteront plus jamais. De nombreux témoignages ont entre autres été publiés sous le hashtag #jaipasditoui, lancé par Nous Toutes !
Un soir il est rentré saoul d'une soirée, il m'a réveillée, m'a dit "chérie j'ai trop envie de toi" j'étais fatiguée et j'ai dit non alors il a continué sans mon avis en me déplaçant comme une poupée. Il s'est arrêté quand il a compris que j'allais pleurer. #JaiPasDitOui
— Claire Claire (@ClaireC56438474) March 3, 2020
J'ai une maladie chronique, mais mon ex avait "des besoins". Les médocs éteignaient toute ma capacité à lutter. Je ne consentais pas, je cédais. Et c'est arrivé tant de fois. Je l'ai quitté, j'ai renoncé à mon traitement. Mais aujourd'hui je n'ai plus confiance. #JaiPasDitOui pic.twitter.com/eaTN3dQnun
— JulietteSa (@JulietteSa3) March 3, 2020
J’étais au lycée j’étais pas prête de faire ma première fois il me mettait la pression pour le faire à chaque fois qu’on étais seul pendant les vacances j’apprends qu’il a couché avec une meuf en soirée son excuse il était bourré et il avait des besoins #JaiPasDitOui
— la petasse du cheese 🍔 (@TamaraTouahri) March 3, 2020
#JaiPasDitOui
Lors d'un rapport sexuel consenti, mon partenaire m'a imposé une sodomie, je ne voulais pas, j'ai dit non, j'ai pleuré... Il s'est rhabillé, il est partie en me disant que j'étais "une peine à jouir"...
J'ai mis un mouchoir dessus pendant des années— Karine Plassard (@KarinePlassard) March 3, 2020
Mais d’autres femmes, éloignées de ces réseaux, n’ont pas la même occasion de revoir leurs habitudes et croyances. Un peu dans le déni, elles consultent des sexologues pour des problèmes d'anorgasmie, de vaginisme, ou encore de dyspareunie, sans imaginer que ces troubles découlent d'un défaut de consentement sexuel dans leur couple. “C'est dans le cadre des consultations qu'elles prennent conscience que c'est une question à laquelle elles peuvent réfléchir, pour ne plus tout accepter”, explique Alexia Bacouël, auteure du livre Les dessous du plaisir. Pour ces femmes, cette remise en question peut être douloureuse. “Beaucoup de souvenirs peuvent remonter à leur conscience, et elles peuvent se sentir déroutées”, observe la sexothérapeute.
“Au début j'avais honte de m'être laissée faire tant de temps”, confie Amélie. De sa relation avec son ex, elle avoue conserver encore quelques séquelles. Dès que son conjoint actuel la touche alors qu'elle ne ressent pas l'envie de sexe, elle se sent oppressée et considérée comme un objet. “La mémoire corporelle prend le dessus”, explique celle qui aime dans ces moments-là recevoir de la tendresse sans aucune allusion charnelle. Deux ans après, la jeune femme nourrit encore de la colère envers elle-même : “Comment ai-je pu être aussi bête pour ne pas m’en être rendu compte plus tôt ?”.
“Si dans l'idéal, personne ne devrait se forcer à avoir des rapports sexuels, il ne faut pas se le reprocher ou s'accuser d'être une mauvaise féministe”, réagit Léonor de Nous Toutes, qui rappelle que le respect du consentement est un apprentissage. L'urgence ? Remettre de la conscience de part et d'autre, et réfléchir à des solutions. Sans forcément diaboliser ceux qui à un moment donné ont eu tendance à prendre le consentement de leur partenaire pour acquis, ni incriminer les hommes dans leur généralité.
Plus on se sent respecté, plus le désir s'éveille
D'autant plus que ces derniers aussi peuvent pâtir du non-respect de leur consentement sexuel. Au sein de l’enquête Nous Toutes !, 1 homme sur 2 déclare avoir déjà ressenti une pression de la part d’un.e partenaire pour avoir un rapport sexuel. C'est le cas de Victor, longtemps en couple avec une femme à la libido importante, qui exigeait régulièrement d'être satisfaite. “Elle me sollicitait toujours, sans jamais prendre en compte le contexte, mes capacités physiques ou mes préoccupations du moment”, se souvient celui qui s'est dans un premier temps laissé convaincre par ses amis qu'il avait de la chance. “Et quand je me refusais à elle, elle me faisait du chantage affectif, en m'accusant de ne plus l'aimer”, raconte le vingtenaire qui explique avoir par la suite régulièrement cédé pour avoir la paix. Mais au fil du temps, un certain dégoût et des troubles sexuels se sont installés. “Dans l'esprit de tous, les hommes doivent avoir tout le temps envie. Du coup, certains n'ont même plus la conscience de s'ils ont envie ou pas, et font l'amour de manière très mécanique”, explique la sexothérapeute Alexia Bacouël qui observe parfois chez ces patients des troubles de l'érection ou de l'éjaculation.
Que faire alors pour rétablir l'équilibre ? “Entamer le dialogue avec son ou sa partenaire”, déclare sans hésiter Léonor, du collectif Nous Toutes. “On a l'impression que cela peut nous mettre en faute, mais on observe que la communication dissipe le malaise et ravive parfois des envies”. “Il faut être catégorique et très claire sans passer par des métaphores ou des allusions pour ménager l’autre”, ajoute de son côté Karine, qui dit avoir validé l’efficacité de ce procédé sur les hommes. Mais lorsque le problème dure depuis longtemps et/ou a été très mal vécu, la confiance et le désir véritable peuvent alors être difficiles à regagner. Ou seulement au prix de “beaucoup de médiations, de discussions, et de compréhension l'un de l'autre” d’après Alexia Bacouël.
En matière de sexualité comme pour tout le reste, la sexothérapeute rappelle que la clé est le respect. “Plus on va se sentir respecté, écouté, en sécurité, plus le désir pourra s'éveiller. C'est un cercle vertueux qui peut alors inverser la tendance”...