Le serendipidating, le phénomène qui pollue les sites de rencontres
Rencontrer rapidement en chair et en os son crush est probablement le meilleur moyen de concrétiser une relation virtuelle. Pourtant de plus en plus d’utilisateurs des sites et applis de rencontres repoussent ce moment. En cause ? L’espoir de trouver entre temps quelqu’un qui correspondrait mieux à leur idéal. Cela s’appelle le serendipidating, contraction de “dating” et de “serendipity” qui signifie “heureux hasard” en anglais, et cette pratique n’est pas sans conséquences…
Des possibilités infinies qui dissuadent de choisir
“En janvier dernier, je tchattais sur une célèbre appli avec Édouard, un mec sympa et plutôt mignon qui tenait à me rencontrer très vite, pour s’assurer que je lui plaisais vraiment. Trop vite à mon goût, car même si la conversation était agréable, je ne ressentais pas l’envie urgente de le voir. J’ai préféré reporter, quitte à ce qu’il me passe sous le nez…”, déclare Laura, trentenaire, qui avoue au fond n’avoir pas été suffisamment emballée. Pour cette jeune femme, comme pour beaucoup d’autres adeptes du serendipidating, difficile de s’arrêter sur une opportunité, tant l’éventail des possibilités est large. Et ce, même si le feeling est au rendez-vous.
C’est que “face à la multitude de profils et à l’offre illimitée qui en découle, l’utilisateur peut se laisser rapidement submerger par le non-choix et espérer identifier son prétendu idéal dans le profil suivant. C’est une forme d’espoir décliné à l’infini puisque tous les jours des personnes s’inscrivent sur un site ou réactivent un ancien profil”, explique Paula Haddad, journaliste qui a publié chez Archipoche le livre “J’ai liké ton profil… et j’aurais pas dû”.
Quand discuter virtuellement suffit
Mais ce désir apparent de trouver toujours mieux peut aussi masquer d’autres problématiques. Parfois, les adeptes du serendipidating ne se sentent tout simplement pas prêts à s’investir émotionnellement, et cet état “d’entre deux” leur permet de recevoir de l’attention sans trop se mouiller. Pour eux “l’idée même d’être sans cesse en lien avec des profils, de multiplier les chats, de rafler des numéros sans vraiment s’impliquer, peut s’avérer suffisant”, affirme Paula Haddad. De quoi expliquer le fait que certains continuent à discuter avec des personnes qu’ils ne rencontreront jamais…
Dans le cas de Laura, cela a aussi été une histoire de timing : “en y réfléchissant, si je ne me suis pas sentie emballée à l’idée de rencontrer Édouard, ce n’était pas de sa faute. Je crois que je n’étais pas prête à me plonger complètement dans l’univers d’un autre, à lui donner de mon temps et de mon énergie”. Quelques mois plus tard, se sentant enfin prête, la jeune femme a d’ailleurs accepté de rencontrer physiquement un homme “pas forcément mieux qu’Édouard”. Parce qu’il est arrivé au bon moment.
D’autres au contraire s’enfermeront indéfiniment dans le serendipidating. Une façon selon Paula Haddad, de “refuser de se confronter au réel” : “On préfère rester derrière son écran à poursuivre la quête du graal par peur d’être déçu et de décevoir. En repoussant le temps du réel, on continue à façonner l’autre selon ce que l’on cherche”. Plutôt qu’ultra-exigeants, les adeptes du serendipidating seraient-ils plutôt ultra-frileux ? En réalité, certainement un peu des deux.
Le danger de cette méthode ? Un sentiment de solitude accru
Si la pratique semble anodine, elle n’est pas sans conséquences : en plus de se sentir blessée par la passivité de l’autre, la personne qui espère la rencontre peut aussi nourrir de vraies rancoeurs et devenir très suspicieuses : “lorsqu’un homme avec lequel je discute décide de reporter sans cesse le premier rendez-vous, je me dis qu’il n’est pas très courageux et qu’il ne m’a peut-être pas tout dit sur sa vie…”, raconte Norah, qui avoue laisser tomber dès que sa confiance est entâchée.
Mais les personnes qui utilisent cette méthode peuvent elles aussi en pâtir, sans réellement s’en rendre compte. “Si on pratique cette technique sans jamais s’en inquiéter, on risque clairement de renforcer ce sentiment de solitude que l’on espérait à priori atténuer en s’inscrivant sur un site ou une appli de rencontres” alerte Paula Haddad, qui conseille à ceux qui s’y seraient perdus de “désactiver |leurs] profil[s] sur les différents sites où ils sont inscrits et de repenser [leurs] motivations réelles” avant de se remettre en quête de l’amour…